Plaqué, usé, vidé de son énergie. Tels sont les signes du « burn-out », qui a été défini en 1986 par Christina Maslach et Susan E. Jackson comme « un syndrome d'épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l'accomplissement personnel qui apparaît chez les individus impliqués professionnellement auprès d'autrui ».
Didier Truchot, maître de conférences en psychologie sociale à la faculté de Reims a mené deux études consécutives sur le burn-out des médecins libéraux en Bourgogne, puis en Champagne-Ardenne. Il a présenté ses travaux lors d'une conférence organisée par le SNJMG (Syndicat national des médecins généralistes). Ses études cliniques lui ont permis d'établir un certain nombre de symptômes et de causes (« le Quotidien » du 20 mars 2003). D'autres études, comparatives cette fois, ont mis en exergue la fréquence du burn-out chez les médecins par rapport à d'autres catégories professionnelles cibles réputées du burn-out. Il ressort que les médecins sont bien plus touchés que les sapeurs-pompiers, les aides-soignants ou encore les travailleurs sociaux. Le taux de suicides est par ailleurs bien plus élevé chez les médecins que dans d'autres groupes professionnels à statut équivalent. Didier Truchot a également mis en évidence l'influence du burn-out sur les prises de décision des médecins libéraux.
Favoriser la pratique de groupe
Un médecin sur deux est en souffrance, a rappelé le Dr François Baumann, président fondateur de la SFTG (Société française thérapeutique des généralistes) qui a dirigé un groupe de travail sur le burn-out des généralistes au sein de sa société. Parmi les causes qu'il a identifiées : l'inadéquation des études aux réalités humaines, une faible reconnaissance du rôle central du généraliste, la médicalisation des problèmes de société qui amène les médecins à gérer les conséquences médicales et sanitaires des drames de la vie (environnement, dégradation sociale...). Pour le Dr Baumann, cette réflexion sur le burn-out est « une façon de s'intéresser aux médecins mais aussi d'aller vers une modification de leur relation avec les malades ». Le Dr Baumann estime qu'il faut d'abord agir au niveau des études de médecine, en introduisant davantage de sciences humaines. Ensuite, « promouvoir publiquement les compétences du médecin généraliste, établir une politique du bien-être, développer une plus large collaboration au sein du système de soins et favoriser la pratique de groupe en médecine générale ».
Tout est là, dans cette pratique de groupe.
Les syndicalistes présents à cette réunion ont de façon quasi unanime évoqué le bienfait de leur appartenance à un syndicat, lieu pour eux où exprimer leurs angoisses, leurs doutes. « C'est une corporation qui souffre tout entière, pas seulement des individus », a remarqué le Dr Patrice Muller, président du SNG (Syndicat national des généralistes). « Or, il manque une représentation de cette souffrance collective. La profession médicale doit s'organiser face à l'administration. » En toile de fond de cette remarque, la baisse annoncée du taux de remboursement de certains médicaments à SMR modéré. « Nous, syndicalistes, sommes là pour essayer de faire le tampon entre des patients qui nous en demandent de plus en plus et des pouvoirs publics qui nous en donnent de moins en moins », a renchéri le Dr Pierre Lévy, vice-président de l'UNOF (Syndicat des médecins de famille). « Malgré toute notre bonne volonté, il y aura toujours des choses qui nous tomberont dessus », a ajouté le Dr Nicole Bez, responsable du groupe femmes à MG-France. « C'est l'organisation de notre profession que nous devons changer. » Selon elle, « il faut réactiver les solidarités ». « Dans vingt ans, il ne devrait plus y avoir de médecins isolés. » Selon elle, un médecin déprimé va évidemment prescrire en conséquence. « Lorsque l'on se retrouve en sessions de FMC (formation médicale continue), les premiers mots que l'on entend sont : "Quel plaisir de se retrouver !". Et il est très curatif d'analyser, après quinze à vingt ans d'expérience, les trois cas qui nous ont le plus posé problème. »
Le droit du médecin d'être malade
D'après le serment d'Hippocrate, le médecin doit lui-même être en forme pour pouvoir soigner les autres. « Il faut s'aimer soi-même pour aimer les autres », traduit le Dr Baumann, qui affirme que le « médecin est son propre instrument de travail ». Pour lui en effet, le burn-out ne se distingue guère de la dépression nerveuse dans la mesure où il découle avant tout de la personnalité du « burn-outé ».
Le burn-out s'est-t-il brutalement développé ou parle-t-on plus de lui ? La question se pose. Selon le Dr Christian Lehmann, médecin généraliste et auteur de « Patients, si vous saviez », la notion de burn-out a fait son chemin dans la tête des journalistes et du grand public, au même titre que celle de harcèlement moral. Et si le médecin, qui est un être humain, avait le droit d'être malade lui aussi ?
Des étudiants en « autocombustion »
Lorsque Stéphane Benzaquin, aujourd'hui résident en médecine générale à Paris-Ouest, a rempli le questionnaire-test établi par le psychanalyste Herbert Freudenberger, qui permet de mesurer son propre burn-out en se situant sur une échelle, il a atteint le score plafond.
Depuis, il a consacré son mémoire de troisième cycle au burn-out en l'intitulant : « Quand un jeune médecin tourne à l'autocombustion ». « Les étudiants en médecine de troisième cycle sont des médecins en formation obéissant aux mêmes codes du travail et de déontologie que leurs maîtres », explique-t-il dans son mémoire, en se demandant comment « interpeller les étudiants en médecine sur l'amélioration possible de l'enseignement en prévention du "burn-out student". »
En s'appuyant sur sa propre « guérison », Stéphane Benzaquin ouvre quelques pistes pour traiter le burn-out des soignants, étudiants ou pas. Pour lui, il s'agit avant tout de « connaître et reconnaître » son mal dès que les premiers signes surviennent. Ensuite, de « s'adapter au stress ». Soit seul, ou avec des proches, faire le point sur l'organisation de sa vie et le type d'engagement professionnel. Et se rappeler le principe de l'empathie à l'égard du patient, qui implique la reconnaissance des émotions des malades sans pour autant les emporter avec soi une fois la consultation terminée. Selon M. Benzaquin, une formation à la bonne communication entre soignant et soigné apparaît aujourd'hui comme un facteur déterminant de la protection du médecin contre le burn out.
Stéphane Benzaquin oriente actuellement sa thèse vers « la qualité de vie et le bien-être professionnel des étudiants en troisième cycle de médecine générale ».
Au. B.
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