Chaque année, la médecine réussit avec succès plusieurs milliers de transplantations d'organes. En 2000, par exemple, pas loin de 3 000 Français ont échappé à une mort certaine grâce à une greffe salvatrice.
L'efficacité sur le long terme d'une telle pratique est de nos jours indéniable. Mais, bien sûr, la transplantation n'est pas sans conséquences sur la vie du greffé. Prise d'un traitement immunosuppresseur régulier, induction d'effets secondaires, fatigue à l'effort, angoisse vis-à-vis du greffon étranger, nécessité d'un suivi médical régulier, etc. Autant de contraintes qui entraînent chez le patient un nouvel état à la fois chronique et irréversible.
A quel point la vie quotidienne des greffés s'en trouve-t-elle transformée ? C'est ce qu'a demandé le groupe pharmaceutique Fujisawa à un échantillon de 553 patients, toutes transplantations confondues (cur, foie, rein et cur/poumon). Sur un point, les greffés sont unanimes : tous sont très reconnaissants vis-à-vis du donneur. Soixante pour cent des personnes sondées considèrent le greffon come un « cadeau », un « don », une « seconde chance ». Toutefois, deux tiers d'entre elles craignent un rejet, quelle que soit l'ancienneté de la greffe. D'une façon générale, l'intervention est suivie d'une amélioration de l'état de santé, d'après les greffés. Nombreux sont ceux qui disent avoir retrouvé l'appétit, la concentration intellectuelle et un peu d'endurance. Petite ombre au tableau : 47 % se plaignent de troubles de mémoire après la greffe, contre seulement 24 % avant. Mais globalement, le plan physique est source de satisfaction.
Il en va autrement quand les questions portent sur l'insertion professionnelle postgreffe. Seulement 40 % des personnes travaillent, et encore, pour la plupart, ce n'est qu'à temps partiel. Le Pr Philippe Wolf, chirurgien à l'hôpital de Hautepierre de Strasbourg, indique que les médecins sont « très sollicités par les greffés. Ils nous supplient souvent de renouveler leur carte d'invalidité, seul moyen de ne pas tomber dans la précarité ». Or, le statut de handicapé n'est pas destiné à résoudre des problèmes sociaux de gens sans handicap. Rappelons que l'âge moyen des greffés se situe autour de 45 ans. La greffe serait-elle un bon prétexte saisi par l'employeur pour ne pas réembaucher une personne « un peu trop âgée » ? La question peut se poser.
Des statuts adaptés
La réinsertion des greffés est le cheval de bataille de l'association A cur ouvert. Son créateur, Lionel Courier, lutte depuis des années pour « faire établir par le ministère de la Santé des statuts sociaux pour les greffés ». Il existe une alternative pour faciliter le retour à l'emploi : la création de postes spécialement adaptés. Or, actuellement, le gouvernement n'a pris aucune mesure allant dans ce sens.
Pour le cas spécifique du rein, le Pr Yvon Lebranchu, néphrologue à l'hôpital Bretonneau de Tours, souligne que « le fait de réaliser la greffe directement, sans avoir recours à la dialyse, est avantageux ». Dans ce cas, pas de longs mois passés à l'hôpital, coupé du monde professionnel. Le patient est juste arrêté le temps de l'intervention ; son poste n'est pas menacé.
Retrouver du travail est difficile après une greffe. Se réinsérer dans la société également. Avoir un enfant, par exemple, fait peur. Seule une petite minorité de greffés, 7 % d'après l'enquête, s'est lancée dans l'aventure. Une personne sur deux avoue par ailleurs modifier ses loisirs, les capacités physiques étant amoindries « après ». Le cas de Christian Liénard, devenu adepte des courses à pied et marathons en tout genre après avoir subi une greffe hépatique, laisserait pourtant espérer le contraire. « Le sport m'a sauvé. Je me suis dépassé, j'ai retrouvé le moral. » En fait, il s'agirait d'un « parfait contre-exemple », selon Gérard Torpier, président de l'Association nationale des déficients et transplantés hépatiques (Transhépath). Affirmation soutenue au vu des résultats de l'enquête menée par ladite association sur quelque 650 greffés du foie, qui sera rendue publique d'ici à la fin du mois. Cette seconde étude est plus nuancée que la première et dresse un tableau moins idyllique de la qualité de vie du greffé. Sont soulignés les points suivants : « La nécessité de répondre à la vulnérabilité psychique, à la réorganisation sociale, au retour à l'emploi, à l'accès aux loisirs et aux assurances. »
A ce propos, un transplanté cardiaque explique qu'il « n'a jamais pu obtenir de prêt pour construire une maison sous prétexte que sa greffe met sa vie en danger ».
La responsabilité sociale des médecins
Les médecins peuvent-ils contribuer à améliorer la réinsertion de leurs patients ? « Oui, c'est même notre devoir, estime le Pr Philippe Despins, chirurgien à l'hôpital Laennec de Nantes. En fait, les médecins ont à assumer une triple responsabilité. Médicale, avec la réussite de la greffe. Psychologique, en aidant le patient depuis l'annonce du diagnostic jusqu'à l'après-greffe, qui doit conduire à l'appropriation mentale du greffon par le transplanté. Et sociale. Dès le projet de greffe envisagé, le médecin doit aider son patient à préparer sa prochaine réhabilitation socioprofessionnelle, en collaboration avec toutes les instances concernées. » Improviser cette réinsertion un an après la greffe, une fois l'état du patient stabilisé, est voué à l'échec. Compte tenu de la fréquence avec laquelle les greffes sont pratiquées en France depuis des années, médecins, patients et associations lancent donc un appel au gouvernement. Tous souhaitent la rapide mise en place de droits spécifiques pour les greffés.
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