Par le Dr Roger Geraud*
LA MÉDECINE PRATICIENNE, l’organisation hospitalière, le ministère, la Haute Autorité, l’Ordre, les syndicats, la caisse centrale, les OING, le vaste tissu protecteur des agences onusiennes, les services de prévention et d’accès aux soins, les ARS, les observatoires de la thérapeutique et de l’épidémiologie en Europe et dans le monde… constituent une médico-sphère aux contours imprécis dont la nécessité, l’ordonnancement, l’urgence et la pérennité s’imposent.
Cette notion de nécessité servirait-elle de justification à des méthodes coercitives que la démocratie, le « vivre avec », la liberté… réprouvent ?
Le bon sens est, contrairement à l’adage, une qualité médicale très mal partagée. Le bon sens a déserté les hauts lieux où s’élaborent les grands projets et les nouvelles réformes, censés adapter la médecine aux exigences du monde moderne. L’administration est là tout entière, avec ses logiques comptables, sa paperasserie jamais morte, et le fameux numerus clausus, qui veille aux portes de l’enfer – l’enfer des jeunes aspirants à la médecine.
Trop de médecins ?
C’est, par analogie avec un drame de Jean Racine, Malthus tout entier à sa proie attaché.
Le principe est toujours le même, depuis plus de 50 ans : « Il y a trop de médecins ! » Trop de médecins ? L’OMS en demandait 4 millions de toute urgence, il y a moins de dix ans… 4 millions supplémentaires pour soigner ce pauvre monde, hyper compact et hyper vieux au Nord, hyper fécond et hyper malade au Sud. La demande de soins est devenue irrésistible et insoutenable. Et pourquoi ne pas restaurer les officiers de santé ?
Tout est fait aujourd’hui pour décourager les jeunes encore inspirés par cette étoile permanente : devenir médecin, « diminuer arithmétiquement la souffrance du monde ». Le taux d’abattage en fin de première année est catastrophique, le taux de réussite serait de 13,5 en médecine à la suite d’épreuves absurdes qui n’ont rien à voir avec l’aptitude, trop souvent contrariée, à être un bon médecin. La machine à broyer arrive après l’échec aléatoire d’épreuves destinées à empêcher, à humilier, à détruire parfois, ces pauvres aspirants au désespoir, sacrifice humain, indigne d’une démocratie civilisée. Les docimologues eux-mêmes savent que ce n’est pas avec des QCM que l’on sélectionne. Plutôt l’inverse.
Gâchis toujours.
Il y a 56 000 inscrits en première année ! Le chœur des doyens s’inquiète. Mais où allons-nous les mettre ? La première année de santé est commune à la médecine, à l’odontologie, à la maïeutique et à la pharmacie (PACES). Que vient faire la pharmacie dans cette galère ? Augmenter la masse ?
Doyens et étudiants s’accordent à dire que la PACES n’a rien réglé, qu’elle n’a pas résolu le problème des grands nombres et n’a pas résolu la question du « gâchis » par une réorientation qui ne marche pas. La hausse des effectifs entraînerait une dégradation de l’enseignement clinique, ainsi que la dispersion des lieux d’enseignement et du nombre des enseignants. Ce sont des arguments quantitatifs, de l’illusion. Donnez-nous de bons enseignants, je vous donnerai de bons enseignés. Lisez « le Quotidien du Médecin » du 17 janvier 2013 : un rapport parlementaire remis à Matignon envisage la suppression du concours de première année. Enfin un peu d’air ! La ministre suivra-t-elle ? C’est peu probable et notre profession enkystée, hésite.
Les administrateurs qui nous gouvernent par le conventionnement et déconventionnement sélectifs en vue de régulariser les implantations, semblent avoir oublié qu’à 30 ans, la plupart des médecins sont mariés. C’est madame et enfants qui vont devoir aller dans le Cézalier où il neige six mois par an, et c’est monsieur qui trouvera un jour, à son retour du bled la petite lettre : « Je m’ennuie, je repars chez ma mère. Je prends les gosses, débrouille-toi… »
Il y a de bonnes intentions, elles viennent tantôt de la base, tantôt des sommets. Il y a aussi des « habiletés » : ainsi l’existence de passerelles destinées à expédier les non admis dans d’autres facultés : aller faire du droit, de la littérature, de l’ingénierie ou du commerce : merci, le surnombre est partout, et risqué. Allez en droit, à l’encontre de votre vocation, l’admission en licence écrème à 75 %, en première année. En arts, dernier recours, 92 % feront autre chose que le métier choisi. Proposez-leur plutôt un commerce dans les fruits et légume !
« Assassinat préventif ».
Les gestionnaires de la santé qui siègent à Paris dans les beaux quartiers et en province dans les ARS ont inventé « l’assassinat préventif » : ils placeraient dans les cours de la première année des études médicales un examen d’aptitude à l’issue duquel ils convoqueraient « les moins capables … « Monsieur, Madame, au vu des épreuves, il apparaît que vous n’êtes pas un bon postulant, n’allez pas plus loin, retournez à la maison », c’est une façon sadomaso d’éliminer par l’humiliation et d’abaisser les malchanceux dans le but constant de diminuer le nombre, et de préserver le prestige – le prestige restant. Des examinateurs chevronnés accepteraient-ils de jouer ce rôle de tueurs en série ? On avait connu les « reçus collés » et les éliminés pour un huitième de point… La violence s’est-elle installée dans la maison d’Avicenne ? La violence, oui, peut-être, mais pas là.
Le lecteur s’étonnera de cette perspective « désolatoire », il y a une solution en aval, elle peut choquer, c’est une solution parmi d’autres, appliquée dans un esprit non malthusien, pourquoi pas ?
Lionel Jospin, lors de son passage à Matignon, a eu l’idée généreuse de faire accéder au baccalauréat et de là aux études de 2e cycle 80 % d’une classe d’âge. Ce fut une grave erreur. Le bac doit générer la sélection, fut-il en passe de s’élitiser, c’est là qu’il faut intervenir.
Actuellement, vous entrez en fac pour le prix d’un vélo et on admet dans l’Alma Mater des gens qui sont des futurs chômeurs, incapables de trouver un métier qui ne soit pas du cinéma.
Sélectionnez au niveau bac, et si vos opinions personnelles en prennent un choc, rassurez-vous, ça guérit. La filière S à 50 %, pourquoi pas ? La filière L à 35 % ? Et une politique de l’emploi qui ne reste pas une illusion.
Dans un de ses ouvrages, Aldo Naouri nous dit qu’il passa le bac à l’âge de 19 ans et que, à l’époque, le taux de réussite était de 10 %. Les bacheliers avaient alors du cœur au ventre, ils n’en sont pas morts.
Les médecins aujourd’hui ne vont pas voir les malades dans leur milieu. Les salles d’attente deviennent des chambres d’incubation. Aller vers… il y aura moins de déserts médicaux.
Il n’y a pas assez de médecine et il y a trop de malades, le réchauffement climatique nous en prépare quelques autres…
Des médecins pour nous, des médecins pour le monde, dès maintenant.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature