Lorsqu'il quitte son cabinet, jeudi dernier, aux alentours de 8 h, le Dr Jean-Pierre Batard, président du SML 91, est pressé de rentrer chez lui pour prendre des nouvelles des négociations avec la CNAM.
Mais un groupe l'empêche de rejoindre sa voiture, l'injurie, se fait menaçant. Il se réfugie alors dans son cabinet, pendant que des projectiles sont lancés contre l'immeuble. Il appelle la gendarmerie. Car ce n'est pas la première fois qu'il est pris à partie. En mai dernier, il a été violemment frappé au visage. Deux autres fois, on s'en est pris à sa voiture, en enlevant une roue ou en la taguant, alors que le local de la police municipale se trouve en face du cabinet. Ce soir du 10 janvier, les gendarmes ont fini par arriver au bout de trois quarts d'heure, ils parlent avec les membres de la bande puis viennent le voir pour lui dire qu'ils ne peuvent pas « mettre tout le monde au trou ». Pour finir, ils l'accompagnent jusqu'à son véhicule.
Est-il possible de continuer à travailler dans ces conditions, s'interroge aujourd'hui ce médecin de famille qui, installé depuis dix-huit ans à Lisses, près d'Evry, dans l'Essonne, a su se constituer une clientèle fidèle et fait un métier qui le passionne ? Doit-il arrêter ses consultations à 18 h pour ne pas partir le dernier, parfois tard dans la soirée ? Et que dire de la possibilité, en ces temps de grève, d'être réquisitionné pour les gardes de nuit au risque de rencontrer les mêmes voyous ? Et pourtant, la petite ville de 7 500 habitants où exercent cinq médecins, dont l'un dans le même cabinet que le Dr Batard, ne fait pas partie des cités réputées dangereuses, avec un tissu social protéiforme et sa clientèle n'a rien de particulier...
C'est que le problème de l'insécurité est désormais celui de l'ensemble des médecins. Le Dr Batard le sait bien, puisqu'il fait partie du groupe de travail sur la santé et la sécurité mis en place sous l'égide de la Délégation interministérielle à la Ville pour dresser un état des lieux. Une commission où, dit-il, on écoute « gentiment » les professionnels de santé en leur demandant de trouver des solutions. Mais, dès qu'on aborde des questions concrètes, les politiques ou les élus locaux reprennent la parole. Sur place, le maire, les gendarmes, la justice disent manquer de moyens et se renvoient les responsabilités. Et la lettre que le président de l'Ordre départemental a adressée au préfet pour le saisir du problème à la suite de la première agression est restée sans réponse. Ce qui n'a pas empêché le préfet de lui envoyer un courrier de réquisition quand il a eu besoin de médecins pour les gardes.
Tout en se demandant s'il ne doit pas changer de lieu d'exercice, voire même « tout arrêter », le Dr Jean-Pierre Batard souhaite que, au-delà de l'éventuelle revalorisation des honoraires, le malaise profond de la profession, où l'insécurité entre pour beaucoup, soit enfin considéré dans sa globalité. Ce n'est pas à lui de trouver la solution, répète-t-il. Tout ce qu'il demande, c'est de pouvoir exercer son métier - entendre la douleur des gens, les réconforter, les soulager.
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