:Par M. ESPIE, D. WEHRER*
EN PRÉSENCE d'un envahissement ganglionnaire, paramètre pronostique le plus important, une chimiothérapie sera systématiquement proposée à toutes les femmes de moins de 70 ans. Si les récepteurs hormonaux sont positifs, une hormonothérapie sera associée.
En l'absence de ganglions malades, on prendra en considération l'âge de la patiente, la taille tumorale, l'expression des récepteurs hormonaux, le grade tumoral et, pour certains, la présence d'emboles vasculaires.
La conférence de consensus du National Institutes of Health de 2000 a proposé une chimiothérapie pour toutes les femmes dont la tumeur fait plus d'un centimètre et ce, quel que soient les récepteurs hormonaux. La conférence de St Gallen de 2003 a défini des profils de risque, résumé dans le tableau ci-dessous. Pour être classé à haut risque, un seul facteur est nécessaire, pour les autres groupes l'ensemble des facteurs doit être présent.
Pour les femmes dont la tumeur est considérée comme à bas risque, un traitement adjuvant n'est pas nécessaire. En cas de risque intermédiaire, une hormonothérapie par tamoxifène est proposée éventuellement en association avec une chimiothérapie. Pour les femmes à haut risque, avant la ménopause et si les récepteurs hormonaux sont positifs, une chimiothérapie sera proposée éventuellement en association avec du tamoxifène, la chimiothérapie pouvant être remplacée par une castration. Chez les femmes ménopausées dont la tumeur est RE +, on proposera une hormonothérapie éventuellement associée à une chimiothérapie, tandis que pour les femmes dont la tumeur est RE -, qu'elles soient ménopausées ou non, on proposera une chimiothérapie.
La chimiothérapie.
Le traitement de référence a longtemps été le CMF qui reste utilisé surtout dans les pays du Nord de l'Europe. Depuis les années 1980, les anthracyclines (doxorubicine, 4'epidoxorubicine) font partie des chimiothérapies adjuvantes dans les protocoles de type AC, FAC, FEC, surtout pour les patientes dont la tumeur s'accompagne d'un envahissement ganglionnaire. Le gain apporté par les anthracyclines dans cette situation est modeste mais certain (de l'ordre de 5 % en réduction supplémentaire de mortalité). Ce gain est surtout observé chez les patientes dont la tumeur surexprime CerbB2 ou en cas d'amplification des topoisomérases II.
Depuis le début des années 2000, les taxanes sont également utilisées chez ces patientes (avec un gain du même ordre par rapport aux anthracyclines). Les associations avec taxanes sont donc devenues les références en cas d'envahissement ganglionnaire. Des facteurs prédictifs de réponse sont à l'étude avec des résultats contradictoires.
L'hormonothérapie.
Le tamoxifène a longtemps été la molécule de référence. Mais ces dernières années les inhibiteurs de l'aromatase ont été développés, tout d'abord en situation métastatique, puis en adjuvant. Plusieurs essais ont été menés chez des patientes ménopausées dont la tumeur présentait des récepteurs hormonaux positifs.
La première étude publiée en adjuvant est l'étude ATAC (Arimidex, Tamoxifen Alone or in Combination), qui a mis en évidence une amélioration de la survie sans événement sous anastrozole par rapport au tamoxifène (la survie sans événements regroupe les rechutes locales, les cancers controlatéraux et les métastases) chez les patientes RE +. Avec un recul de 68 mois de suivi, on observe en valeur absolue un gain de 2,4 % en survie sans événement pour l'ensemble de la population et de 2,9 % chez les patientes RE +. Il n'a pas été observé de différence en termes de survie entre les deux traitements.
La deuxième étude a comparé le létrozole au tamoxifène. C'est en fait une partie de l'étude BIG 1-98 (Breast International Group). Avec un recul assez court (25,8 mois), le létrozole réduisait de manière significative le risque de survenue d'un événement HR = 0,82 (IC = 0,71-0,95) et de rechute à distance HR = 0,73 (IC : 0,60-0,88). Le bénéfice en valeur absolue en survie sans événement à 2,2 ans est de 2,6 %.
