LES ONG plus efficaces que la logique comptable ? C’est un peu la force des choses, autrement dit les nécessités de l’urgence et de la solidarité qui les y pressent. Sauver à tout prix commande souvent de casser les prix. Et c’est quand elles interviennent en France que la performance financière paraît la plus spectaculaire. «Je revois encore MmeLeca, se souvient l’assistante de la fondatrice de Mécénat chirurgie cardiaque, quand elle a voulu réaliser les premières interventions sur des enfants étrangers en France. Elle alignait les chiffres sur un bout de papier pour évaluer le coût de l’opération d’un enfant. Il n’était évidemment pas question qu’il soit le même que pour un petit Français, il fallait absolument le diminuer.» De calcul en calcul, elle en était arrivée à la conclusion que les frais hospitaliers ne devaient pas excéder à l’époque les 50 000 F. Une gageure, alors que rien qu’une journée d’hospitalisation se montait à plus de 10 000 F !
«La solution a consisté à limiter au minimum le nombre de ces journées, explique le Pr Francine Leca, puisque, à la différence d’autres associations, nous n’avons jamais pu obtenir de la direction de l’AP-HP une réduction des tarifs. C’est incompressible: la journée en réanimation cardiologique nous est facturée 1500 euros, et la journée en postréa 750euros. En contrepartie, il nous faut d’une part gérer la prise en charge ambulatoire avec la plus extrême rigueur, pour parvenir à synchroniser tous les rendez-vous qui, dans le cas d’un patient français, sont effectués tranquillement pendant trois jours d’hospitalisation. Pour organiser la manoeuvre, nos équipes de secrétariat doivent faire preuve d’un grand professionnalisme. Malgré leur implication, dans un cas sur deux, nous rencontrons des difficultés et il faut faire revenir les gens.»
«D’autre part, poursuit le Pr Leca, nous nous appuyons énormément sur les familles d’accueil. Elles sont corvéables à merci. Un vrai parcours du combattant leur est imposé, pour lequel, par exemple, elles accompagnent les enfants à l’hôpital dès 6heures du matin et elles repassent les prendre tard le soir.»
«Bien entendu, ces procédures ne mettent à aucun moment les petits patients en danger», souligne la chef de service de Necker, qui avance des taux de réussite opératoire équivalents pour les enfants de Mécénat chirurgie cardiaque à ceux de n’importe quels autres petits opérés.
Prix réduits de 50 %.
A la forte implication des équipes administratives et des familles s’ajoute la possibilité d’envoyer les patients dans un centre de postsoins intensifs pour une superconvalescence, au château des Côtes, aux Loges-en-Josas, dans les Yvelines.
Au final, la performance financière permet de rabattre le prix de 50 %. «Et cela, souligne le Pr Leca, sans que nous ne coûtions 1euro à la Sécurité sociale.»
Autres associations, mêmes logiques d’économie : la Chaîne de l’Espoir, jusqu’à l’an dernier, a pu bénéficier d’une convention avec l’Assistance publique aux termes de laquelle le prix légal de la journée était divisé en deux parts égales, l’une à la charge de l’association, l’autre à celle de l’AP-HP, le système étant plafonné à un effectif de 80 enfants par an. Les champions de la rigueur financière au pouvoir Avenue Victoria ont fini par mettre un terme à ces pratiques élégantes, mais dispendieuses. La Chaîne paie désormais plein pot. Comme l’explique le Pr François Roux, neurochirurgien à Sainte-Anne et l’un des animateurs de l’association, «nous ne pouvons plus jouer que sur la durée d’hospitalisation pour faire des économies. Ici aussi, le ratio est de l’ordre de 50% par rapport au coût facturé à un patient français».
A défaut de consentir des conditions privilégiées, la plupart des hôpitaux continuent aujourd’hui à aider les ONG en signant des ordres de mission pour les personnels qui participent à des actions humanitaires à l’international. La plupart des médecins, infirmières et paramédicaux qui sont envoyés de par le monde peuvent ainsi sauvegarder leur contingent de congés payés, tout en prêtant main forte aux ONG.
