DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
PLUS D'UNE CENTAINE de médecins, essentiellement des omnipraticiens, se sont réunis jeudi à Honfleur pour mettre en garde la population sur la désertification médicale qui guette leur région.
Comme un symbole, c'est au péage qui précède le pont de Normandie, le plus grand du pays, que les praticiens se sont donné rendez-vous, à l'appel de la Fédération des médecins de France (FMF) et de MG-France, pour distribuer des tracts et échanger avec des conducteurs. C'est effectivement un immense gouffre que la démographie médicale devra combler dans les toutes prochaines années. Les nombreux départs à la retraite des généralistes et l'énorme difficulté à convaincre les étudiants de choisir la médecine générale sont les principales causes du malaise. L'âge moyen des médecins normands en exercice, supérieur à 52 ans, augure un avenir bien sombre. La palme revient à l'Orne avec une moyenne d'âge de 56 ans. «La situation est dramatique, commente le Dr Antoine Leveneur, président de la FMF de l'union régionale des médecins libéraux de Basse-Normandie. La densité moyenne en France est de 163médecins pour 100000habitants, mais ce nombre est de 136pour la Haute-Normandie et de 133en Basse-Normandie et il va baisser très rapidement. De nombreux cantons deviennent des zones blanches et les confrères ne tiennent plus.»
En moyenne, 45 patients.
Les médecins, qui ont fermé leur cabinet pour se rendre sur le pont de Normandie, confirment. «Je vais péter les plombs, explique Alexis Aubin, 40 ans, généraliste à La Ferté-Macé. Dans mon bourg, il y a six médecins de famille actifs mais un vient d'avoir un infarctus et un autre veut arrêter son activité à la fin de l'année. Il a 65ans. Je vois 45patients en moyenne par jour et je fais aussi 10 actes gratuits parce que je n'ai pas le temps de voir tout le monde en consultation. Je suis obligé de refuser de nouveaux patients.» Laurence, habitante de La Ferté-Macé, en fait partie. «Depuis le départ à la retraite de mon médecin, je me suis fait renvoyer dans mes pénates par trois généralistes qui m'ont expliqué qu'ils ne pouvaient pas me prendre car ils sont surchargés et je les comprends, explique cette mère de trois enfants. Dans les communes alentour, quatre autres praticiens m'ont aussi refusée. C'est un vrai problème, je vais devoir aller à l'hôpital pour faire les rappels de vaccin de ma fille.» Membre d'une association d'usagers, Laurence souhaiterait que la santé devienne un droit fondamental. «L'Etat devrait faire une carte sanitaire et forcer les médecins à s'installer là où on a besoin d'eux, ajoute-t-elle. On le demande bien aux enseignants et aux pharmaciens, pourquoi pas aux médecins?»
Une solution : la maison de santé .
Au cours d'un débat organisé à Honfleur par les syndicats FMF et MG-France, auquel étaient conviés de nombreux hommes et femmes politiques de tous bords, les médecins ont largement exposé leurs doléances. Fatigués par la langue de bois et l'absence de propositions de la plupart des élus, un médecin éclate : «On n'en peut plus, on est fatigué, débordé. On ne veut plus de tâches administratives. Elles doivent être effectuées par des secrétaires prises en charge par la collectivité. Nous sommes tous les jours ridiculisés avec nos honoraires. Ce métier n'attire plus les jeunes. On veut faire ce pour quoi on est formé!» Les maisons de santé paraissent être la dernière chance d'attirer les futurs médecins qui veulent faire coïncider exercice professionnel et qualité de vie. C'est l'avis de Michel Le Gac, généraliste de 58 ans, qui exerce dans une zone déficitaire à Isigny-sur-Mer (Calvados) : «Je suis généraliste enseignant à Caen et aucun de mes stagiaires ne s'est installé chez nous malgré mon implication dans la formation.» Le Dr Le Gac est aujourd'hui le promoteur d'un projet de maison de santé avec des confrères généralistes, des infirmières, des kinés, des dentistes, un pédicure… Médecin généraliste et maire de Rugles, petit village de l'Eure, Denis Guitton, essaie lui aussi de prendre le taureau par les cornes. Il a monté un dossier de centre de santé «sur le modèle de ceux de la Croix-Rouge», avec des généralistes, des kinés, des infirmières et plusieurs spécialistes. «Ces centres permettent aux jeunes médecins d'être salariés et de garder une activité en libéral», commente-t-il. Le médecin compte sur cette organisation pour fonctionner avec une secrétaire qui effectuerait les tâches dont les médecins veulent être libérés.
A l'issue de la réunion très animée à laquelle ont participé plus de deux cents médecins, l'Intersyndicale FMF-MG-France de Normandie a rappelé aux élus locaux que des mesures urgentes doivent être prises pour rendre aux jeunes l'envie d'exercer la médecine générale, en multipliant les aides incitatives à l'installation.
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