« Lorsque la mère ne peut pas, ne veut pas ou plus allaiter, il est admis que doivent être proposées une préparation pour nourrissons (« lait 1er âge ») jusqu’à l’âge de 4–6 mois, puis une préparation de suite (« lait 2e âge »), au moins jusqu’à l’âge de 1 an ». Comme l’affirme ici le Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie*, la grande majorité des experts, s’appuyant sur la littérature, confirme que le lait de vache, pauvre en fer, en acides gras essentiels (AGE), avec des triglycérides sous forme d’acides gras saturés et un excès de sels minéraux et de protéines, n’a pas sa place dans l’alimentation du nourrisson jusqu’à un an et ce malgré une alimentation diversifiée et équilibrée. Les laits de suite par exemple, sont enrichis en fer (20 fois plus de fer que le lait de vache), en acides gras essentiels, en vitamine D et le rapport Ca/P est plus adapté à la croissance osseuse. Leur concentration protéique a été revue à la baisse (actuellement : 1,4 à 1,9 g/100ml) pour se rapprocher de la composition du lait maternel (1,0 à 1,2 g/100ml). La valeur biologique des protéines du lait de vache (PLV) peut être améliorée par modification de l’aminogramme, permettant ainsi une meilleure utilisation des protéines ingérées, tout en réduisant leur quantité. « Les enfants qui consomment un peu plus de protéines que la moyenne ont une prise de poids supérieure, constate le Dr Jean-Pierre Chouraqui, gastro-pédiatre (Grenoble), et ceux qui recevaient des laits à plus de 18g de protéines par rapport à moins de 15 g avaient une relative hypertrophie rénale. Mais pour quelles conséquences à long terme ? Personne ne le sait. »
La majorité des laits infantiles a une composition mixte : lactose et dextrine maltose, ce qui entraîne une meilleure impression de satiété et limite le risque de coliques par insuffisance lactasique. Dans les formules pour nourrissons, l’adjonction d’acides gras polyinsaturés à longues chaînes (acides arachidonique et docohexanéoïque) semble bénéfique. Si les atouts de ces laits enrichis en AGPI- lc sont évidents chez le prématuré sur le plan de la maturation visuelle et du développement psychomoteur -bien que ce bénéfice s’estompe l’enfant grandissant- les études manquent pour l’extrapoler à l’enfant né à terme. Quant à l’ajout des probiotiques et prébiotiques (oligosaccharides de type FOS ou GOS) dans les préparations lactées, il semble diminuer l’incidence des diarrhées de façon significative. Les probiotiques (lactobacillus ou bifidus) amélioreraient les capacités de défense anti-infectieuses locales et interviendraient sur le développement de l’allergie, avec un début de preuve d’efficacité en curatif de la diarrhée aigue, infectieuse notamment virale. Saccharomyces Boulardii par exemple, serait efficace dans la prévention et le traitement de la diarrhée associée aux antibiotiques. Enfin, un certain nombre de travaux penche en faveur d’un effet préventif de certaines souches de probiotiques, avec pour résultats des gastro-entérites moins sévères, des fréquences d’hospitalisation moindres. En s’appuyant sur une théorie séduisante, l’Académie nationale de médecine (rapport du 25/02/09), appuie l’enrichissement des préparations pour nourrisson et laits de suite en AGPI-longue chaîne et en probiotiques.
Offre lactée pléthorique, comment s’y retrouver ?