Toujours au chapitre international, les humanitaires sont devenus des champions de la récup. «Quand nous avons fermé Broussais, Laennec et Boucicault, confie le Pr Alain Deloche, avec le matériel en service dans ces trois CHU, nous avons pu ouvrir deux hôpitaux: Georges-Pompidou à Paris et l’institut du coeur à Phnom Penh. Dernière acquisition en date, un angiographe, une BMW que nous avons payée au prix d’une 2CV! Et pour les consommables, c’est à l’avenant: les matériels sont réemployés un maximum de fois, en jouant dans les marges que permettent les protocoles.»
«Les plans d’amortissement comptable sont conçus sur des périodes de cinq à dix ans, note le Pr Roux, les matériels sont donc remplacés en France alors qu’ils sont encore en parfait état de fonctionnement. Nous avons des ingénieurs biomédicaux qui supervisent leurs livraisons dans les meilleures conditions sur nos sites, en Afghanistan, au Cambodge ou ailleurs.»
Dans ces unités, le coût moyen d’une intervention sera réduit dans des proportions plus qu’impressionnantes par rapport aux tarifs pratiqués en France : «Le rapport est de 1 à 100, poursuit le Pr Roux, qui l’explique en grande partie par la distorsion observée entre les salaires: un neurochirurgien à Phnom Penh va être payé 100euros.»
Pour faire face au financement, les associations se tournent de plus en plus vers les multinationales. Elles tendent à suppléer un peu partout au désengagement des Etats du Nord, les programmes de coopération publics cédant le pas à des partenariats d’entreprises. Elles y trouvent une valorisation de leur image, aussi bien en externe qu’en interne, pour motiver leurs équipes. «Et nous, se réjouit le Pr Roux, nous y gagnons des bailleurs capables de s’engager dans la durée. Tout le monde est gagnant.»
Des opérations cent fois moins chères au Sud, ou deux fois moins chères dans les structures hospitalières françaises, voilà qui peut faire rêver, alors que les procédés « low cost » mis en oeuvre ne compromettent à aucun moment la sécurité médicale. «Mais, s’interroge, le Pr Leca, les usagers du système de santé seraient-ils disposés à consentir tous les efforts qu’une telle révision des prix leur demanderait? Concrètement, pour les opérations réalisées sur les enfants, les parents seraient-ils prêts à faire des allers-retours nombreux et à des horaires incommodes entre les hôpitaux et leur domicile? Et pourraient-ils dispenser les soins à domicile après l’intervention, comme le font nos familles d’accueil, sans compter leur peine?» Une question demeure : «Pourquoi un Français doit-il continuer à occuper inutilement une structure lourde et onéreuse?», comme se le demande le Pr Deloche.
Des écarts de prix « incroyables » entre médicaments
Coordinateur du secteur achat à MSF Logistique de Mérignac (Gironde), Bruno Delouche a négocié en 2005 un volume global de médicaments de l’ordre de 8 millions d’euros, ce qui fait de son centre l’une des principales centrales d’achat françaises. «Les écarts de prix sont incroyables, constate-t-il, selon les volumes, les firmes pharmaceutiques et les pays. Cependant, notre travail ne consiste pas intrinsèquement à réduire les prix, explique-t-il, nous devons aussi veiller à l’accessibilité du médicament, selon des critères très stricts de qualité ainsi que la durée de vie restante (au minimum deux tiers de la durée de vie totale). C’est l’application de ces critères qui limite de manière drastique les dons en nature.»
Selon les firmes pharmaceutiques, les négociations se déroulent soit à un guichet humanitaire spécifique, soit sur le marché d’approvisionnement classique. Mais, depuis les polémiques autour de la fourniture des trithérapies, les interlocuteurs des ONG témoignent à leur égard d’un état d’esprit qui s’est «nettement amélioré».
Bruno Delouche et son équipe parviennent donc à faire baisser les prix, mais dans des proportions qu’il préfère ne pas chiffrer, compte tenu de la complexité du marché. Une complexité qui s’accompagne de phénomènes de concentrations qui ont tendance, regrette-t-il, à alourdir les procédures. Même si, se félicite-t-il, la «“Big pharma”, sans nous faire spécialement de cadeaux, en fonction des événements dramatiques pour lesquels nous la sollicitons, sait se montrer coopérative: les centres d’approvisionnement peuvent être maintenus ouverts le week-end ou pendant les vacances du personnel quand nous devons faire face aux urgences».
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