SANS SURPRISE, la lettre du ministre de la Santé (« le Quotidien » du 22 février) au président de l'Institut national contre le cancer (Inca), le Pr Dominique Maraninchi, lui demandant de lui donner, «sous deux mois, un avis circonstancié» sur les conséquences du parcours de soins sur le dépistage des mélanomes, a une nouvelle fois soulevé la colère des généralistes.
«Comme si, nous écrit un lecteur du “Quotidien”, nous n'étions pas capable de savoir les dangers des mélanomes, et comme si nous ne savions ni les dépister ni avoir recours au dermatologue lorsque nous les découvrons ou lorsque nous avons un doute. Ce procès d'intention est inacceptable.»
L'émoi est aussi grand chez les syndicats de généralistes, notamment à MG-France, qui s'insurge contre le «lobbying d'une profession qui veut absolument préserver ses prérogatives et qui, pour cela, n'hésite pas à mettre en accusation d'autres médecins». Mais, tempête le Dr Vincent Rébeillé-Borgella, responsable de MG-France, «si réellement le parcours de soins et le médecin traitant sont responsables d'un accroissement des cancers parce que les mélanomes ne sont pas diagnostiqués, qu'on le prouve. Il est évident que l'on veut stigmatiser notre profession».
La crainte des politiques.
Pour le Dr Rébeillé-Borgella, «cette opération démontre une nouvelle fois que les spécialistes n'acceptent toujours pas le parcours de soins. On dépouille la loi petit à petit et je me demande ce qu'il en restera bientôt si tous les spécialistes se mobilisent contre le principe de la consultation préalable chez le généraliste».
Du côté d'Espace Généraliste, on n'est pas moins remonté. Dans une lettre qu'il a fait parvenir au ministre de la Santé, le Dr Jacques Marlein, secrétaire général adjoint de cette organisation dénonce lui aussi «des calomnies publiques».
«Ces assertions, poursuit-il, ne reposent sur rien d'autre queles intérêts, du reste malcompris, de ceux qui propagent de telles rumeurs, puisque aucune étude épidémiologique n'est à l'origine de ces prises de position.»
Et le Dr Marlein de proposer que «l'avis circonstancié demandé au PrMaraninchi soit étayé par une étude épidémiologi- que méthodiquement rigoureuse».
Des dermatologues, écrit Xavier Bertrand dans sa lettre au président de l'Inca, «m'ont alerté sur l'incidence que pourrait avoir l'organisation du parcours de soins sur le dépistage des mélanomes»: une petite phrase qui a fait bondir nombre de généralistes, mais sans doute moins que celle qui affirme que les dermatologues ont «indiqué au ministre que la capacité des médecins généralistes à détecter des mélanomes est insuffisante». C'est, bien sûr, cette mise en cause de leur compétence qui indigne les généralistes et les incite à dénoncer «les calomnies et les accusations».
Du côté des spécialistes concernés, on cherche à minimiser l'affaire. « Nous travaillons en bonne intelligence avec les généralistes, explique le Dr Gérard Rousselet, dermatologue exerçant dans le Val-de-Marne et président du Syndicat national des dermato-vénéréologues. Mais il est vrai que les pouvoirs publics s'inquiètent de ce problème de dépistage et ne veulent surtout pas être accusés de négliger l'importance des mélanomes.» Le gouvernement craint, dit-il, «que le parcours de soins soit accusé un jour d'être responsable d'un accroissement des cancers de la peau».
Le principe de précaution.
La mission confiée au président de l'Inca participerait donc au respect du principe de précaution.
«Le dépistage est primordial, poursuit le Dr Rousselet. Quelquefois, le mélanome tue en six mois.»
Mais le président du syndicat des dermatologues regrette surtout que «les généralistes en Europe de l'Ouest, et notamment en France, ne bénéficient pas d'une formation très poussée en dermatologie, contrairement à ce qui passe dans d'autres pays, notamment en Australie». Mais il est vrai que dans cette contrée le dépistage du mélanome est une cause nationale.
Pour le Dr Michel Combier, président de l'Union nationale des omnipraticiens français, qui regroupe les généralistes de la Csmf, «les généralistes font convenablement leur métier et participent largement au dépistage des mélanomes».
Les patients, pour-suit-il, viennent rarement pour cette raison. «Leur plainte est ailleurs, mais c'est en les examinant que nous découvrons une lésion cutanée suspecte et que nous les envoyons consulter rapidement un dermatologue ou que nous prenons contact avec lui.»
«Combien de fois en auscultant un patient, en posant mon stéthoscope sur ses poumons, ajoute le Dr Combier, ai-je ainsi découvert dans son dos, à un endroit où lui-même ne pouvait rien voir, un bouton suspect. Au cours du dernier trimestre, cela m'est arrivé cinq fois. Il ne s'agissait évidemment pas chaque fois d'un mélanome. N'empêche que j'ai pris toutes les précautions indispensables.»
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