De notre envoyée spéciale à Toulouse
Les jours ont beau passer depuis que le nitrate d'ammonium de l'usine pétrochimique AZF est parti en fumée, les cliniques et les hôpitaux toulousains ne sont pas prêts d'oublier la journée du 21 septembre.
Près de trois semaines après la catastrophe, les « boum », le souffle des explosions sont encore bien présents à l'esprit des soignants et des administratifs. Cette journée où leur établissement s'est transformé en hôpital de guerre les a marqués pour toujours. « Nous faisons tous des cauchemars », raconte le Dr Jean-Marc Combis, président de la commission médicale d'établissement (CME) de la clinique Ambroise-Paré où 385 blessés ont été soignés. Et même si leurs souvenirs venaient à s'estomper, les patients qui continuent de venir consulter pour des pathologies liées à l'explosion sont là pour rappeler aux hospitaliers qu'ils n'ont pas rêvé. « Certains arrivent chez nous après avoir vu des médecins ici ou là et nous expliquent qu'ils prennent trois anxiolytiques », souligne le Dr Frédéric Soirot, qui travaille aux urgences de l'hôpital Joseph-Ducuing. Les blessures infligées par la déflagration dans les bâtiments où ils travaillent empêchent aussi les professionnels d'effacer la catastrophe de leur mémoire.
Un milliard de dégâts
Car les murs et les meubles du parc hospitalier toulousain ne sont pas sortis indemnes de l'accident. Pour réparer leurs dommages, le gouvernement a annoncé qu'il allait débloquer 500 millions de francs (76,2 millions d'euros). Cela signifie que le tiers de la somme dégagée dans l'urgence pour Toulouse par l'Etat (1,5 milliard de francs - 230 millions d'euros) ira à la reconstruction des hôpitaux de la ville.
L'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de Midi-Pyrénées estime cependant que c'est, en tout et sur plusieurs années, plutôt 1 milliard de francs (152,4 millions d'euros) qui seront nécessaires. Près de la moitié de cette somme (400 millions de francs, soit près de 61 millions d'euros) sera dévolue à la reconstruction de l'hôpital psychiatrique Gérard-Marchant.
Pire qu'un bombardement
Ce CHS est un voisin immédiat de l'usine AZF. Le souffle de l'explosion n'a eu qu'à traverser la route d'Espagne pour s'engouffrer dans ses pavillons. Plafonds effondrés, vitres réduites en miettes, cloisons abattues... Une tornade n'aurait pas mieux fait.
A quelques encablures, le centre André-Bousquairol souffre des mêmes maux. « Deux personnes qui ont connu les bombardements de la Seconde Guerre mondiale m'ont dit qu'elles n'avaient alors rien vu de pareil », rapporte son médecin directeur, le Dr François Gallardo.
L'établissement réunit une pouponnière sanitaire et un institut médico-éducatif (IME). Du fond de son jardin, on distingue sans peine la cheminée blanche et rouge de l'AZF : le hangar pulvérisé est à 500 mètres à vol d'oiseau. Reconstruire l'ensemble coûtera autour de 30 millions de francs (4,5 millions d'euros).
Un peu plus éloigné de la catastrophe, l'hôpital de Rangueil, qui fait partie du CHU, devra débourser 20 millions de francs (3 millions d'euros) pour remplacer ses vitres, changer ses fenêtres cassées ou faussées, réhabiliter ses blocs opératoires endommagés, refermer les cages de ses escaliers de secours - elles étaient en verre et ont volé en éclat, empêchant toute évacuation du bâtiment. Dans le CHU entier, où d'autres sites comme Purpan et l'hôtel-Dieu ont souffert, l'addition tourne autour de 190 millions de francs (28,9 millions d'euros).
La clinique Ambroise-Paré a, elle aussi, fait ses comptes. Réparer son sas d'entrée détruit, ses trappes de désenfumage ou ses encadrements de porte arrachés, sécuriser la grande verrière de son hall, qui s'est soulevée tout entière et n'est pas retombée sur sa base, réancrer toutes les plaques de sa façade : ces travaux s'élèveront à 1,5 million de francs au minimum (230 000 euros).
Ironie de l'histoire, l'hôpital Joseph-Ducuing, fondé au milieu des années quarante pour soigner les blessés de guerre par des Républicains espagnols en pleine tentative de reconquista, a subi sa première épreuve du feu le 21 septembre. Le « château », qui héberge le personnel administratif à Joseph-Ducuing, a tangué comme un navire au moment de l'explosion et s'est fissuré. La façade de l'hôpital proprement dit s'est désolidarisée des murs, s'en écartant par endroits d'au moins 10 centimètres : la direction estime que les réparations coûteront 380 000 F (près de 56 000 euros).
Rangueil aussi
Ajoutés à l'afflux de malades (139 à Ducuing), qui a duré bien plus de vingt-quatre heures, ces dégâts ont évidemment perturbé le fonctionnement des cliniques et des hôpitaux de la ville rose. Toute l'activité programmée a flotté pendant plusieurs jours. Sans, parfois, que les malades réalisent pourquoi. Le Dr Combis s'étonne encore : un de ses patients qui avait rendez-vous avec lui le jour « J » attendait tranquillement son tour dans la salle d'attente, au milieu des centaines de blessés accueillis en catastrophe à Ambroise-Paré. Scène d'autant plus insolite que, se souvient la directrice de l'établissement, Béatrice Le Nir, il y avait alors « du sang partout » dans la clinique. A Rangueil, où des chambres et des blocs sont restés plusieurs jours condamnés, les choses ne sont vraiment rentrées dans l'ordre qu'au début de la semaine.
