Avant de devenir IBODEs, les « panseuses » avaient déjà pour responsabilité d'assister le chirurgien dans sa tâche et de veiller au bon fonctionnement des salles opératoires. Depuis quelques années, leur rôle a considérablement évolué, suivant en cela les mutations des techniques chirurgicales. L'émergence de nouvelles affections - nosocomiales, pathologie transfusionnelle, hépatites, SIDA - a aussi poussé au développement des procédures de traçabilité et de matériovigilance.
Jusqu'à une époque récente, aucune qualification n'était requise pour travailler comme aide opératoire. Au début des années soixante-dix, pour répondre à la volonté de reconnaissance du travail des infirmières de bloc opératoire, les pouvoirs publics ont mis en place des formations spécifiques. Les premières promotions d'IBODEs ont pourtant dû lutter pour être acceptées comme des professionnelles dotées d'un savoir particulier et trouver leur place au sein des équipes. On se rappelle que, il y a encore trente ans, leur travail était dévolu à des « aides opératoires instrumentistes », auxquelles aucune qualification n'était demandée ; aujourd'hui, les IBODEs représentent la moitié des personnels infirmiers de bloc opératoire. Leur responsabilité relève à la fois de l'acte technique et de la gestion au quotidien des problèmes de santé publique.
Il s'agit pour elles de prendre en compte la prévision du matériel, sa préparation, son contrôle (date de stérilisation, conformité), de même que la traçabilité, le prétraitement avant stérilisation.
L'action des IBODEs s'exerce donc principalement dans trois domaines : l'hygiène, l'accompagnement de l'intervention, qui fait appel à des équipements technologiques de plus en plus sophistiqués, et la mise en place de procédures. C'est d'ailleurs là que leur apport est le plus notable. En effet, si nous disposons aujourd'hui de fiches opératoires détaillant les différentes phases des interventions, les produits et le matériel utilisés, c'est grâce à elles. De même, elles ont été à l'origine de la mise en place de systèmes d'alerte face aux infections nosocomiales et aux pathologies iatrogènes, dont la fréquence a considérablement augmenté depuis deux décennies.
Le personnel
Durant la même période, la pratique chirurgicale a connu des bouleversements considérables. La plus notable concerne sa pratique au quotidien. Jusqu'aux années soixante-dix, la plupart des chirurgiens exerçait en effet une activité pluridisciplinaire. Ces chirurgiens « généraux » étaient assistés d'internes et de chefs de clinique tout aussi polyvalents, autonomes très tôt dans leur cursus. Dans ce contexte, la notion d'équipe était particulièrement valorisée et les « panseuses » travaillaient « en binôme » avec un chirurgien. Les liens étaient encore renforcés par le fait que les gardes s'exerçaient entre collaborateurs réguliers.
Au fil des ans, les blocs opératoires sont progressivement devenus monodisciplinaires. Leur personnel médical et paramédical s'est spécialisé et les chirurgiens polyvalents ont disparu.
Il n'y a plus aujourd'hui d'équipes constituées, mais ce qui a été perdu en termes de qualité relationnelle a été largement compensé par la rationalisation des tâches et des procédures. Au bout du compte, la sécurité du malade y a gagné, même si beaucoup d'IBODEs regrettent la complicité des moments passés en salle de garde.
Curieusement, le recrutement des infirmières de bloc opératoire est actuellement insuffisant, alors que la profession est a priori attractive. On observe que leur fonctions sont souvent tenues par des IDE (infirmières diplômées d'Etat), qui plus est en début de carrière. C'est que, comme tous les secteurs de la vie sociale, l'hôpital a dû s'adapter à des rythmes différents. Les cadences opératoires augmentent et, avec elles, le stress. La mise en place, dans les années quatre-vingt, de salles de réveil sous la responsabilité d'infirmières et de médecins-anesthésistes a lourdement pesé sur cette tendance. En effet, le réveil ne se fait plus en salle. Le temps d'occupation est raccourci et le nombre de malades augmente.
De même que tous les partenaires de la relation opératoire, les IBODEs subissent donc une pression croissante, que la disparition progressive des liens personnels au sein des équipes ne contribue pas à libérer.
