Par le Dr DANIELE RANOUX*
DÈS LE DéBUT de l'utilisation de la TB dans les dystonies cervicales, les cliniciens ont remarqué un effet particulièrement net sur l'élément douloureux. De plus, l'effet sur la douleur survenait avant même la décontraction musculaire et dépassait par son intensité le degré de relaxation musculaire, suggérant que la TB pouvait avoir un effet antalgique distinct de son effet myorelaxant. Nous présentons ici les données expérimentales et cliniques récentes qui suggèrent l'efficacité de la TB dans le traitement de certaines douleurs neuropathiques.
La physiopathologie des douleurs neuropathiques fait intervenir des mécanismes périphériques et centraux. Compte tenu du mode d'administration de la TB, ce sont les mécanismes périphériques qui vont particulièrement nous intéresser ici. Parmi ceux qui ont été décrits (décharges ectopiques, modifications phénotypiques…), la sensibilisation des nocicepteurs polymodaux C apparaît importante, en particulier dans les douleurs liées à des lésions nerveuses périphériques (post-traumatiques ou postzostériennes, essentiellement). Cette sensibilisation périphérique des nocicepteurs résulte principalement de processus d'inflammation neurogène. La transmission par voie antidromique de potentiels d'action vers les terminaisons périphériques des fibres C entraîne la libération de peptides vasoactifs, tels que la substance P (SP), la calcitonine de gènes liés au peptide (CGRP) et le glutamate, et la surexpression du récepteur vanilloïde TRPV1 (transient receptor potential vanilloid 1), l'ensemble réalisant une inflammation dite neurogène (1). Ces mécanismes se traduisent cliniquement par une allodynie.
Ainsi, on peut s'attendre que le blocage de la libération de ces neurotransmetteurs et de la surexpression des TRPV1 au niveau des terminaisons nerveuses cutanées des fibres C puisse inhiber ou diminuer la sensibilisation des récepteurs. Or des données récentes montrent que la TB est capable, en interférant avec les complexes SNARE, impliqués de manière ubiquitaire dans le processus d'exocytose, de bloquer le largage d'autres neuropeptides et, en particulier, de neurotransmetteurs responsables de l'inflammation neurogène (SP, CGRP, glutamate). On a également montré que la TB inhibait la potentialisation du récepteur à la capsaïcine, le TRVP1.
Restait à étudier si la TB pouvait effectivement inhiber l'inflammation neurogène.
Y a-t-il des données expérimentales en faveur d'une action de la TB sur l'inflammation neurogène ?
Les expériences chez l'animal semblent le confirmer. Dans un modèle animal de douleur neuropathique (rats traités par la formaline), la TB administrée 5 ou 12 jours avant l'injection de formol inhibe la sensibilisation périphérique de manière dose-dépendante (2). Dans des modèles animaux de douleur neuropathique, la TB diminue significativement l'allodynie thermique et mécanique.
Chez le volontaire sain, les résultats des sept études publiées sont plus contradictoires. Ces différences ont plusieurs explications. En particulier, on peut s'interroger sur la capacité de ces protocoles expérimentaux de douleur aiguë à reproduire des symptômes douloureux continus liés à une atteinte nerveuse périphérique. Surtout, il faut garder à l'esprit que, pour exercer son action protéolytique, la TB doit se fixer sur la terminaison nerveuse, et que cette fixation est d'autant plus intense que la terminaison est plus excitée. Or, dans toutes ces études, au moment de l'injection de toxine, qui se fait quelques jours avant l'application du stimulus douloureux, les terminaisons nerveuses de ces volontaires sains ont par définition un niveau normal d'activité. Dans ces conditions, il est peu probable qu'une quantité significative de TB soit fixée et, donc, internalisée.
Expérience clinique.
Compte tenu des limitations des modèles expérimentaux, il était important d'évaluer en pathologie l'efficacité de la TB. Nous avons récemment conduit la première étude clinique randomisée en double insu contre placebo évaluant l'efficacité de la TB dans les douleurs neuropathiques d'origine traumatique ou postzostérienne, associées à une allodynie (3). Le traitement consistait en de multiples injections sous-cutanées de TB de type A (Botox) réparties dans la zone allodynique. La dose administrée dépendait donc de la surface de la zone allodynique, la dose maximale étant de 200 unités. Cette étude a montré une amélioration de l'intensité douloureuse moyenne qui était significative à partir de la deuxième semaine et jusqu'à la quatorzième semaine. Le nombre nécessaire de patients à traiter pour obtenir un soulagement de 50 % était de 3,03 à 12 semaines. Aux évaluations quantifiées, on constatait également une diminution significative de l'allodynie au frottement et au froid. La précocité d'action suggère un mécanisme périphérique, probablement par le biais de l'inhibition du largage de neuropeptides vasoactifs et des récepteurs TRPV1, sans qu'on puisse exclure un mécanisme d'action central, étant donné la longue durée d'action observée, et le fait que, chez certains patients, l'effet s'est non seulement maintenu du 3e au 6e mois, mais également majoré.
On dispose désormais d'un faisceau d'arguments expérimentaux et cliniques en faveur d'une action antalgique de la TB, au moins dans les douleurs neuropathiques focales d'origine périphérique, vraisemblablement par le biais d'une diminution de l'input nociceptif périphérique. Toutefois, plusieurs points demandent à être étudiés : intérêt de la TB dans des douleurs neuropathiques sans allodynie, dans d'autres types de douleur neuropathique, intérêt de la répétition des injections et de leur précocité.
L'image de la TB en tant qu'antalgique possible a beaucoup pâti d'une recherche désordonnée et sans référence à la physiopathologie de la douleur explorée et au mode d'action de la TB. On peut toutefois envisager que la TB puisse être utile dans les douleurs où il existe une hypersécrétion de neurotransmetteurs accessible aux injections de TB.
* Service de neurologie, CHU Dupuytren, Limoges.
(1) Baron R. Mechanisms of disease: neuropathic pain – a clinical perspective. Nat Clin Pract Neurol 2006; 2: 95-106.
(2) Cui M, Khanijou et coll., Subcutaneous administration of botulinum toxin A reduces formalin-induced pain. Pain 2004; 107:125-33.
(3) Ranoux D, et coll. Botulinum toxin induces direct analgesic effects in chronic neuropathic pain. Ann Neurol 2008 (in press).
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