Cependant, faute d’études solides « la multiplicité des formules pour nourrisson ne se justifie pas en l’état actuel (lait anti-régurgitation, lait de confort, contre les coliques, améliorant le transit, la satiété….) » estiment les académiciens. Distance donc vis- à vis des arguments des industriels en faveur de ces laits, préviennent-ils. Allégations fonctionnelles, allégations santé… celles-ci ne sont pas toujours justifiées sur le plan scientifique même si certaines peuvent avoir un réel intérêt clinique. L’annexe 4 de la Directive 2006/141/CE liste les seules allégations nutritionnelles autorisées, au nombre de six : lactose uniquement, sans lactose (teneur en lactose ne dépassant pas 10 mg/ 100 kcal), ajout d’acides gras polyinsaturés à longue chaîne (en particulier d'acide docosahexaénoïque : DHA), de taurine, de prébiotiques (fructo et galacto-oligosaccharides), de nucléotides. Parmi les allégations santé, la seule autorisée concerne les préparations anti allergéniques (HA), car ayant subi une hydrolyse partielle de la caséine et des protéines solubles du lait de vache. Mais attention, compte tenu de la qualité protéique et de l’hydrolyse, une conclusion clinique d’une préparation ne peut être étendue à une autre. La littérature disponible plaide en faveur d’un effet préventif mais uniquement chez les nourrissons nés dans une famille à risque allergique authentifié (parent du 1er degré ou fratrie souffrant d’allergie documentée), sous condition qu’elles soient données au moins quatre mois de façon exclusive. A distinguer des hydrolysats réservés aux enfants allergiques aux protéines du lait de vache.
Choisir un lait pour nourrisson : Quatre symptômes, quatre raisonnements
Aujourd’hui, mis à part les laits HA, seule la théorie guide la prescription particulière dans une approche préventive. Si l’enfant régurgite, un effet anti-régurgitation est obtenu par l’ajout d’amidon et de caroube (laits « AR » en pharmacie avec un taux entre 24% et 29% de la fraction glucidique, « Confort », en grande distribution avec un taux entre 3,3% et 26,3% et « Premium » entre 12,6% et 23%). La farine de caroube accélère souvent le transit avec parfois production de gaz et météorisme. Elle est à déconseiller en cas de coliques ou de transit rapide, mais intéressante chez les enfants constipés. L’épaississement du lait par l’amidon diminue la fréquence et le volume des régurgitations, mais ne suppriment pas ce phénomène, physiologique chez le nourrisson. Si l’enfant est glouton, certains laits procurent une impression de satiété plus importante et plus prolongée, grâce à davantage de sucres complexes (dextrine-maltose et amidon), beaucoup plus de caséine que de protéines solubles (80/20 et même 90/10), et des acides gras à chaîne longue. La caséine ralentit la vidange gastrique mais peut induire une constipation. Dans ce cas, il vaut mieux privilégier un lait avec moins de lactose et plus de sucres complexes.
Quant aux fameuses « coliques », après s’être assuré que le problème est bien dû à une probable maldigestion du lactose, il est logique de choisir un lait pauvre en lactose, avec éventuellement l’apport de lactase. Les laits proposés en cas de diarrhée contiennent peu ou pas de lactose (pour tenir compte des insuffisances lactasiques secondaires possibles), davantage de triglycérides à chaîne moyenne plutôt que longue (pour permettre l’absorption d’une plus grande quantité de lipides), et moins de protéines solubles ou un apport de protéines partiellement hydrolysées, limitant ainsi le risque théorique de sensibilisation aux PLV pendant que la muqueuse intestinale est altérée. Enfin lorsque l’enfant est constipé il est possible de s’orienter vers les laits « transit » dont le sucrage est très majoritairement constitué de lactose avec une diminution du rapport caséine/ protéines solubles. La fraction glucidique de certains laits est composée exclusivement de lactose, se rapprochant ainsi de la composition du lait maternel. Avec un risque de fermentations acides avec gaz et douleurs abdominales lorsque la compétence lactasique du bébé n’est pas suffisante. Certaines formules incluant des probiotiques ou du betapol (triglycérides avec l’acide palmitique en position 2) recherchent aussi cet effet « transit ».
1-3 ans : quid des aliments lactés industriels ?