Matériel et techniques
Depuis trente ans, les IBODEs ont été des témoins de premier plan dans l'évolution du matériel et des techniques opératoires. Elles ont assisté au développement progressif des instruments à usage unique, des pinces à suture mécanique et des fils résorbables. Mais deux révolutions ont aussi marqué ces années : l'apparition de l'endoscopie et de la cliochirurgie, suivie du développement des robots et de l'informatisation des blocs opératoires.
La cliochirurgie fait appel à des techniques qui permettent des incisons et des dissections plus précises. Parallèlement s'est développée l'imagerie peropératoire : échographie, amplificateur de brillance, scanner, stéréotaxie, robotisation, neuronavigation. Ce passage de la chirurgie à ciel ouvert à l'endoscopie s'est accompagné de bouleversements du champ de vision opératoire, de trois à deux dimensions. La portée de cette évolution est complexe : en effet, la transmission des images sur un écran est particulièrement riche en enseignements pour les IBODEs et les internes. Elle leur permet surtout d'anticiper sur les gestes opératoires et de prendre intuitivement une place plus précise au sein de l'équipe. En contrepartie, ces techniques exigent un long apprentissage, qui reste à la charge des chefs de clinique et des chirurgiens seniors. Cependant, les infirmières de bloc tiennent aussi un rôle éducatif, entre elles, mais aussi vis-à-vis des externes et des internes. Ainsi se développe une véritable relation de compagnonnage. Enfin, il serait juste d'ajouter que les IBODEs n'ont pas été seulement témoins de ces changements ; elles en ont aussi été les acteurs. Elles se sont notamment trouvées impliquées dans la mise en place de lourds protocoles, de procédures formalisées d'utilisation et de matériovigilance.
Hygiène
Jusqu'à la fin des années soixante-dix, des cours d'hygiène étaient dispensés dans les facultés de médecine et les écoles d'infirmières. Par la suite, l'amélioration des performances des antibiotiques a pu favoriser un relâchement de la vigilance, notamment en ce qui concerne le lavage des mains. De par leur position, les infirmières de bloc tiennent un rôle d'exemple pour les étudiants en leur apprenant, au quotidien, l'ensemble des règles d'hygiène hospitalière.
En effet, l'apparition d'infections nosocomiales bactériennes et virales, les pathologies iatrogènes ou liées à la transfusion ont rappelé au respect des règles de base.
Le rôle des IBODEs s'inscrit ici dans la gestion optimisée du séjour hospitalier et la prise en charge des malades. C'est aussi à elles qu'il revient de gérer les risques et les questions de traçabilité : matériovigilance, infection et pharmacovigilance. Pour ce faire, elles tiennent un ensemble de fiches opératoires - des « check-lists » - qui leur permettent d'agir en amont de l'infection, de mettre en place les systèmes d'alerte et de réaliser des enquêtes de prévalence des infections nosocomiales.
Avenir
La vie du bloc opératoire subira encore des changements radicaux dans les prochaines années. Au même titre que les chirurgiens et les internes, les IBODEs y seront directement confrontées. Ainsi, la généralisation des robots va les conduire à se perfectionner dans leur manipulation, ce qui constituera probablement une reconnaissance de leur rôle au sein des équipes.
Ces améliorations des techniques informatiques et de l'automatisation auront un retentissement direct sur la sécurité du malade. Mais, à l'encontre des mouvements constatés au cours des trente dernières années, on peut espérer qu'elles auront aussi une influence, non plus seulement sur l'efficacité, mais aussi sur l'agrément de travail des personnels de bloc.
D'après un entretien avec Mmes Claudine Mukhiya (hôpital Bichat), Dominique Baé (hôpital Necker - Enfants-Malades), et Cécile Bouëdec, Nicole Domont, Patricia Leboucher et Corinne Tamares (école des infirmier(ère)s de bloc opératoire, hôpital de la Salpêtrière, Paris)
1986 : le premier robot de l'Assistance publique
JUSQU'A un passé récent, la neurochirurgie se pratiquait selon des procédures relativement rigides, sur la base d'une imagerie en deux dimensions. Les interventions se déroulaient ainsi selon des scénarios écrits à l'avance. Dès lors que le geste était entrepris, le chirurgien travaillait en quelque sorte « à l'aveugle » avec son expérience et son intuition pour le guider, dans le climat de stress que l'on imagine. Parmi ceux qui ne se sont pas satisfaits des méthodes alors disponibles, les Prs Christian Sainte-Rose (Necker) et Alim Louis Ben Habid (Grenoble) ont apporté une réponse à première vue surprenante, mais, en fin de compte, extrêmement fonctionnelle. Et pourtant, tout est parti d'une machine à envelopper le chocolat...
