POUR LE Dr Jean-Marie Cohen, « le Grog aurait dû, comme tant d'autres idées de recherche en matière de santé publique, rester un projet avorté en l'absence de soutien financier et de volonté politique. Mais l'analyse de l'histoire qui a conduit à la mise en place de ce réseau pionnier de santé publique en France permet de retrouver un enchaînement de coïncidences particulièrement favorables qui ont permis à un miracle logique de s'accomplir ».
Si le Dr Jean-Marie Cohen s'est intéressé, dès 1982, à des questions de santé publique, ce n'est qu'en 1983, à l'occasion d'un curieux concours de circonstances, qu'il s'est penché sur les effets médico-économiques hospitaliers de l'épidémie hivernale de grippe. « Début février 1984, explique au "Quotidien" le Pr Claude Hannoun, Jean-Marie Cohen, que j'avais déjà rencontré, m'a proposé de prendre en compte, dans les indicateurs de surveillance de la grippe, une notion de terrain qui, ajoutée au travail virologique que nous effectuions au sein du centre national de surveillance de la grippe, pouvait permettre de mieux appréhender les épidémies annuelles. »
Si Jean-Marie Cohen proposait la mise en place immédiate d'un réseau national de surveillance, le Pr Hannoun a préféré concentrer le travail dans un premier temps sur la région Ile-de-France.
Pour structurer le réseau, il était indispensable de faire appel à un épidémiologiste. « Quelques semaines plus tôt, j'avais rencontré un jeune épidémiologiste qui revenait du Québec et qui avait été récemment recruté par l'Observatoire régional de santé (ORS) de l'Ile-de-France. William Dab a immédiatement accepté ma proposition et, sept jours après, les bases du concept du Grog étaient lancées », continue Jean-Marie Cohen.
Cet acronyme, très explicite lorsqu'on pense à la grippe, désigne le Groupe régional d'observation de la grippe. Au sein de cette entité, les trois fondateurs ont réuni des acteurs capables de combiner prélèvements et suivis médico-économique : médecins libéraux solitaires, pharmaciens, médecins militaires, grandes entreprises, grand hôpitaux... L'ORS Ile-de-France, grâce à sa directrice, Ruth Ferry, a fourni un premier soutien financier, suivi de celui du directeur général de la Santé, le Pr Jacques Roux
Un kit virologique spécifique.
Afin de disposer de prélèvements réalisés en ville, le Pr Hannoun a mis au point un kit virologique spécifique accompagné d'un système d'envoi postal sécurisé. Les médecins du réseau ont reçu ces kits et il leur a été demandé d'adresser les prélèvements de sujets qui semblaient atteints. Chaque semaine, pendant la période hivernale, un membre du bureau parisien du Grog contactait à heure fixe chaque médecin du réseau afin de recueillir des chiffres clés : le nombre des consultations, des visites, d'arrêts de travail...
« Pour la première fois, explique le Pr Hannoun, nous disposions d'un moyen pertinent de surveillance des débuts et fin d'épidémie. Nous pouvions aussi vérifier l'adéquation des souches de terrain avec la composition vaccinale et analyser la sensibilité des souches aux médicaments antiviraux. »« Le Grog est tombé au bon moment. D'ailleurs, à la même époque, des virologues européens avaient entrepris des surveillances locales par le biais des centres nationaux de référence (CNR) . Dès leurs premières parutions, les bulletins du Grog ont été diffusés à tous les CNR grippe d'Europe grâce au soutien du bureau Europe de l'OMS donnant à notre réseau balbutiant une visibilité internationale peu ordinaire », poursuit le Dr Cohen.
International en 1995.
En vingt ans, la coordination des Grog a sensiblement évolué sur les plans technologique, géographique, scientifique et politique. Limité à l'Ile-de-France, le Grog est devenu national en 1987, européen en 1990 et international en 1995. Ses membres sont intervenus dans un nombre croissant de domaines scientifiques : virologie fondamentale, statistiques, mathématiques, sociologie, éducation, économie... « Enfin, la place des Grog comme interface entre le terrain et les institutions (DGS, InVS, Urml, ORS...) s'est peu à peu précisée et, en même temps, il est devenu évident que les perspectives de recherche et d'expérimentations sont devenues immenses dans le domaine de la grippe et des virus respiratoires nouveaux », conclut le Dr Cohen.
D'après un entretien avec le Pr Claude Hannoun et le Dr Jean-Marie Cohen.
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