Souffrance psychique
L’évolution du soin psychiatrique vers la promotion de la santé mentale a complètement bouleversé l’adéquation entre la notion de besoin de soin et celle de demande d’aide psychothérapeutique. La psychiatrie qui se consacra, pendant deux siècles, au traitement des maladies mentales est de plus en plus sollicitée pour des formes variées de souffrance psychique. On lui demande de porter secours à la détresse morale des exclus, de prévenir les conséquences psychopathologiques des catastrophes ou des accidents, de réguler la violence sociale, d’assumer le mal-être des adolescents, quand ce n’est pas de promouvoir le bonheur ou la réussite par l’affirmation de soi. Si toutes ces missions sont parfaitement légitimes, elles ne sauraient être mises sur le même plan, particulièrement à une époque où chacun prend conscience que les moyens affectés à l’offre de soin ne pourront pas être illimités.
Distinguer
Il convient donc de distinguer :
– les troubles mentaux, la schizophrénie par exemple, pour laquelle existent des traitements dont l’efficacité est parfaitement établie et qui nécessitent donc une réponse médico-psychologique associant prescription d’antipsychotique, mesures d’assistance sociale et éventuellement intervention psychothérapeutique de type remédiation cognitive ;
– les difficultés psychologiques (sentiment subjectif de malaise, d’inconfort, de morosité, d’insatisfaction, de manque de confiance en soi ; modalités relationnelles conflictuelles en famille, au travail, avec ses amis, son conjoint(e) ; souffrance secondaire à un deuil, une perte de travail, une déception sentimentale ou un échec ; sexualité mal assumée...) qui justifient plus une intervention psychologique ou psychanalytique que psychiatrique ;
– les détresses psychosociales, où une contribution de la psychiatrie doit s’intégrer à une réponse pluridisciplinaire. C’est le cas, par exemple, de l’aide aux victimes, aux exclus, aux détenus, aux patients atteints de maladie incurable.
Le conseil du généraliste
La difficulté réside dans le fait que le sujet en souffrance psychologique n’a pas nécessairement conscience de la nature de ce dont il souffre et donc ignore l’interlocuteur auquel il doit s’adresser. C’est en cela que le conseil du médecin généraliste est essentiel. D’autant que la « frontière » est parfois confuse entre un problème psychologique et un trouble psychiatrique (par exemple, entre une timidité marquée et une phobie sociale) et que le retentissement social ou la gêne fonctionnelle ne sont pas nécessairement plus importantes dans un champ que dans l’autre [par exemple, un patient maniaco-dépressif bien traité peut être moins handicapé par sa maladie qu’un(e) veuf(ve) qui n’arrive pas à faire son travail de deuil]. Enfin, un patient souffrant de schizophrénie est exposé, plus que tout autre, à des conflits avec autrui, des frustrations, des problèmes sexuels, des moments de découragement...
Des moyens
La médecine dispose, pour traiter les troubles mentaux, de moyens biologiques (médicaments psychotropes, stimulation magnétique transcranienne, luxthérapie...), sociothérapeutiques (qui vont des mesures de protection sociale à l’ergothérapie) et psychothérapeutiques. Ces derniers sont extrêmement diversifiés comme le soulignent Pichot et Allilaire, dans leur rapport (2003) : «Ils vont de l’utilisation de la parole comme unique vecteur de la guérison jusqu’à l’adjonction de techniques diverses comme la médiation corporelle, la musique, l’art, le dessin, l’expression théâtrale, par exemple... » Ces mesures pouvant d’ailleurs être associées à des degrés divers et selon les cas. Comme le rappellent ces auteurs, elles se définissent tantôt par l’interlocuteur auquel elles s’adressent (sujet, groupe, famille, couple...), tantôt par le procédé qu’elles utilisent (art-thérapie, musicothérapie, relaxation...) tantôt par la théorie à laquelle elles se réfèrent (béhaviorisme, psychanalyse...).
De grands types
On peut toutefois retenir :
–les psychothérapies d’inspiration analytique qui se fondent sur la relation transférentielle et dont existent de nombreuses variantes. Elles visent à la résolution des conflits inconscients. Elles peuvent être intéressantes dans les troubles de la personnalité ou les troubles névrotiques et anxieux ;
–les psychothérapies cognitivo-comportementales qui se réfèrent au modèle béhavioriste et sont les plus codifiées. Elles privilégient la disparition des symptômes et sont susceptibles d’être indiquées dans l’ensemble des grands syndromes psychiatriques ;
–les psychothérapies rogériennes dites «humanistes» qui se proposent de promouvoir l’autonomie du sujet par l’empathie et la compréhension sans théorisation a priori. On peut y rattacher les psychothérapies de soutien, complément utile d’un antidépresseur dans la prise en charge d’un patient déprimé ou souffrant d’un trouble anxieux ;
–les psychothérapies intégratives qui font un usage éclectique des différentes techniques et tentent d’améliorer l’équilibre entre l’affectif et le cognitif, en s’aidant du désir de changement du patient, de ses motivations et de la confiance avec le thérapeute ;
–les psychothérapies familiales qui trouvent leur indication dans les pathologies où les déterminants familiaux sont marqués, comme l’anorexie mentale.
L’Inserm a réalisé, il y a deux ans, une expertise collective qui, au terme de l’analyse de plus de mille études contrôlées, a précisé les intérêts respectifs de ces grands types de psychothérapie dans le traitement des principaux troubles mentaux (accessible sur le site Internet de l’Inserm).
Soignant-soigné
A côté de ces psychothérapies, que l’on peut qualifier de structurées, il convient de rappeler que la plupart des relations soignant-soigné comportent une dimension psychothérapeutique ; c’est le cas du réconfort qu’un médecin généraliste apportera à un patient souffrant d’une affection somatique, de la compassion d’une infirmière dans une unité de soins palliatifs, des mots d’encouragement d’un kinésithérapeute assurant la rééducation d’un paraplégique.
Niveaux d’intervention
Après une première étape d’évaluation de la demande et de diagnostic, le choix d’une stratégie thérapeutique impose de distinguer différents niveaux d’intervention :
–l’aide, le réconfort, l’écoute, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement le fait d’un soignant et peuvent être prodigués par un « aidant naturel » (famille, proche...) ;
–le soutien et le conseil, susceptibles d’être prodigués par tous les professionnels de la santé, de manière adaptée à chaque cas et selon les compétences de chacun ; un médecin généraliste devra, par exemple, faire des recommandations à un patient déprimé et l’informer sur son trouble en plus de son éventuelle prescription puis, s’il est formé à un type de psychothérapie, s’y engager personnellement avec son patient ou l’adresser à un psychothérapeute si cela apparaît nécessaire ;
–le travail psychothérapeutique structuré, qui peut avoir différents objectifs, comme la simple disparition des symptômes ou une prise de conscience plus approfondie.
Le choix du niveau d’intervention est fonction de la demande du patient, de ses possibilités, de la nature de son trouble, des disponibilités en thérapeute autour de son lieu de résidence.
De surcroît, plusieurs niveaux peuvent être conjugués : on peut attendre du réconfort de son entourage, des conseils de son médecin généraliste et une psychothérapie d’un spécialiste.
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