Au milieu des années 1980, les premiers logiciels permettant une reconstruction des images en trois dimensions à partir d'acquisitions digitales (scanner et IRM) ont été mis sur le marché. Très vite, il est apparu logique de les coupler avec des robots destinés à la neuro-navigation. A cette époque, aucune machine de ce type n'avait cependant été développée pour un usage spécifiquement médical. Lorsque les Prs Sainte-Rose et Ben Habid ont formulé la question, ils se sont vite rendu compte qu'ils devraient se tourner vers des technologies déjà disponibles. C'est ainsi qu'ils sont entrés en contact avec François Danel, un entrepreneur de la région grenobloise qui utilisait un prototype de robot mis au point par l'école polytechnique de Lausanne.
A première vue, l'objet ressemble à une grosse araignée. Il s'agit en fait d'un « robot parallèle », apte à réaliser des opérations extrêmement précises tout en supportant les 15 à 20 kg du microscope et des instruments chirurgicaux. La précision des déplacements qu'il permet dans le milieu complexe que constitue le cerveau soulage le chirurgien d'une grande part de sa tension et lui permet de se concentrer sur la technicité de l'acte.
L'adaptation du robot à la pratique neurochirurgicale s'est révélée relativement simple. En revanche, son coût de développement en a pénalisé la diffusion, de même, sans doute, que les préjugés liés à son utilisation initiale. Comme en témoigne aujourd'hui le Pr Sainte-Rose, « cet appareil a radicalement transformé l'approche neurochirurgicale. Son utilisation relève maintenant de la routine : nous venons d'ailleurs de franchir le cap de la millième opération ».
D'après un entretien avec le Pr Christian Sainte-Rose (hôpital Necker-Enfants Malades, Paris).
Cliochirurgie : une spécialité française
Les américains les qualifient ensemble de « deuxième révolution française » : la clioscopie et la cliochirurgie ont été, dès leur conception, une spécialité hexagonale. C'est à Paris, en 1940, que Raoul Palmer imagina le premier d'utiliser l'ombilic comme voie d'introduction de matériel à visée exclusivement diagnostique chez des femmes atteintes de stérilité. Ce n'est que bien plus tard, dans les années soixante-dix, que des techniques chirurgicales ont été mises au point grâce au travail d'une équipe de Clermont-Ferrand, dirigée par les Prs Maurice-Antoine Bruhat et Hubert Manes. A cette époque, les chirurgiens se sont heurtés à trois grands écueils matériels : des problèmes de source lumineuse, rapidement résolus par l'arrivée de la lumière froide, les difficultés du contrôle des gaz - amélioré par l'utilisation du CO2 et des capteurs de pression - et la taille des instruments qui, selon la technique mise au point au cours des années quarante, étaient exclusivement introduits par l'ombilic, parallèlement à l'axe de la vision. Les chirurgiens français ont eu l'idée de pratiquer un second orifice d'introduction par lequel ils faisaient passer des instruments chirurgicaux de plus en plus puissants et opérationnels (pinces, ciseaux, coagulateurs, lasers...).
Parallèlement à l'amélioration du matériel, les techniques chirurgicales ont évolué : interventions sur les abcès tubaires en 1971, sur les grossesses extra-utérines en 1973, les kystes de l'ovaire et l'endométriose en 1976, puis les hystérectomies pour cancer en 1989 et les prolapsus en 1990.
Comme l'explique le Pr Bruhat, « la cliochirurgie est une technique élégante, peu agressive, économe d'un point de vue anatomique et physiologique, car peu agressive. Il ne fait aucun doute que tous les progrès de la chirurgie de demain vont maintenant passer par elle : la robotique, le mariage des images et de la chirurgie, ainsi que la biochirurgie - technique qui respecte les organes et favorise leur réparation spontanée ».
D'après un entretien avec le Pr Mauric- Antoine Bruhat (Clermont-Ferrand).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature