Le temps des politiques n’est pas celui des professionnels de santé. Chaque gouvernement qui s’installe détricote ou ajoute son lot de réformes aux précédentes, faisant perdre pied aux acteurs de terrain. C’est ainsi que, lorsque l’on s’adresse aux professionnels de santé hospitaliers et qu’on leur demande de revenir sur les cinq dernières années, d’en tirer un bilan, spontanément ils parlent en tout premier lieu du passage de la dotation globale à la tarification à l’activité. Pourtant la T2A n’est pas sortie du sac à idées de Xavier Bertrand ou de Roselyne Bachelot. Elle remonte en effet au début des années 2000 et a couvert 100 % des activités MCO en 2008. Il n’empêche, elle demeure un motif d’inquiétude ou en tout cas d’intérêt pour bon nombre d’hospitaliers.
« Se tenir debout »
La loi HPST, bizarrement, n’est ainsi pas citée d’entrée de jeu par la plupart des professionnels hospitaliers que nous avons rencontrés dans le cadre de ce dossier. Peut-être parce que les hospitaliers n’ont pas encore mesuré l’ensemble des conséquences induites par cette loi dans leur environnement de travail. Ainsi, le Dr Abdelkrim Gacem, cardiologique au CH de Cholet, dénonce « toutes ces lois successives (qui) annoncent et publient des règles du jeu qui ne cessent pas de changer en cours de route ». Pour lui, « travailler en terrain législatif mouvant est extrêmement désagréable et usant ». Il explique : « Mon souhait ? Soit on fait les choses, soit on ne les fait pas ! Mais on ne change pas de cap en cours de route. C'est épuisant et tellement contre-productif. Il faut donner à l’hôpital public les moyens de se tenir debout. Or là, on dirait qu’on nous étrangle de plus en plus. »
S’il n’emploie pas les mêmes mots, André Fritz, directeur du CHU de Rennes, n’en est pas moins inquiet quant à l’avenir du secteur public. Pour lui, la « mauvaise nouvelle », « c’est la disparition du service public hospitalier » induite par la loi HPST. Il voit ainsi dans la loi Bachelot un « changement de paradigme » et « des craintes à avoir quand le service public n’occupe plus la place qui est la sienne ».
Attachés à leur outil de travail, les hospitaliers s’emportent facilement sur certains sujets, à l’instar d’Abdelkrim Gacem, cardiologue à Cholet, lorsque l’on évoque le statut de clinicien hospitalier, créé à l’automne 2010. Il dénonce un dispositif qui n’apporte « que de la division entre les médecins ». Et d’expliquer : « Un PH à l'échelon 9 ou 10 gagne environ 5 000 euros bruts par mois. Arrive un praticien clinicien plus jeune avec ou sans expérience qui négocie son salaire et peut d’emblée gagner plus qu’un médecin en place qui s’investit. Les rivalités sont inévitables dans ce genre de cas. » De son point de vue, il ne faudrait recourir à ce type de recrutement que lorsque l’on souhaite introduire une spécialité dans l’hôpital, absente jusque-là. Dans une perspective de développement en somme et non pour pallier des carences à la va-vite. Un avis que ne partage pas entièrement le Pr Alain Leguerrier, chef du service de chirurgie cardiaque et vasculaire au CHU de Rennes. En tant que PUPH, il considère plutôt que « le statut de clinicien devrait permettre de recruter, temporairement, des ténors étrangers, des médecins de très haut niveau ». Il concède cependant qu’il ne faudrait pas aller au-delà, qu’il importe de « conserver une homogénéité des statuts ».
