Au départ de la manifestation contre la loi HPST, ce 28 avril 2009, les fers de lance du Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP), Bernard Granger et André Grimaldi entre autres, tiennent le haut du pavé. À leur côté, des leaders syndicaux de personnels non médicaux, la CGT et Sud-Santé surtout. En retrait, apparaît la banderole de l’INPH, tandis que celle de la CPH est à peine visible. La CMH et le Snam-HP sont, quant à eux, absents. De nombreux instigateurs de la manifestation ont même déclaré François Aubart, le président de la CMH, persona non grata. Un comble pour ce syndicaliste défenseur des praticiens hospitaliers : se faire jeter d’une manif en faveur (entre autres) de la défense du statut de PH. De fait, dans la préparation, la mobilisation des praticiens pour cette journée qui a fait descendre dans la rue entre 10 000 et 15 000 personnels hospitaliers, les intersyndicales de PH auront occupé des rôles secondaires, parfois même de figurants. En aval, après la manifestation, ils n’auront même pas eu droit à un strapontin pour négocier le retrait, ou l’aménagement des amendements de la loi HPST qui auront provoqué l’ire de la profession médicale. Le MDHP, rassemblement hétéroclite de PH, PU-PH, pour certains défenseurs de l’exercice libéral, pour d’autres de l’accès aux soins, aura plus obtenu en deux manifestations monstres à Paris et en province les 28 avril et 14 mai derniers, pour faire reculer le gouvernement sur la gouvernance hospitalière, que les intersyndicales en dix-huit mois de mobilisation. Que s’est-il donc passé ? Mouvement mis sur pied à l’origine par des chefs de service furieux que la loi HPST ait biffé d’un trait de plume l’existence des services, le MDHP a été rejoint progressivement par la base des PH, des internes, avant de faire jonction avec les syndicats de personnel hospitaliers, dans ces manifestations unitaires du printemps dernier. De quoi ringardiser l’action syndicale. Et remettre en cause le leadership revendiqué par les intersyndicales sur la profession médicale. Comment expliquer un tel désaveu ? À cela plusieurs raisons.
1/ La division
Si la CPH et l’INPH ont compté malgré tout parmi les forces d’appoint du MDHP, la CMH et le Snam-HP étaient étrangement absents des manifestations du printemps dernier. Interrogé sur la question, le professeur Rymer, président du Snam-HP, est sans ambiguïté : « L’objectif de la pratique syndicale n’est pas de jeter les gens dans la rue, mais de faire bouger les choses. » Fermez les bans. Outre le rejet du rapport de forces, l’absence de deux des intersyndicales de praticiens hospitaliers consacre le divorce entre les représentants syndicaux de médecins. Laquelle rupture entraîne division et affaiblissement de la scène syndicale. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. C’est Alain Juppé, alors Premier ministre, qui a imposé, dans l’optique de la négociation des fameuses ordonnances Juppé (1), la représentativité de quatre intersyndicales : la CPH, l’INPH, la CMH, et le Snam-HP. Qui, lorsqu’ils avançaient unis, ont obtenu certains succès : il en va ainsi de la mobilisation de 2000. Au terme de trois mois de mobilisation unitaire des confédérations syndicales de personnels et intersyndicales de médecins, les syndicats médicaux arrachaient à Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité, une revalorisation historique du statut de PH : indemnités de service public, revalorisation des carrières, reconnaissance de la pénibilité de certains postes… Un véritable succès syndical. Mais c’est en 2006 que les négociations se corsent, lors de la réforme du statut de PH, qui prévoit un nouveau mode d’affectation locale, l’apparition d’une part complémentaire variable, de nouvelles procédures de concours… Deux camps s’opposent : les antiréformes (CPH, INPH) et les proréformes (CMH, Snam-HP). Qui plus est, fin 2006 un troisième front s’ouvre autour de la permanence des soins : trois syndicats (Amuf, SNPHAR, Smarnu) font alliance commune fin 2006 pour refuser les modifications statutaires de PH. Depuis, les syndicats ont pris l’habitude de lutter en rangs dispersés : en 2007, la Fédération de la permanence des soins hospitaliers (FPSH), qui a pour noyau dur le SNPHAR et l’Amuf, s’est battue pour la reconnaissance de la pénibilité des métiers soumis à la permanence des soins. Tandis qu’en 2008, c’est la CPH, mais surtout le SNPHAR, qui ont dénoncé la réforme du régime de retraite complémentaire Ircantec. Résultat : les intersyndicales perdent en crédibilité et ne sont plus guère écoutées par la base. Le professeur Bernard Granger, l’un des piliers du MDHP, voit dans la division des syndicats la raison de leur relative impuissance : « Les syndicats protestataires ont protesté comme ils en ont l’habitude et personne ne les a écoutés ! Quant aux autres syndicats, ils se sont fait avoir ! » Unis, il n’en serait pas allé ainsi. Mais les récents communiqués contre les décrets HPST, signés à quatre mains par les intersyndicales, prouvent que les syndicalistes auraient pris toute la mesure du problème...
