« SUR 60 000 DÉTENUS, 470 auraient plus de 70 ans, dont 10 plus de 80 ans et un nonagénaire. La vie de ces personnes ne poserait pas de problèmes, la prison étant devenue leur lieu de vie, leur domicile. Malheureusement, la plupart sont incarcérées dans des établissements inadaptés aux handicaps physiques liés à l'âge : nombreux escaliers, absence d'ascenseurs et de plans inclinés rendant inaccessibles (...) les locaux médicaux, voire les lieux de promenade, a fortiori pour ceux qui doivent utiliser un fauteuil roulant », écrit l'Académie de médecine dans un rapport remis à Jean-François Mattei. Par lettre en date du 28 août dernier, le ministre de la Santé avait confié à l'Académie la mission de préciser les situations pathologiques qui pourraient relever de la mesure de suspension de peine pour raison médicale.
La mort derrière les barreaux.
« S'il est habituel qu'un détenu âgé atteint de déficience cognitive et relationnelle bénéficie d'un transfert dans une institution médicalisée appropriée où il achèvera sa vie, il ne faut pas méconnaître que le même aménagement pour des prisonniers en fin de vie mais lucides peut représenter un réel traumatisme », estime le Pr Denys Pellerin, rapporteur au nom du groupe de travail . Il s'agit le plus souvent de condamnés à perpétuité ayant rompu tout lien avec leur famille et pour lesquels le pénitencier est devenu « le milieu de vie habituel ». Or, actuellement, il manque « cruellement » d'accompagnement « dû à toute personne en fin de vie », affirme l'Académie, après avoir recueilli les avis qualifiés de médecins pénitentiaires.
De même, il faut apporter « une attention toute particulière » aux détenus, quel que soit leur âge, « dont la situation pathologique engage le pronostic vital ». Cela concerne spécialement les sujets fumeurs et souvent alcooliques « parvenant rapidement et encore jeunes au stade terminal d'un cancer du poumon ou des voies aéro-digestives supérieures ». Dans des cas de ce type, la suspension de peine (art.720-1-1 du code de procédure pénale) est à envisager « pour autant que le bénéficiaire ait un entourage familial », ou que soit mis en œuvre un dispositif extérieur « adapté à son état ». Pour les détenus chez qui l'on soupçonne un « risque de persistance de dangerosité », des mesures ad hoc sont nécessaires. En dehors de ces cas, minoritaires par rapport au nombre de suicides, l'Académie appelle l'autorité pénitentiaire à faire en sorte que « le temps de la fin de vie en incarcération » se passe « dans les conditions requises de respect de la dignité de la personne » grâce à des soins palliatifs et d'accompagnement idoines.
La démarche de suspension de peine pour raison médicale est complexe (voir encadré), ce qui fait dire à l'Académie que les dispositions de l'article 720-1-1 « devraient pouvoir être aisément appliquées » aux condamnés qui en ont besoin, notamment les cancéreux (tabac-alcool) en phase terminale. Et elle souhaite que le JAP, dont dépend la décision, et les trois experts chargés de l'éclairer tiennent « le plus grand compte de l'avis du médecin de l'Ucsa (unité de consultation et de soins ambulatoires) chargé du détenu ».
Disparités de moyens.
Quant aux condamnés atteints d'une affection, « ils devraient bénéficier des conditions de prise en charge sanitaire par le service hospitalier », ce qui limiterait le recours à l'article 720-1-1. Cependant, « on ne dispose d'aucune statistique sur les pathologies observées en milieu pénitentiaire », fait remarquer l'Académie. Et « il y a, à l'évidence, une grande disparité de moyens » selon les prisons. Les personnels médicaux et paramédicaux sont « en maints » endroits « particulièrement insuffisants pour répondre aux besoins et, pour certains, pas assez formés ». L'attribution de budgets, de locaux et d'équipements relevant exclusivement de l'autorité judiciaire « conduit parfois à laisser perdurer des situations préjudiciables à la prise en charge », dénoncent les académiciens. Sans compter que, dans la plupart des établissements, les cellules sont fermées à 17 heures et que « très rares » sont ceux où il existe une présence médicale permanente. « Le suivi d'un traitement prescrit pour être réparti sur les vingt-quatre heures a les plus grandes chances d'être interrompu. La spécificité d'une surveillance continue telle que celle d'un diabète de type 1 ne peut être assurée. La survenue d'un événement médical aigu nocturne relève du dispositif civil de type SOS-Médecins, pour autant qu'ait été identifié (par qui ? le codétenu ?) et signalé l'état anormal du détenu. Certes, concède l'Académie, les Ucsa facilitent grandement l'accès du malade aux spécialistes hospitaliers pour consultation ou hospitalisation. Encore faudrait-il que celui-ci ne soit pas dépendant des disponibilités réduites des personnels de police et de surveillance ». Une fois de plus, en somme, on crie haro sur la santé incarcérée.
Le médecin et la suspension de peine
Selon la législation en vigueur, il appartient au médecin traitant d'un délinquant ou d'un criminel condamné, c'est-à-dire au médecin de l'unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa), ou éventuellement au praticien qui l'accueille dans un service hospitalier, d'envisager une suspension de peine pour raison médicale. Ce, « dès lors qu'il estime que son état de santé est tel qu'il pourrait bénéficier de cette mesure », rappelle aux directeurs régionaux des services pénitentiaires une circulaire de la DGS du 24 juillet 2003.
D'une manière générale, le médecin « informe le détenu de la gravité de son état, en veillant à ce que le soutien et l'accompagnement psychologique nécessaires lui soient apportés », et lui remet un certificat médical. Ce dernier peut indiquer notamment que le pronostic vital est engagé, ou que l'état de santé du condamné est durablement incompatible avec son maintien derrière les barreaux (hors les cas d'hospitalisation de détenus en établissement de santé pour troubles mentaux). Toutefois, il ne se substitue pas aux deux expertises médicales distinctes qui doivent établir « de manière concordante » que l'intéressé se trouve dans l'une de ces deux situations (loi du 4 mars 2002). Il revient, par la suite, au prisonnier de transmettre le certificat au juge de l'application des peines (JAP) ou au service pénitentiaire d'insertion et de probation, ou à son avocat ou à sa famille, voire au directeur de la prison afin de constituer son dossier d'aménagement de peine. S'il refuse la procédure, il lui est remis néanmoins un certificat médical et, dans ce cas également, un soutien psychologique et un accompagnement doivent lui être proposés.
Enfin, dans l'hypothèse où il est dans l'incapacité de s'engager dans la procédure ou de comprendre la gravité de son état, le médecin fournit un certificat, ne comportant pas d'éléments diagnostiques, à sa famille ou à ses proches.
L'article 720-1-1 du code de procédure pénale n'est pas applicable pour les personnes en détention provisoire, cependant, elles peuvent solliciter auprès de la juridiction compétente une demande de mise en liberté. Le rôle du praticien est alors le même qu'avec un condamné.
Par ailleurs, les détenus nécessitant un traitement médical peuvent bénéficier d'autres mesures, comme la libération conditionnelle, la semi-liberté, le placement extérieur ou le placement sous surveillance électronique. A ce stade, il n'est pas du ressort du médecin de préciser le type d'aménagement de peine à demander, car la décision relève de l'autorité judiciaire.
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