Machine à produire du papier
Dans le sillage de HPST, certaines mesures sont toutefois appréciées par les professionnels, parmi lesquelles l’évaluation des pratiques professionnelles que les personnels non médicaux semblent plébisciter. De même que les tableaux de bord qui permettent de suivre l’activité dans les services. « Ils nous permettent de nous poser des questions sur certains dépassements de dépenses par exemple », cite Marie-Louise Piolet, cadre supérieure de santé du pôle locomoteur du CHU de Rennes. Elle poursuit : « On a ainsi pu voir que certains examens étaient trop demandés par les internes qui manquaient d’expérience, et on a pu réajuster. » Toutefois, si les tableaux de bord apparaissent comme des outils pratiques dont l’intérêt est immédiat pour les équipes, les hospitaliers réclament toutefois que l’on calme le jeu en matière de paperasses. Ainsi, Denis Martin, directeur général du CH de Cholet fustige-t-il « le poids de la machine administrative qui grippe le fonctionnement de l’hôpital ». De son point de vue, « on passe beaucoup trop de temps à faire remonter des données, rédiger des comptes rendus dont on ne sait pas toujours à qui ni à quoi ils servent. Il nous faut plus de temps opérationnel pour répondre à l’augmentation de la demande de soins ».
50 % des problèmes au quotidien
Symbole par excellence du service public hospitalier, nourri d’une image largement véhiculée par les médias de surcharge de travail, avec des brancards encombrant les couloirs, les services d’urgence représentent toujours une source d’inquiétude pour les établissements. Ainsi, Philippe El Saïr, directeur de l’hôpital de Villefranche-sur-Saône, ne cache pas que les urgences représentent 50 % des problèmes de l’établissement au quotidien. Il considère que l’issue se trouve sans doute dans une meilleure coordination entre la ville, l’hôpital et le médico-social. Un enjeu auquel devraient en toute logique répondre les ARS, regardées d’un œil plutôt bienveillant en ceci que ces structures ont une approche globale des champs hospitalier, ambulatoire et médico-social. Cela étant, relève André Fritz, directeur du CHU de Rennes, « on n’a pas encore mesuré toutes les conséquences du remplacement des ARH par les ARS ». C’est manifestement encore trop tôt pour tirer un quelconque bilan les concernant.
« Homme à tout faire »
Mettre la pédale douce sur la charge administrative qui pèse sur les établissements, mener une politique de santé et en tout cas une politique hospitalière de long terme, stable dans le temps : on le sent, les hospitaliers aspirent à exercer leur art de façon plus sereine, même s’ils mesurent bien les enjeux de la maîtrise des dépenses. Ils ont d’ailleurs bien assimilé, de façon consciente ou non, les discours de ces dernières années autour de la nécessaire responsabilisation des uns et des autres s’agissant des deniers de la Sécurité sociale. Ils évoquent une nécessité d’efficience, parlent de la promotion des comportements citoyens des usagers, etc. Ce qui ne les empêche pas non plus de souligner le caractère singulier de l’hôpital public qui, comme le souligne Philippe El Saïr, « reste l’homme à tout faire du système de santé ». Cette singularité, les hospitaliers la défendent et attendent qu’elle soit préservée.
À tout le moins, si l’on se penche sur les programmes santé des candidats à la présidentielle, aucune mesure n’est mise à ce jour en avant qui laisserait penser que l’on veuille toucher à cette spécificité du secteur public. Les programmes, d’ailleurs, ne font pas montre de volontarisme ou de créativité en matière de politique hospitalière. Tout juste observera-t-on que l’UMP souhaite renforcer la performance des établissements, en poursuivant la politique engagée grâce au concours de l’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) et que les partis de gauche souhaitent pour certains supprimer purement et simplement la tarification à l’activité, tandis que le PS ne s’engage que sur un moratoire de la T2A. En d’autres termes, à ce stade, les hospitaliers n’ont a priori pas à craindre de réforme majeure les concernant à court terme. Il est vrai que les établissements hospitaliers ont suffisamment connu de réformes ces dernières années et que leur souhait d’une certaine accalmie est compréhensible. À tel point qu’André Fritz avance : « Si j’avais un seul message à faire passer au futur président de la République, ce serait de ne pas faire de nouvelle réforme. Un hôpital est un navire difficile à manœuvrer, on ne peut pas changer de cap du jour au lendemain. On n’a pas peur du changement, mais on a aussi besoin d’une stabilisation du système. » À bon entendeur…
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