Soigner la voix

Les Guignols : des cordes vocales surdouées

Publié le 14/01/2004
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LE TEMPS DE LA MEDECINE

SAINT-DENIS, dans l'entrepôt géant qui abrite les principales productions télés françaises, le numéro 103, c'est là qu'officient les Guignols. Dans un coin de ce sanctuaire national de la satire, à quelques pas du décor célèbre avec sa tour de TF1, derrière les gradins, le studio réservé aux voix est planqué comme des coulisses : une cellule d'une quinzaine de mètres carrés toute de blanc capitonnée, des moniteurs fixés au mur, comme seul ornement, et des officiants qui reconnaissent mener là une vie très réglée, pour ne pas dire monacale. Pas seulement pendant les quatre heures quotidiennes où se succèdent lectures et répétitions jusqu'à la prestation finale effectuée en direct, quelques minutes avant 20 heures.

Une vie saine.

« Mener une vie saine est indispensable pour tenir la distance, explique Yves Lecoq. Si, une nuit, on a manqué de deux heures de sommeil, on le paye le lendemain. Bien sûr, pas de cigarettes, pas d'alcool, des gorges soigneusement emmitouflées l'hiver dans les écharpes anti-courants d'air et surtout pas de clim ! De l'eau, parfois, pas toujours, nous ne sommes addicts à rien, pas même à l'eau. »« Et jamais de discothèque, renchérit Daniel Herzog. J 'ai banni à tout jamais ces lieux enfumés où on doit hurler pour se faire entendre. Il faut choisir entre les Guignols et la nuit. »
Bref, comme le résume Sandrine Alexis, chevrotante Bernadette Chirac à l'antenne, « nous sommes les dromadaires de l'imitation ».
C'est comme ça que, en quinze ans ( « Putain, quinze ans ! », ponctuent forcément les intéressés), ils ont assuré sans une seule annulation. Si un précieux larynx était forfait, aucun imitateur n'ayant de doublure pour le relever, l'émission serait purement et simplement annulée.
Dur métier ? « Parfois, ça peut faire mal, convient Yves Lecoq. Par exemple, faire Sylvester Stallone, après un moment, ça finit par vous arracher les cordes vocales. Il faut un peu de Doc Gyneco (chanteur explosé au timbre planant, NDLR) pour se remettre en bouche. »
Mêmes forçages douloureux avec Joey Starr, le rappeur allumé, confirme Daniel Herzog, qui a sans doute moins souffert pendant les années Jospin, lui qui fut le seul à accrocher la voix de l'ancien Premier ministre.
Ce soir, Yves Lecoq enchaîne PPD (Patrick Poivre d'Arvor, « immuable, le nôtre ! »), Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Stallone, George Bush, Mary Pierce, Stallone. Parfois, les voix de l'interviewer et de l'interviewé se chevauchent de tellement près qu'un technicien a demandé un jour, rapporte Daniel Herzog, qu'on refasse la prise. « Le truc, c'est simple, sourit Yves Lecoq, il suffit de ne pas respirer... »

Cordes vocales torturées.

A part ça, les imitateurs des Guignols, quand on les presse pour parler de leur don ou de leur technique, se retranchent derrière un laconique « On est tombé dedans quand on était petit, on ne peut pas s'en empêcher... »
« Pour une émission médicale de François de Closets, se souvient Yves Lecoq, on avait filmé mes cordes vocales avec une caméra miniaturisée pendant que j'imitais Pierre Bachelet. Elles étaient torturées dans tous les sens. Un vrai film porno ! Tandis que filmées pendant la même chanson, celles de l'inoubliable interprète des "Corons" gardaient une rectitude impeccable. »
Comme quoi, commentent les imitateurs, il y a un travail spontané qui se fait avec les cordes vocales. Elles se mettent en configuration pour chaque type de voix. Mais ce travail n'est possible que si on a, au départ, une oreille suffisamment musicale pour repérer et analyser les timbres et les tics en tout genre.
Troisième paramètre non moins indispensable que les deux autres, la mémoire. Il faut acquérir une sorte de mimétisme naturel. Là aussi, c'est du travail. «  La preuve, dit Yves Lecoq, quand on a trouvé une voix, on a tendance à l'oublier, il faut se concentrer sur elle pour obtenir un automatisme. Et on risque alors de s'emmêler quand on doit embrayer aussitôt sur d'autres imitations. Comme si les cordes vocales développaient une mémoire propre, interne. »

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7456