LES TRAITEMENTS anticoagulants ont de nombreuses indications. Si l’on prend l’exemple de la maladie thromboembolique veineuse, le médecin a le choix entre trois types de molécules : l’héparine non fractionnée avec l’héparine en perfusion, l’héparine calcique (Calciparine) et les héparines de bas poids moléculaire (Hbpm).
Traitement curatif anticoagulant.
L’héparine non fractionnée par voie veineuse est un traitement bien codifié mais très contraignant qui n’est pratiquement plus utilisé. L’héparine calcique est un traitement théoriquement simple, mais également très contraignant chez le sujet âgé et le choix se porte préférentiellement sur les Hbpm.
En 2002, l’Afssaps a publié des recommandations pour la surveillance des Hbpm indiquant qu’il est impératif, avant toute prescription, de déterminer la valeur de la fonction rénale en calculant la clairance de la créatinine par la formule de Cockcroft. La méthode est approximative (parce qu’elle utilise l’âge et le poids), mais c’est la seule qui soit utilisable en pratique quotidienne. La clairance calculée de la créatinine est égale à (140 – âge x poids) / créatinine en micromoles/l. Chez les femmes, cette formule donne directement la valeur recherchée ; chez les hommes il faut rajouter 25 %.
Lorsque la clairance calculée est inférieure à 30 ml, les Hbpm sont contre-indiquées, lorsqu’elle est comprise entre 30 et 60 ml, des précautions d’emploi sont nécessaires.
La posologie des Hbpm en curatif est variable selon la molécule utilisée avec une ou deux injections par jour.
Pour la surveillance du traitement, le médecin dispose de l’activité anti-Xa qui est un marqueur d’accumulation de l’Hbpm. L’anti-Xa doit être dosé dans les 3 ou 4 heures suivant la 3e injection quand il y a deux injections par jour et dans les 4-6 heures après la 2e injection quand il y a une seule injection par jour. Le dosage est à refaire entre le 5e et le 7e jour ; le taux thérapeutique doit être compris entre 0,5 et 1 unité anti-Xa/ml ; dès qu’on dépasse la valeur seuil, variable selon la molécule, il faut se méfier car il y a risque d’accumulation donc de saignement.
La numération plaquettaire est obligatoire à J0, J3, J7, mais en sachant que le risque de thrombopénie induit par l’héparine est beaucoup plus faible avec l’Hbpm qu’avec l’héparine calcique.
Le traitement curatif ne doit pas dépasser dix jours, ce qui signifie que, dès la mise en route du traitement par Hbpm, il faut mettre en route un traitement par antivitamine K (AVK), avec la contrainte de deux traitements à surveiller.
Une exception à la limite des dix jours d’Hbpm pour les patients qui ont un cancer évolutif avec fort risque d’accident veineux thromboembolique, en particulier ceux qui vont révéler leur maladie cancéreuse par une phlébite ou une embolie pulmonaire. Dans ce cas, le risque de saignement sous AVK est supérieur au risque de saignement sous Hbpm, donc pas de relais par AVK et poursuite du traitement par Hbpm durant trois à six mois.
Il faut ajouter que les antiagrégants plaquettaires n’ont pas de place dans le traitement de la maladie thromboembolique veineuse, ni en prévention ni en relais.
Un traitement anticoagulant prophylactique.
Près de la moitié des patients qui auraient besoin d’un traitement anticoagulant prophylactique n’en ont pas et environ 40 % qui n’en ont pas besoin ont un traitement inutile. En pratique, seuls deux médicaments, l’énoxaparine (Lovenox) et la daltéparine (Fragmine), ont une indication en prophylaxie en milieu médical. Le traitement (une seule injection sous-cutanée par jour) est indiqué :
– chez les patients à risque élevé : infarctus du myocarde récent, AVC récent, paralysie d’un ou des deux membres inférieurs ;
– chez des patients à risque modéré mais dont l’alitement va dépasser 72 heures et qui présentent soit un des facteurs suivants : antécédent de phlébite, insuffisance cardiaque aiguë, insuffisance respiratoire aiguë, infection sévère, cancer évolutif, hypercoagulabilité, polyglobulie, soit deux facteurs : obésité, varices, malnutrition, déshydratation, syndrome néphrotique, insuffisance respiratoire chronique, estrogénothérapie.
