IL FAUT AVOIR l'humour et la répartie de Pierre Lamothe (psychiatre, service médico-psychologique régional, Lyon) pour dompter une assemblée de psychiatres sur ses gardes. Lancé dans un numéro digne du Lacan de la grande époque, il emporte le morceau en lançant quelques piques bien senties contre un corps médical peut-être victime aujourd'hui de son quant-à-soi. Alors que la loi sur la récidive* vient d'être promulguée, le débat porte sur l'obligation judiciaire de soins. La psychiatrie est au pied du mur, sommée de se prononcer pour ou contre le texte. Experte des méandres de la psyché humaine, la psychiatrie doit mesurer la dangerosité et évaluer le risque d'une récidive chez les psychopathes. Une disposition qui livre les praticiens à un spasme éthique. La voix de Daniel Zagury, psychiatre à Bondy, est l'étendard de la profession : « On confond le diagnostic et le pronostic. Pour répondre à un tel projet, il ne faut pas être clinicien, mais astrologue. »
Etat limite.
On accuse en vrac la pression sociale qui l'emporte sur l'expertise, les effets de manche politiques et l'imagerie populaire. Il y a déjà un an, à l'hôpital psychiatrique de Pau, une infirmière et une aide-soignante étaient assassinées à l'arme blanche par un ancien patient. De quoi réactiver le fantasme du psychopathe à la Hannibal Lecter. « Les psychopathes n'ont pas les capacités que les réalisateurs leur prêtent pour commettre de grands péchés spectaculaires. Le personnage du "Silence des agneaux" et ses clones n'ont rien à voir avec la psychopathie. Ce sont des pervers. » Le réalisme de P. Lamothe ramène le débat à l'essentiel : la définition de la psychopathie et la distance entre le judiciaire et la psychiatrie dès que l'on touche à ce domaine.
Car « cet état limite, caractérisé par la perturbation relationnelle et l'incapacité à se faire du bien » est aussi « un sujet en creux de la psychiatrie ». « Il n'y a pas de miracle, insiste Sandrine Bonnel, praticienne dans le 11e secteur. On ne guérit pas de la psychopathie : la personnalité est une maladie chronique. »
Avant de poursuivre : « Par nature, le psychopathe met en échec les institutions psychiatriques. La politisation de la psychiatrie à laquelle on assiste bafoue les chances des patients. Ils supportent mal l'hospitalisation, la coercition n'est pas la bonne solution. »
D'autant plus que l'obligation de soins obéit à une incohérence que d'aucuns dénoncent haut et fort. « L'embarras réside dans la nature même de la conduite psychopathique, car il s'agit d'un style de vie et non d'un type d'infraction clairement identifié. Le magistrat ne peut juger un comportement, le psychiatre ne peut sanctionner un style », assène Michel Dubec en bon logicien.
On sait que les 180 000 individus qui font l'objet, en France, d'un suivi socio-judiciaire ne sont encadrés que par quelque 2 300 personnes. On peut donc légitimement s'interroger sur les dispositions d'une loi qui ne se donne pas les moyens de ses ambitions.
Le XIXe siècle rêvait d'une orthopédie de l'esprit. Le XXIe siècle serait-il l'archipel de cette utopie ?
* Datée du 12 décembre, publiée au « Journal officiel » du 13 décembre, la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales prévoit des dispositions pour la surveillance judiciaire et socio-judiciaire des « personnes dangereuses », le risque de récidive devant être constaté par une expertise médicale.
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