« JE SOUHAITE beaucoup de chance à Douste pour sa réforme car c'est un ami d'enfance. J'espère seulement qu'il ne s'est pas planté . » Installé à Toulouse depuis un quart de siècle, le Dr Bernard Authier, 55 ans, donne un avis « neutre » mais se demande quand même si la nouvelle convention « permettra à l'entreprise médicale de survivre, surtout à la campagne ».
Le Dr Monique Cohen, 46 ans, se dit « plutôt pour » le parcours de soins coordonnés. Mais, en tant que futur médecin traitant, cette généraliste de Sanary-sur-Mer (Var) s'interroge sur le sort de ses patients pendant les périodes de fermeture de son cabinet, dans la mesure où elle n'a ni remplaçant ni associé. « Cela pourra poser problème », note-t-elle. Une consœur de Pantin (Seine-Saint-Denis), le Dr Anne Laborde, 42 ans, redoute un peu le jour où les patients devront faire un passage obligé dans son cabinet avant d'aller voir un spécialiste : « Les consultations avec ceux qui viennent juste retirer un courrier ne sont pas spécialement agréables. »
Pas de changement.
A Montjean (Mayenne), le Dr Jean-Louis Roche, 53 ans, « ne va pas changer (sa) façon de travailler » car le parcours de soins « existe déjà » pour les habitants de son village de 900 âmes situé « à 15 km du premier spécialiste ». Avec un « délai de six mois d'attente pratiquement pour toutes les spécialités à l'hôpital ou en libéral », le Dr Roche est déjà obligé d' « appeler personnellement (ses confrères) pour décrocher un rendez-vous dans un délai pas raisonnable mais presque », c'est-à-dire après « quinze jours ou trois semaines ».
A Dun-le-Palestel (Creuse), le Dr Christian Brismoutier, 56 ans, se glissera d'autant plus aisément dans les habits du médecin traitant qu'il « exerce dans un trou à la campagne et que tous (ses) patients passent déjà par leur généraliste ». Dans sa clientèle, le Dr Brismoutier dénombre beaucoup de personnes âgées, si bien qu'il a « environ la moitié de (ses) patients en ALD ». Pour autant, il n'a « aucune idée » du montant total de sa future rémunération de médecin traitant (40 euros annuels par patient en ALD dans la nouvelle convention).
Pour les généralistes, la part des personnes souffrant d'une affection de longue durée varie beaucoup - autour de 10, 30 ou 50 % -, selon le lieu de l'installation. Mais, d'une manière générale, le forfait annuel prévu pour les médecins traitants n'apparaît pas pour l'instant comme une rémunération phare.
« Une aumône ! »
Ainsi, le Dr Daniel Mazuir, 52 ans, « ne trouve pas grand-chose dans cette convention ». « Ce qui me choque un peu, c'est que l'on ne tient pas assez compte du C = CS », ajoute ce généraliste marseillais qui attendait davantage de la reconnaissance officielle de la médecine générale au rang de spécialité cette année.
En apprenant qu'il pourra facturer sa consultation 22 euros, en tant que médecin correspondant, à un patient envoyé par un médecin traitant spécialiste, le Dr Authier s'exclame : « Mon Dieu ! C'est un peu une aumône ! »
A Caluire (Rhône), le Dr Bertrand Caudal, 46 ans, ne mâche pas ses mots et va jusqu'à dénoncer « un coup de force du lobby des spécialistes » à travers le protocole d'accord du 15 décembre.
La revalorisation des consultations et des visites destinées aux enfants de 0 à 24 mois (majoration nourrisson ou MNO, de 5 euros à partir du 1er mars 2005) est malgré tout assez bien accueillie. « C'est pas mal ! C'est gentil ! », commente le Dr Cohen qui voit « beaucoup d'enfants de quelques mois à 4-5 ans ».
La MNO « intéresse » aussi Anne Laborde car elle « voit les 39 (de fièvre) , les méningites », du fait du « manque de pédiatres » dans sa banlieue au nord-est de Paris. Cependant, « débordée en permanence », le Dr Laborde aurait préféré « plus de temps pour les gens, plus de qualité dans (ses) conditions de travail plutôt qu'une revalorisation d'honoraires pure et simple ».
Le Dr Caudal, qui soigne « beaucoup de gamins », fait remarquer néanmoins que « les nourrissons pleurent un peu, sans plus », tandis que « la pénibilité de la consultation commence à partir de 2 ans ». Le Dr Caudal raconte sans aucune amertume ses déboires quotidiens : « Entre 2 et 5 ans, l'enfant s'accroche au rideau pour jouer à Zorro, passe derrière le bureau et ouvre les tiroirs, fait tomber mes fiches pendant que j'examine son petit frère... » Bref, un enfer ignoré par les concepteurs de la MNO, « des médecins qui ne font pas de médecine », lâche ce généraliste rhônalpin. Bertrand Caudal ne court pas après les majorations et n'a d'ailleurs « jamais fait payer 26 euros » pour la consultation lourde annuelle des ALD (Cald). Doté d'un « logiciel informatique orphelin » pour lequel il n'existe plus aucune mise à jour, Bertrand Caudal est actuellement condamné à tarifer toutes ses consultations à 20 euros afin d'éviter tout blocage de télétransmission de ses feuilles de soins. A moins qu'il ne se décide à « racheter un nouveau logiciel... à 300 euros ».
La colère de l'Isnar-Img
L'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-Img) et le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg) dénoncent sévèrement le protocole d'accord signé la semaine dernière par trois syndicats de médecins libéraux et l'Uncam. « Événement lourd de menaces pour la solidarité nationale... officialisation d'une médecine à plusieurs vitesses... pénalisation financière des patients dont la prise en charge des soins sera globalement diminuée », le Snjmg trouve le protocole bien éloigné des ambitions de la réforme adoptée cet été. Les jeunes généralistes déplorent la disparition de l'option médecin référent et la mise en place d'un système de médecin traitant « dirigiste et lourd dans son application pratique ». Le Snjmg regrette que le protocole fasse « porter sur les seuls médecins généralistes l'essentiel des économies attendues » sans dire un mot sur « l'évolution indispensable et souhaitée de leur système de rémunération ».
Pour l'Isnar-Img, le protocole va à l'encontre de la reconnaissance de la médecine générale comme spécialité. « Les résidents et les internes de médecine générale sont les seuls à être formés pour assurer pleinement les fonctions de médecin traitant : coordination du parcours du patient, synthèse du dossier médical personnel, suivi, prévention et éducation du patient... » L'Isnar-Img réclame que « le C égale le CS », les futurs détenteurs du DES de médecine générale exerçant « dans les mêmes conditions et avec les mêmes responsabilités que leurs collègues spécialistes ». « Continuer de valoriser les autres spécialités médicales aux dépens de la médecine générale, c'est continuer à inciter les futurs internes à délaisser notre profession », s'inquiètent les internes.
> C. G.
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