L’étude MEDENOX a montré que seule la posologie de 0,4 ml (4 000 UI) d’énoxaparine correspond à une posologie efficace et plus le sujet est âgé plus le traitement est efficace.
Chez les personnes alitées depuis plus de trois mois, passée une phase dangereuse au moment où ils deviennent grabataires, l’incidence des événements thromboemboliques n’est pas différente de celle des sujets non alités. Il faut donc éviter des traitements au long cours chez ces sujets.
En France, on avait l’habitude d’utiliser des médicaments à demi-vie courte comme l’acécoumarol (Sintrom), mais une demi-vie courte entraîne des fluctuations d’activité et chez le sujet âgé mieux vaut utiliser des AVK à demi-vie longue comme la fluindione (Préviscan) ou la warfarine (Coumadine).
Un schéma simple de prescription des AVK avec la warfarine.
La warfarine est intéressante chez le sujet âgé parce qu’elle se présente sous forme de comprimés à 5 et à 2 mg qui permettent l’utilisation de petites doses si nécessaire.
L’équipe de Mme Siguret, en collaboration avec les gériatres de l’hôpital Charles-Foix a proposé un schéma de prescription de la warfarine, facile à respecter, chez les personnes très âgées.
On démarre à J0 en donnant 4 mg de warfarine entre 18 et 20 heures ; à J1, 2e prise à la même heure ; à J2, 3e prise à la même heure ; à J3, à 8 heures du matin, dosage de l’INR et selon le taux d’INR, modification de la dose de médicament qui sera prise le soir de J3.
Si l’INR est < 1,3, on passe à 5 mg ; s’il est compris entre 1,3 et 1,7, on reste à 4 mg ; entre 1,5 et 1,7, on passe à 3 mg ; entre 1,7 et 1,9, on passe à 2 mg ; entre 1,9 et 2,5, on passe à 1 mg ; s’il est > 2,5, arrêt du traitement jusqu’à ce que l’INR soit < 2,5 et reprise à 1 mg.
Le schéma prévoit un nouvel INR à J5 et à J7. Dans la majorité des cas, l’INR dépasse 2 entre le 6e et le 7e jour et les auteurs de cette étude ont montré que trois patients sur quatre sont équilibrés avec la dose prédite le 3e jour.
A partir du moment où l’équilibre est obtenu, après deux dosages successifs avec un INR compris entre 2 et 2,5, on fera un dosage d’INR une fois par semaine pendant un mois, puis un dosage d’INR tous les 15 jours.
Chez le sujet âgé, c’est une contrainte à laquelle s’ajoute une surveillance de la numération pendant la phase d’équilibration et une surveillance particulière en cas de pathologie associée, car un certain nombre de médicaments et en particulier les antibiotiques vont interférer avec les AVK. Des précautions doivent être prises également en cas d’insuffisance hépatique et en cas de fonction rénale altérée.
Que faire en cas de surdosage en AVK ?
Un INR compris entre 3,5 et 5 doit conduire à supprimer une prise et à reprendre, après 24 heures d’arrêt, à un palier plus faible.
Un INR entre 5 et 9 doit conduire à supprimer deux prises, donner de la vitamine K par voie orale (1-2 mg) et reprendre à dose plus faible.
Un INR supérieur à 9 entraîne l’arrêt temporaire de l’AVK avec la prescription de 5-10 mg de vitamine K par voie intraveineuse et une surveillance de l’INR jusqu’à ce qu’il revienne à des valeurs normales. Ultérieurement, l’AVK est repris à des doses significativement plus faibles et avec une surveillance étroite.
Un saignement mineur (ecchymose, gingivorragie) justifie une surveillance clinique. Un saignement important (hémorragie interne, hypotension, anémie sévère) nécessite une hospitalisation avec arrêt de l’AVK, vitamine K intraveineuse et si nécessaire des facteurs de la coagulation (Kaskadil).
Le suivi des traitements par AVK, quel que soit l’âge, s’accompagne obligatoirement, depuis le 1er janvier 2004, de la remise au patient d’un carnet de suivi.
Si beaucoup de patients âgés ont besoin d’anticoagulants, en pratique ces traitements restent difficiles à manier. Les recommandations de l’Afssaps et les données de protocoles de surveillance des AVK doivent permettre une prescription plus facile et à moindre risque.
D’après un entretien avec le Pr Jean-Paul Emeriau, CHU de Bordeaux, service de médecine interne-gériatrie, hôpital Xavier-Arnozan, Pessac.
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