Marchant et le centre Bousquairol se situent sur un autre registre. Dans les heures qui ont suivi l'explosion, les deux établissements ont évacué tous leurs malades. Les 13 enfants de la pouponnière de Bousquairol ont été accueillis à l'hôpital des enfants du CHU, au foyer de l'enfance, ou sont retournés dans leur famille quand ils n'étaient pas atteints de pathologies trop lourdes. L'un d'entre eux a été hospitalisé à Marseille - son transfert était prévu, il a juste été avancé de quelques jours. Que va devenir le centre ? Il faut attendre que tous les experts soient passés et que l'association qui le gère - « Les Amis de l'Enfance » - prenne sa décision, mais il sera vraisemblablement reconstruit sur place. Beaucoup plus hypothétique apparaît le sort de l'hôpital Marchant.
Le sort incertain du CHS
Aujourd'hui vidé de ses patients, l'hôpital psychiatrique, qui en est encore à vider et clôturer ses bâtiments, ne sait pas de quoi l'avenir sera fait. Impossible, pour l'instant, de choisir entre une reconstruction sur site et une délocalisation. « On ne peut pas répondre à cette question tant qu'on ne sait pas si l'usine d'AZF refonctionnera un jour », explique Pierre Gauthier, le directeur de l'ARH de Midi-Pyrénées. Difficile aussi de trancher sans connaître l'état exact des 60 pavillons qui composent l'hôpital. Or, explique le directeur de Marchant, Jean-Louis Dardé, « s'il est sûr que, dans sa configuration actuelle, l'hôpital n'existe plus, les expertises précises dureront au moins trois mois ». En attendant, tous les professionnels en conviennent, il faut d'urgence trouver une solution provisoire pour la psychiatrie toulousaine. Le plan de secours adopté en catastrophe le 21 septembre n'est pas tenable. Malades dispatchés avec leurs soignants entre 40 établissements (Limoux, Lannemezan, Montauban, Auch, Pau, Béziers et même Cadillac, en Gironde, en ont accueilli), urgences psychiatriques désormais installées au CHU... Le système est bancal et ne règle pas le problème de l'hospitalisation permanente et des placements sous contrainte.
Mais où trouver 300 lits ? Dans le bâtiment de l'hôpital Larrey, qui appartient au CHU et dont une partie est vide, suggère avec insistance le conseil d'administration de Marchant. Pas d'accord, répondent de nombreux responsables du CHU qui expliquent que Larrey, en travaux, ne sera pas disponible avant le mois de juin et surtout que cet hôpital sert au CHU à abriter provisoirement les équipes dont les locaux ont besoin d'être mis en conformité.
Marchant à Larrey, ce serait régler un problème et en créer un autre, dénoncent-ils en proposant aux psychiatres un pavillon désaffecté du site de Purpan. La tension monte entre les tenants de l'une ou l'autre de ces solutions. Chacun attend que la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, qui s'est rendue sur les lieux, tranche.
Personnels, médecins, malades ont échappé au pire
« Miracle », au dire de tous, la catastrophe du 21 septembre n'a tué personne au sein des hôpitaux et des cliniques de Toulouse. Dans la salle d'attente de radiologie de l'hôpital Joseph-Ducuing, une plaque du mur est tombée sur un patient. Un enfant hébergé au centre André-Bousquairol a été gravement blessé au visage. A la clinique Ambroise-Paré, ce sont les fenêtres qui, en s'ouvrant violemment, ont commotionné les gens. L'une d'elles, arrachée, a blessé un médecin au front. Surpris par le souffle en pleine intervention, les chirurgiens de Rangueil ont fini d'opérer au milieu des gravats.
Le bilan de l'hôpital Marchant est évidemment plus impressionnant : 42 hospitaliers y ont été blessés, dont deux assez sérieusement. Au total, 190 accidents du travail ont été répertoriés, dont 40 avec arrêt. En revanche, les 286 malades du CHS n'ont rien. Ce matin-là, juste avant l'explosion, le soleil a pointé son nez et les patients sont sortis. Les enfants de la pouponnière de Bousquairol doivent sans doute, eux aussi, à cette éclaircie d'avoir eu la vie sauve. Leurs lits jonchés de débris de verre, de morceaux de cloisons ou de plafonds, d'encadrements de fenêtres, les fléchettes et les poignards de verre que l'explosion, en désintégrant les vitres, a fait se ficher dans les murs, témoignent encore aujourd'hui de ce à quoi ils ont échappé.
Psychologiquement, en revanche, les hospitaliers toulousains ne sont pas épargnés. La journée du 21 septembre, au cours de laquelle ils ont dû prendre en charge un afflux de blessés sans savoir vraiment ce qui se passait, souvent aussi sans nouvelles de leurs proches, est dure à digérer. Et il y a le cas particulier de ceux qui ont perdu leur maison dans la bataille. Plus de la moitié des agents et des médecins toulousains auraient fréquenté les cellules de soutien psychologique mises en place dans leurs établissements.
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