L'essai MA17/BIG 1-97, mené conjointement par le National Cancer Institute du Canada et le Breast International Group, a randomisé chez des patientes ménopausées RH + qui avaient poursuivi 5 ans de tamoxifène, la prise de létrozole pendant cinq autres années à un placebo. Cet essai a été arrêté prématurément après une analyse intermédiaire qui a mis en évidence un gain thérapeutique en faveur du létrozole (réduction de 3,5 % des rechutes loco-régionales, rechutes à distance et métastases pour un suivi médian de 30 mois). Il était attendu un bénéfice absolu à 4 ans de 4,6 %. Un bénéfice en survie globale a été mis en évidence pour les patientes dont la tumeur s'accompagnait d'un envahissement ganglionnaire avec un Hazard ratio de 0,61 (IC = 0,38-0,98).
Enfin, plusieurs essais randomisés ont comparé le tamoxifène pendant 5 ans à une séquence tamoxifène pendant 2 ou 3 ans, suivie d'un inhibiteur de l'aromatase. Le premier essai publié (Intergroup Exemestane Study) utilisait l'exémestane. Après 30,6 mois de médiane de suivi, les auteurs ont comptabilisé 266 événements sous tamoxifène et 183 sous exémestane HR = 0,68 (p = 0,00005).
Des essais numériquement plus petits ont testé le même principe d'hormonothérapie séquentielle avec l'anastrozole. Dans l'ITA (Italian Tamoxifen Anastrozole Trial), 45 événements ont été observés dans le bras tamoxifène contre 17 sous anastrozole (p = 0,0002) pour un suivi médian de 36 mois.
La compilation des essais ABCSG et ARNO regroupant 3 224 patientes ménopausées RH +, N - ou N +, a montré 67 événements sous anastrozole contre 110 sous tamoxifène (HR = 0,60 IC : 0,44-0,81) avec un suivi le 28 mois en moyenne.
Concernant la tolérance, les inhibiteurs de l'aromatase ont des profils de toxicité assez similaires : bouffées vasomotrices, sueurs, asthénie, arthralgies, douleurs musculaires, diarrhée et ostéoporose. Il n'a pas été mis en évidence d'excès de nouveaux cancers et il y a moins d'accidents thromboemboliques que sous tamoxifène. Il faut cependant se souvenir que l'on a mis plus de vingt ans avant de bien mesurer ces effets. Les inhibiteurs de l'aromatase sont devenus les molécules de référence chez les patientes ménopausées. Il est souhaitable d'avoir un peu plus de recul pour bien apprécier leurs effets indésirables et, là encore, de savoir quelles sont les femmes qui en bénéficient réellement et, par exemple, quelles sont celles qui surexpriment l'aromatase.
En conclusion.
Si l'incidence du cancer du sein s'accroît de manière importante, la mortalité stagne ou même a tendance à reculer chez les femmes jeunes ; probablement du fait de l'action conjointe du dépistage précoce et de l'efficacité des traitements. Il convient donc de se mobiliser pour faire du dépistage organisé un succès et de traiter l'ensemble des femmes atteintes en respectant le plus possible les indications thérapeutiques afin de leur offrir toutes leurs chances de guérison.
C'est probablement grâce aux approches ciblées plus spécifiques que des progrès vont continuer à se dessiner.
* Centre des maladies du sein, hôpital Saint-Louis.
Thérapeutiques ciblées
Ces dernières années, il a été mis en évidence la surexpression d'un récepteur d'un facteur de croissance proche de l'EGF (Epidermal Growth Factor) surexprimé dans 25-30 % des cancers du sein invasifs, avec une activité oncogénique. Cette glycoprotéine transmembranaire à activité tyrosine kinase localisée en 17q21, qui possède 50 % d'homologie avec l'EGFR (erbB1), serait corrélée au pronostic et aurait une valeur prédictive. Un anticorps monoclonal, le rhuMab-HER2 = trastuzumab = HERCEPTIN, a été mis au point. En situation métastatique, son association à une chimiothérapie a permis d'obtenir des taux de réponse supérieurs à l'utilisation de la chimiothérapie seule chez des patientes dont la tumeur surexprimait CerbB2. Des essais en adjuvant ont été rapidement débutés et ont mis en évidence une réduction du risque de rechute de l'ordre de 50 %.
Le trastuzumab est donc actuellement systématiquement proposé en cas de surexpression de CerbB2. Nous ne connaissons pas la durée optimale de traitement, c'est pourquoi l'INCA a développé un protocole (PHARE) comparant 12 mois à 6 mois de traitement.
Des traitements à visée antinéoangiogenèse sont en cours de développement. Dans la même optique, des anti-COX-2 sont évalués en situation adjuvante.
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