CHAQUE ANNÉE, en France, 1 590 000 femmes sont victimes de brutalités conjugales, 1 500 000 de harcèlement sexuel dans l'espace public, et tous les trois jours une meurt sous les coups de son conjoint ou de son « ex », rappelle l'enquête nationale sur les violences envers les femmes de 20 à 59 ans en France (ENVEFF, 2000). L'observatoire national de la délinquance (OND) précise, dans son rapport 2007 sur la victimologie (portant sur 12 000 Français de 18 à 60 ans), que 50 % des violences physiques se déroulent dans le cadre conjugal et que 66 % des personnes agressées sont des Françaises. L'OND recense 230 000 atteintes sexuelles, dont 130 000 viols, pour seulement 8,8 % de plaintes. «C'est dire qu'on a encore du mal à dénoncer l'innommable», à la veille de la 8e Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, organisée par l'ONU, fait remarquer au « Quotidien » le Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV)*.
En Seine-Saint-Denis, l'observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes (OLCVFF) du conseil général donne un éclairage sur ce qu'endurent les 18-21 ans. Les 1 566 jeunes filles interrogées, représentatives de l'ensemble des Françaises de cette tranche d'âge, «sont de 2 à 5fois plus victimes que les 20-59ans de l'enquête ENVEFF», commente le Dr Piet, médecin de PMI, chargée de l'étude avec Ernestine Ronai, psychologue responsable de l'OLCVFF. Près d'un quart (23 %) ont subi, au cours de leur vie, des «coups violents, tentatives de meurtre, tabassages ou menaces d'arme». Parmi elles, les deux tiers en ont été l'objet de manière répétitive avant l'âge de 16 ans – ce qui peut expliquer que 66 % en ont déjà parlé – et, dans la plupart des cas ,les agresseurs sont des hommes «de leur entourage». Dans 13 % des situations, il s'agit d'agressions sexuelles au sein de la famille. Pour deux sur trois qui ont eu une relation de couple, 4 % témoignent d'atteintes sexuelles ou de viol, 29 % de harcèlement psychologique et 9 % de coups. Pour l'année écoulée, 11 % évoquent des violences physiques graves, dont 2 % de menaces avec arme et tentatives de meurtre, 2 % des agressions sexuelles dans la rue et 15 % des gifles. Battues, violées, malmenées, les jeunes femmes perdent vite pied. Quinze pour cent, violentées sexuellement, se considèrent en mauvaise santé. Une sur deux s'avoue déprimée, désespérée, 34 % ayant tenté de se suicider, contre 6 % chez les non-maltraitées. Les déclarations de maladies chroniques triplent. Parallèlement, le risque de devenir à nouveau victime est multiplié par trois, de même que celui de devenir à son tour agresseur. Les rapports sexuels non protégés, quant à eux, sont deux fois plus fréquents.
Prévenir dès le plus jeune âge.
Pour le Dr Emmanuelle Piet, il est urgent de mettre en place une politique de prévention appropriée. «Il faut agir dès l'école, dans les petites sections, sur les comportements sexistes», suggère son confrère Gilles Lazimi, directeur du centre municipal de santé de Romainville (Seine-Saint-Denis). «De même, il ne faut pas dissocier le couple parental du couple conjugal, sachant que les enfants constituent des témoins des agressions de leur père exercées sur leur mère», ajoute le généraliste, qui s'est fait une spécialité de la lutte contre les violences faites aux femmes. A ce stade, il revient au médecin de famille de tenir «un rôle de signalement de l'enfant en danger». Sur le plan juridique, le droit de visite devrait être sous protection, au sein d'une association par exemple, en présence d'un médiateur. Les «enfants témoins», eux aussi victimes de violences conjugales (troubles du comportement), apprennent souvent à leur tour à cogner, met en garde le Dr Gilles Lazimi.
En ce qui concerne la prise en charge de la victime, la tâche est lourde. «Aider à parler, à parler, à parler encore jusqu'à délivrer la personne de sa souffrance», martèle le généraliste. Il s'agit d'éviter le syndrome post-traumatique, porteur de conduites d'évitement, de problèmes neuro-végétatifs et du phénomène de dissociation (la personne vit son agression comme si c'était arrivé à un autre), et les troubles de comorbidité (diabète, asthme, addictions, dépression, etc.). Or la formation des médecins est en panne. Cinq universités seulement, dont Saint-Antoine et Bichat, à Paris, dispensent un enseignement dirigé de deux heures aux internes en médecine générale. Et les crédits alloués en 2007 à la formation continue pour des séminaires sur les violences faites aux femmes sont supprimés en 2008.
Malgré tout, quelques réseaux médico-sociaux, comme Victimo, en Ile-de-France, se montrent actifs, offrant aux femmes violentées un accompagnement judiciaire, policier, social et sanitaire. Côté bourreau, la généralisation des soins se fait attendre, alors qu'ils peuvent être efficaces, comme le prouvent le Dr Claude Ballier, qui intervient en prison à Grenoble, et le Dr Roland Coutanceau dans les Hauts-de-Seine hors du milieu carcéral.
Au niveau de la justice, il serait thérapeutique que les politiques pénales soient appliquées de la même manière dans tous les départements. La médiation pénale, consistant à mettre sur un pied d'égalité la victime et son agresseur, ce qui existe à la Réunion, ne devrait plus avoir cours comme en Seine-Saint-Denis. Et quand une affaire est classée ou assortie d'un non-lieu, il ne devrait plus être permis à l'auteur d'agression de porter plainte pour dénonciation calomnieuse. La loi-cadre espagnole (2005) mériterait d'être prise en exemple, estime le Dr Lazimi. Outre-Pyrénées, l'agresseur est privé de droit de visite et de garde d'enfant. S'il n'est pas incarcéré et porte un bracelet électronique, il ne connaît pas le lieu d'hébergement de sa victime si celle-ci vit dans une structure d'accueil.
* Le CFCV gère SOS Viol 0800.05.95.95, tandis que la Fédération nationale solidarité femmes s'occupe de la plate-forme téléphonique nationale Violence conjugale-Femmes Info Service (01.40.33.80.60) 39.19.
12 propositions gouvernementales
Valérie Létard, secrétaire d'Etat à la Solidarité, fera une communication sur les violences faites aux femmes en conseil des ministres du 21 novembre. Un plan triennal 2008-2010 en douze points traitera de la prise en charge des victimes, y compris des enfants lorsqu'il s'agit de violences parentales, et des auteurs d'agressions.
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