Jusqu’aux années 1990 les régimes alimentaires de la plupart des enfants de 1 à 3 étaient basés sur le lait de vache, le « fait-maison », la cuisine familiale. C’est encore le cas pour beaucoup d’enfants. Sans pour autant qu’ils présentent de quelconques troubles nutritionnels, à part peut-être une insuffisance d’apport en fer. Pourtant depuis une quinzaine d’années, le lait de croissance (de 10 à 12 mois jusqu’à 3 ans ou plus : laits de croissance ou préparations pour enfant en bas âge) s’immisce dans les rayons et les discours des spécialistes, qu’ils soient de la Société Européenne de Gastroentérologie et de Nutrition (EPSGHAN) ou de la société française de pédiatrie et son comité de nutrition. Directives européennes et normes mondiales (Codex alimentatrius) les régissent. Marketing ou réel besoin ?
Le Syndicat Français des aliments de l’Enfance, avec l’enquête TNS-Sofrès « Alimentation des enfants de la naissance à 3 ans. 1997-2005 : quelle évolution ? » remarque que la consommation de produits industriels à la fois lactés et non lactés a pratiquement doublé chez les enfants de 13 à 18 mois et reste significativement importante au-delà. Le lait de croissance est passé de 21% de consommateurs en 1997 à 52% en 2005 chez les 13-18 mois, de 13% à 27% chez les 19-24 mois, et de 4 à 26% chez les 25-30 mois… Autre constat, 53% des 13-18 mois mangent déjà comme des adultes, un passage trop rapide à l'alimentation des plus grands à partir d'un an, avec à la clé un apport insuffisant de lipides chez les plus de 18 mois et de ce fait en acides gras essentiels (AGE), notamment en oméga 3, acide alpha linolénique. « Les laits de croissance tendent à remplacer le lait de vache et cela représente un progrès sur le plan nutritionnel, estime le Pr Jacques Ghisolfi, chef du service de médecine infantile des CHR de l'hôpital Purpan de Toulouse, de la Société Française de Pédiatrie - Comité de Nutrition, qui s’explique : dans ce sondage (cité plus haut), en isolant ceux qui n’avaient pas eu de lait de croissance, nous avons remarqué une alimentation protidique et sodée un peu trop importante, un apport lipidique un peu insuffisant mais à un niveau tel où l’on ne voit pas pourquoi il y aurait des risques sur la santé. Sur le plan des acides gras essentiels, oligoéléments et vitamines, nous avons retrouvé que 10% des enfants sous lait de vache avaient un apport insuffisant en acide linoléique qui pourrait faire considérer qu’ils étaient en situation à risque d’insuffisance d’apport. 25% étaient à risque de déficit en acide alphalinolénique, en fer et zinc, en vitamine C, 75% pour la vitamine E et 100% pour la vitamine D ». Pour quelle signification ? « Une proportion significative d’enfants a des apports insuffisants en acide linoléique en alphalinolénique, poursuit-il, en vitamine C, D, E et en fer, en certains oligoéléments, mais nous ne possédons absolument pas la preuve que cette insuffisance d’apport puisse impacter leur santé présente et future, en dehors du déficit préjudiciable en fer. Nous pouvons seulement affirmer qu’il faut y remédier à ces déséquilibres en substituant le lait de vache par ceux dit de croissance car sur le plan de leur composition ils sont enrichis en acides gras essentiels, oligoéléments et vitamines ».
Pour aller plus loin, chez les 1-2 ans, le Pr Ghisolfi a isolé ceux qui recevaient uniquement des produits lactés à base de lait de vache ou du lait de croissance. Ces enfants ingèrent la même quantité d’énergie mais avec un régime alimentaire différent: lorsque les parents donnent un lait de croissance plutôt que de vache ils n’offrent pas la même alimentation non lactée à leur enfant : davantage de viande et de produits laitiers à base de lait de vache. « Les laits de croissance sont véritablement responsables de la normalisation des apports en AG essentiels et vitamines C et E. » Des données assez probantes selon les experts pour qu’ils recommandent en tout légitimité les laits de croissance pour leur bénéfice nutritionnel théorique.
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