2 L’absence de dialogue social
Reçus à huis clos le 22 avril dernier par Nicolas Sarkozy et Raymond Soubie, conseiller spécial du président, onze professeurs ont négocié directement avec l’Élysée les amendements de la loi HPST, à même de calmer la grogne des médecins. Tandis que les sénateurs, à l’issue de la manifestation du 28 avril, recevaient une délégation du MDHP pour amender le texte de loi. Tout comme lors de la mobilisation, les intersyndicales, lors de la négociation, ont été zappées. Ce qui met en relief un problème crucial : l’absence de dialogue social. « Avec madame Bachelot, on a eu l’impression qu’elle voulait au tout début partir sur de bonnes bases, mais depuis l’été 2008, c’est le silence radio », constate Pierre Farragi, président de la CPH. « Le dialogue social est extrêmement fragilisé », reconnaît pudiquement François Aubard, président de la CMH, pourtant chaud partisan de la concertation avec la tutelle. Tout juste le ministère de la Santé a-t-il auditionné les syndicats en 2008, sans prendre en compte leur avis. « Il n’y a jamais eu de négociations avec les intersyndicales ! Des réunions en revanche ont été organisées. Nous y avons exprimé nos plus extrêmes réserves, notamment sur certains aspects de la gouvernance. Et ensuite, le débat parlementaire s’est déroulé. Aucune caution n’a été accordée par les intersyndicales. » Et la situation va de mal en pis : c’est par voie de presse que les syndicats ont appris que la ministre n’avait pas le temps de les recevoir, dans le cadre des concertations organisées autour des décrets HPST. Sans interlocuteur, difficile, en effet, pour les syndicats, de justifier de leur rôle…
3/ Les changements sociétaux
Les syndicalistes ne seraient plus en phase ni avec leur époque, ni avec la population médicale. Ce qui expliquerait la rupture entre les PH de base et leurs représentants. « La population de PH a changé. Maintenant, les PH ne supportent pas ce que l’on a supporté lorsque nous étions jeunes. Les jeunes veulent concilier vie professionnelle et familiale. Il faut aussi prendre en compte cette évolution sociétale, ce que ne font pas les intersyndicales », pense Michel Dru, président du SNPHAR. Christophe Prudhomme, praticien hospitalier et CGTiste, pointe du doigt un fossé générationnel entre syndicalistes et praticiens : « Auparavant dès que l’on lançait un mot d’ordre, la base suivait. De nos jours, ce n’est plus le cas. Ils ne se retrouvent plus dans ses leaders. Il y a un problème sociologique aussi derrière tout cela. Les représentants syndicaux, tant du côté des libéraux que des PH, sont en fin de carrière. Aujourd’hui les jeunes qui arrivent ont d’autres aspirations. Qui plus est, ce sont majoritairement des femmes. Les jeunes actuellement veulent être salariés. »
4/ Le volontariat
Faut-il parler de syndicats à propos de l’INPH, de la CPH, de la CMH ou encore du Snam-HP ? « Non, pense Christophe Prudhomme de la CGT (également adhérent à l’Amuf). Nous, les confédérations, considérons que ces intersyndicales ne sont pas des syndicats, mais des associations professionnelles, qui ont leur rôle à jouer. Raison pour laquelle je suis à la fois à la CGT et à l’Amuf. Mais elles ont, en tant qu’association professionnelle, atteint leurs limites. » François Aubart le reconnaît également sans ambages. « Il faut aussi remarquer que, de toute façon, le syndicalisme médical est fragile, puisque nous ne sommes pas des permanents. » Résultat : le syndicalisme des médecins hospitaliers est à la marge de toutes les avancées récentes : « Les médecins n’ont pas compris l’importance de la démocratie sociale : leur syndicalisme est très convenu, très policé, très proche du gouvernement. »
