Idées
« Ce qui est bon est léger, tout ce qui est divin court sur des pieds déliés », disait Nietzsche. Tout est dit dès le début par Gilles Lipovetsky : notre monde matériel est « léger, fluide et mobile », « le léger a envahi nos pratiques ordinaires et remodelé notre imaginaire ». Ceci est dit et réitéré très longuement au travers de tous les domaines de notre existence. Il suffirait tout bêtement, pour les moins jeunes, de se souvenir de l’aspect massif et batracien des automobiles, radios et téléviseurs des Sixties.
En dehors de notre petite vie quotidienne, à partir des Trente Glorieuses, le capitalisme de consommation a induit un modèle ludique et hédoniste lié au plaisir et à l’insouciance, disqualifiant les lourds idéaux collectifs, le sacrifice et l’austérité puritaine. Tout est sous le signe de l’immédiat et de l’allégement récréatif : transistor, microsillon, juke-box (?), jeans et minijupe. Participe de la même idée le domaine du spirituel. « Le yoga, la méditation zen, les disciplines bouddhistes et autres méthodes transformatrices de soi visent à apporter une certaine sérénité, une légèreté dans le rapport à l’existence. »
Il s’agit, en allégeant le poids de l’existence, de flotter, d’avoir avec la réalité un rapport presque aérien. Mais l’auteur marque ici sa vigilance. À force d’être délié, on finit par être irresponsable. En montant trop haut, Icare se brûle les ailes.
Là où les choses ne sont pas très claires, c’est le fait que Gilles Lipovetsky se nourrit en arguments à la fois dans le présent (tout est marqué par la légèreté) et dans l’avenir (voici venu « le temps des utopies light »). Lui-même n’arrive pas bien à expliquer pourquoi le quotidien de tant de gens semble si pesant : une grève surprise du RER plonge d’un coup un million de Parisiens dans une journée très, très lourde, preuve d’une dépendance qui n’évoque pas beaucoup la bulle de savon ou de champagne.
Il y aurait quelque facilité à insister concernant un ouvrage paru au tout début de l’année, mais le réel fait parfois d’atroces irruptions à l’arme lourde dans notre univers aérien. Alors, la pesanteur terrasse la grâce.
Gilles Lipovetsky, « De la légèreté », Grasset, 372 p., 19 euros.
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