Idées
Il y a cette phrase terrible qui inaugure le livre : « Il n'y a rien dans la haine des juifs qui ne rappelle quelque chose », et ceux-ci sont conduits à penser avec une douloureuse lassitude qu'après cinquante ans « ça revient ». Pourtant, dit Alain Finkielkraut, c'est un contresens de croire qu'on a affaire là à un passé horrible qui ferait retour, à un antisémitisme lié au fait qu'on oublierait peu à peu les horreurs nazies : « Avec le temps, le souvenir d'Auschwitz n'a subi aucune érosion ; il s'est, au contraire, incrusté. » ... Et si bien incrusté qu'on assiste depuis les années 1960 à une obsession qui fait voir partout le fascisme à l'uvre, et fait à tout instant redouter le retour de la Bête immonde.
De fait, la célébration festive d'une humanité multiculturelle, métissée, l'obsession du droit à la différence contribuent de nos jours à célébrer l'Autre, l'altérité comme fin absolue de nos actions, aurait dit Kant. Le souvenir des camps est de ce point de vue devenu le repère absolu, le repoussoir d'un Occident à mauvaise conscience et qu'unifie le ressassement d'un « Plus jamais ça ! ».
Or, par un renversement absurde, note l'auteur, les juifs ont à répondre aujourd'hui du martyre qu'ils infligent ou laissent infliger à l'altérité palestinienne. Voici donc que ce juif auquel on reprochait naguère son cosmopolitisme, serait le dernier à devenir un nationaliste intransigeant, pire, à n'éprouver aucune culpabilité de ce qu'il fait subir à l'Autre palestinien. Ou, comme le résume Alain Finkielkraut : « Tous se défient du nazi qui sommeille en eux. Tous ont la gueule de bois. Tous, sauf les juifs. Sur eux, le devoir de mémoire ou de réparation ne trouve pas la moindre prise. Forts d'être le Surmoi du Vieux Continent, ils en oublient d'avoir un surmoi. »
On le voit, rien d'un quelconque retour des matins bruns dans tout cela, les juifs sont cette fois-ci soumis aux remontrances des « ayants honte ». Maurras leur disait qu'ils n'étaient pas de vrais Français ; les penseurs d'aujourd'hui, si cléments envers la violence arabo-musulmane, les tancent au nom d'un « nous sommes tous des immigrés ».
On voit bien qu'Alain Finkielkraut en revient ici à certains de ses énervements favoris - non sans talent, d'ailleurs, les premières pages sont étincelantes - : l'exaltation systématique de la France métissée, l'antiracisme gnangnan et la propension à voir partout le retour du fascisme, vieux fonds de commerce de la gauche. Encore faut-il qu'attaché à se détourner des vieux spectres, l'auteur ne rate pas les occasions de repérer un maurrassien chimiquement pur comme dans le cas Renaud Camus*.
Encore faut-il également ne pas sous-estimer ce que la rhétorique pro-palestinienne emprunte à un vieux registre : il est question de l'arrogance dominatrice, du lobby juif qui serait forcément plus puissant que les autres aux Etats-Unis, des voleurs de terre, etc.
Enfin, si on veut bien accorder à Alain Finkielkraut que cette divinisation de l'Autre comme victime est dans l'air, quel rapport soutient-elle avec le beur qui agresse un « feuj », pensant s'identifier par là même à un frère arabe ? Comportement qu'on peut juger riche en délinquance et pauvre en idéologie, et qui expliquerait l'indignation modérée de certains devant les récentes exactions antisémites.
« Au nom de l'Autre. Réflexions sur l'antisémitisme qui vient », Gallimard, 35 pages, 5,50 euros.
* En avril 2000, l'écrivain Renaud Camus, dans l'un de ses livres, « la Campagne de France » (Fayard), se livrait à une comptabilité des journalistes juifs travaillant à France Culture, tout en défendant les Français « de souche ». Dans la polémique qui suivit, et qui portait surtout sur le droit et la liberté de tout dire, Alain Finkielkraut parut voler au secours de Camus, en partie pour ridiculiser le retour de l'obsédante dichotomie pétainiste-résistant, mais surtout à cause de l'élégance du style de l'auteur. Comme si la beauté des imparfaits du subjonctif légitimait certains dérapages...
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