5/ L’incrédulité médicale
L’exception médicale serait-elle à l’origine des déboires des syndicalistes ? C’est ce que pense Patrick Pelloux, président de l’Amuf : « Les médecins ont été éduqués en pensant qu’ils étaient une exception même en matière sociale ! Lorsque la réforme statutaire des PH a été signée, tout comme celle de l’Ircantec, c’est passé comme une lettre à la poste. C’est énorme ! On nous a réduit notre retraite d’un tiers, on a détruit le statut de PH et c’est passé parce que les médecins n’y croient pas ! Maintenant, on peut être licenciés, mis à pied… Les médecins ont encore du mal à croire que l’on peut fermer leur service ! » Un avis partagé par Pierre Farragi, président de la CPH : « Quand on annonce aux médecins des catastrophes, ils n’y croient pas, parce qu’ils sont persuadés que rien ne pourra se faire sans eux ! »
6/ La personnalisation
Que ce soit François Aubart, Rachel Bocher, Pierre Farragi ou encore Roland Rymer, les présidents d’intersyndicale semblent inamovibles. Par manque de candidats, certainement, plus que par goût du pouvoir, le personnel syndical se renouvelle peu. Ce qui conduit, immanquablement, à la personnalisation des intersyndicales, et à la rupture avec le collectif : « En France, les intersyndicales sont très personnalisées. Il est plus juste de dire : "Que pense Rachel Bocher ?" plutôt que "Que pense l’INPH ?" ou "Que pense Pierre Farragi ?" plutôt que "Que pense la CPH ?" Depuis deux ans, nous nous rendons compte que les intersyndicales sont coupées des réalités », analyse sévèrement le Dr Claude Wetzel, membre du SNPHAR et président de la FEMS.
7/ Le corporatisme
La notion d’ntersyndicale est quelque peu biaisée par la prédominance dans chacune de ces structures, d’un syndicat « poids lourd » qui mène la danse. En l’occurrence, les psychiatres et les urgentistes à la CPH, les anesthésistes et les psychiatres, encore une fois, à l’INPH, les chirurgiens à la CMH. Les intérêts corporatistes ont peut-être joué en défaveur de la mobilisation contre la loi HPST. C’est la thèse défendue par Christophe Prudhomme : « A l’INPH, il y a Rachel Bocher qui est psychiatre, donc peu intéressée par la réforme, puisque les psychiatres avaient négocié des accords particuliers en 2007. Au niveau de la CPH, Farragi est aussi psychiatre et le SPH a beaucoup de poids dans son intersyndicale. La CMH, c’est un peu particulier. Leur alliance avec les PU-PH qui ne sont pas parmi les plus revendicatifs, fait qu’ils ne sont pas très présents sur le terrain. » Le corporatisme des praticiens est renforcé par les procédures électives à la commission statutaire nationale. Les praticiens votent par collèges de spécialités. « Ce mode d’élection est digne des plus belles dictatures. Les chirurgiens votent pour les chirurgiens, les anesthésistes pour les anesthésistes, etc. Plutôt que de se mettre au diapason du monde social, on renforce le corporatisme ! », peste Patrick Pelloux.
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