Réduire les coûts de santé constitue, dans tous les pays, un objectif prioritaire. Il est compréhensible, dans des pays comme le nôtre où les dépenses atteignent des niveaux considérables, de faire en sorte de maintenir, pour tous, l’accès à des thérapeutiques de haute qualité. Cette progression des dépenses tient à la forte progression de maladies comme le diabète, les pathologies chroniques, et au vieillissement.
Dans d’autres pays aux plus faibles moyens, il s’agit au contraire d’envisager d’accéder à des produits jusque-là inaccessibles en raison de leur prix. On sait par exemple qu’en Afrique, l’accès à l’insuline reste un problème pour beaucoup de pays, même les plus anciennes d’entre elles, depuis longtemps peu utilisées en Europe. Il va sans dire que, dans beaucoup de pays émergents, l’accès aux insulines que nous utilisons en Europe – recombinantes, ultrarapides ou lentes (glargine surtout) – est quasiment impossible, hormis pour de très rares privilégiés.
Comme pour les autres produits pharmaceutiques, le principe de copier l’original une fois le brevet expiré constitue donc un enjeu de santé crucial. Ainsi le principe des « génériques » a-t-il été adopté et largement développé, avec l’objectif d’un taux de remplacement voisin de 80 % en France. Alors, concernant des produits de santé vitaux, comme l’insuline, pourquoi ne pas envisager de les génériquer aussi ?
Beaucoup plus complexes
En 2013, l’ANSM rappelait que « les médicaments issus de la biotechnologie sont des molécules complexes, tant par leur taille que par leur conformation spatiale et leur formule chimique. Ces structures ne peuvent pas être obtenues par la chimie de synthèse. Alors qu’à partir d’une voie de synthèse chimique classique, on obtient une population moléculaire homogène et reproductible du même principe actif, à partir d’un système de production biologique, c’est une population mixte de la molécule active sous des formes variantes qui est obtenue, compte tenu de la complexité des processus biologiques ».
Les génériques sont en effet des copies facilement rendues identiques à l’original et les critères d’équivalence aisément atteints sans avoir à repasser par des études précliniques ou cliniques.
Les insulines, comme d’autres produits « biologiques thérapeutiques » (érythropoïétine, interféron-B, hormone de croissance, facteur VIII, anticorps monoclonaux), sont des protéines complexes, y compris au plan tridimensionnel, de très grande taille, pour lesquelles les dimensions techniques sont bien plus délicates et les enjeux plus lourds de conséquences.
Les originaux approuvés ont été initialement obtenus par des processus longs, très spécifiques et sophistiqués impliquant des organismes vivants. Leur mise sur le marché a fait l’objet de procédures d’évaluation de leur efficacité et de leur sécurité, longues très complexes, fondées sur des études précliniques et cliniques, lourdes et coûteuses, suivies rigoureusement une fois sur le marché. La reproduction « stricte, absolue, à l’identique » du processus est donc difficile voire impossible et ne peut s’imaginer, éventuellement, que menée par des entreprises pharmaceutiques disposant déjà d’une haute technicité, d’une parfaite maîtrise de ces procédés. C’est pourquoi le terme de « biosimilaire » a été adopté.
Ce qui peut varier
Les conséquences de ces possibles variants de molécules sont principalement d’ordre immunitaire, liées au processus de fabrication, à la formulation ou à la protéine elle-même. Pour les insulines, la question se double de modifications de l’efficacité et de la pharmacocinétique (PK) et de la pharmacodynamie (PD) : des sujets essentiels en diabétologie, avec pour possibles conséquences une perte d’efficacité, des cinétiques modifiées et des hypoglycémies plus nombreuses. En somme, les biosimilaires ne sont pas de simples « biogénériques » et leur la production ne devrait donc s’envisager que par les quelques groupes pharmaceutiques qui disposant déjà d’un savoir faire dans ce domaine.
Professeur à la faculté de médecine de Grenoble université Joseph Fourier
Liens d’intérêts en relation avec ce manuscrit : Serge Halimi participe à des groupes de travail, conférences avec rémunération et de prises en charge pour congrès de la part de : Eli Lilly, Novo Nordisk et Sanofi.
Pour en savoir plus :
– Owens DR, Landgraf W, Schmidt A, Bretzel RG, Kuhlmann MK. The emergence of biosimilar insulin preparations--a cause for concern ? Diabetes Technol Ther. 2012;14:989-96.s
– Heinemann L, Hompesch M. Biosimilar Insulins : Basic Considerations. J Diabetes Sci Technol 2014;1(8):6-13.
– DeVries JH, Gough SC, Kiljanski J, Heinemann L. Biosimilar insulins : a European perspective. Diabetes Obes Metab 2014 Nov 7. PubMed PMID : 253766002
– Edelman S, Polonsky WH, Parkin CG. Biosimilar insulins are coming : what they are, what you need to know. Curr Med Res Opin. 2014;30:2217-22.
– Blumer I, Edelman S. Biosimilar insulins are coming : the top 10 things you should know. Postgrad Med. 2014;126:107-10.
– García-Nares H, Leyva-Carmona MI, Pérez-Xochipa N, Chiquete E. Hypersensitivity reaction to a biosimilar insulin glargine. J Diabetes. 2014 Oct 28. Online PubMed PMID: 25350350.
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