Dans cette région, le plus grand nombre des installations datent des années soixante-dix et au fil du temps, une solidarité s'est manifestée spontanément entre les confrères pour exempter les plus âgés et autoriser ceux qui le souhaitaient à se faire remplacer.
Depuis quinze ans aucun jeune médecin supplémentaire ne s'est installé dans la région. Il y a cinq ans on est entré dans la période de pénurie des remplaçants et aujourd'hui c'est la douche froide. Les conditions démographiques sont telles que certains médecins âgés de plus de cinquante cinq ans voire de soixante sont obligés de reprendre leurs gardes de nuit et de week-end. Dans ces cas, c'est un ou deux réveils par nuit, des lendemains difficiles à assumer et parfois deux semaines d'activité sans repos.
Cette année, les généralistes ont vu toutes les catégories de la profession se plaindre de leur sort et obtenir des améliorations. Mais ils ont véritablement l'impression que personne ne s'intéresse à eux en dehors des sanctions dont on les menace sous prétexte que les dépenses de Santé augmentent trop vite aux yeux des économistes. Ils avaient envie d'en parler et leur réunion amicale semestrielle en fût l'occasion.
Le Dr B. exerce la médecine à Saint-Nom la Bretèche et, au fil des ans, il a vu son exercice se modifier : " Année après année, nos patients recourent de plus en plus fréquemment aux services de nos confrères spécialistes. C'est particulièrement le cas en pédiatrie et en gynécologie. Par contre, le paradoxe c'est que nous sommes devenus pédiatres et gynécologues de nuit "
Exercer leur métier, ils disent tous qu'ils en ont encore envie. Mais les conditions d'exercice deviennent de plus en plus contraignantes et difficiles.
Il est interdit d'interdire
Le Dr T, généraliste à Noisy-le-Roi, peste contre ceux qui n'ont jamais voulu intégrer les chiffres de la démographie ou qui les ont utilisés avec un retard suffisant pour que la réforme qui était mise en place aggrave la situation : " En 68, quelqu'un avait écrit sur les murs de la Sorbonne : Il est interdit d'interdire ! Et cela a provoqué un choc dont la nomenklatura de l'Education nationale a profité pour laisser les portes de l'Enseignement supérieur grandes ouvertes. Tout le monde savait pourtant qu'avec les années à forte démographie dans lesquelles ont allait évoluer, l'entrée libre allait provoquer un afflux qui aurait ensuite une influence sur l'exercice de la profession. Dans le cas particulier de la médecine où l'enseignement est pratiquement celui d'une école professionnelle, c'est à dire qu'on a un débouché assuré mais qu'on devient difficilement reconvertible, l'absence de numerus clausus a institutionnalisé la pléthore médicale. Au lieu de lisser le numerus clausus en modifiant lentement les promotions successives, on a attendu que le nombre des médecins libéraux ait doublé en dix ans pour établir brutalement un concours couperet inhumain. Ensuite, il n'était pas besoin de sortir de l'Ena pour imaginer que quelques années plus tard cela poserait un problème aux médecins qui voudraient prendre leur retraite, qui ne trouveraient plus de successeur et qui manqueraient d'actifs pour cotiser. Et bien, pourtant, ceux qui sont sortis de l'Ena et qui ont parfaitement cerné le problème démographique de la médecine n'en ont pas tenu compte. Ils ont fait la sourde oreille quand nos instances professionnelles attiraient leur attention et proposaient qu'on remonte régulièrement le numerus clausus."
La féminisation, une réalité
Depuis un petit moment, une consur installée à Chavenay, voulait intervenir, elle finit par couper la parole à son voisin, en ajoutant : "Et puis, il y a eu la féminisation, ça n'a pas arrangé les statistiques. C'est naturel que les femmes aient voulu intégrer la médecine. A l'heure actuelle elles ne représentent que trente pour cent des diplômes en exercice, mais elles sont soixante pour cent des étudiants. Beaucoup d'entre elles ont des activités aménagées et elles exercent souvent une médecine différente, famille oblige. C'est pas un plus pour les gardes "
A les entendre, il est évident que leurs conditions de travail deviennent insupportables. Mais ils n'ont jamais eu vraiment l'habitude de se plaindre. "Si on se plaint, nous n'avons aucune illusion à nous faire, de toute façon, on nous prend pour des nantis et on ne nous écoute pas."
Cette fois, si le niveau de leur rémunération a été mis en avant, ils n'ont plus peur d'en parler et de comparer à tout ce qu'ils constatent dans les publications spécialisées où les salaires des cadres sont exposés de façon publique. Et chacun de citer tel exemple de son entourage et de rappeler comme le Dr N. de Bailly : "Si l'on compare le nombre d'années d'études qu'il nous a fallu accomplir, nos activités hospitalières pendant les études qui ne sont pas prises en compte pour la retraite, la formation permanente que nous devons suivre, les horaires qui sont les nôtres et la rémunération moyenne que les généralistes en tirent, on comprend pourquoi il y a un climat difficile dans la profession."
Pas même la reconnaissance
Son confrère, le Dr S. installé dans le même village acquiesce et ajoute : " Pendant longtemps, nous savions tout cela mais on arrivait à faire bonne figure car nous bénéficions d'une véritable reconnaissance de la part de nos patients et de la société. Aujourd'hui, c'est fini, on nous prend pour une station-service ! Et quand nous entendons que tel de nos amis qui gagne mieux sa vie que nous, va avoir droit aux trente cinq heures, c'est les conditions de notre vie que nous remettons en cause. Les syndicats qui revendiquent des augmentations de nos honoraires ont eu raison de choisir la grève des gardes car c'est sans doute la partie de notre exercice qui nous rend différents. La nuit, le dimanche, les vacances, il faut toujours s'organiser pour assurer une continuité des soins. Nous aussi on voudrait vivre mieux ! C'est trop facile de prendre pour exemple tel ou tel médecin qui a des revenus mirobolants en pratiquant une médecine douce aux heures ouvrables. Nous, ce n'est pas ça ! C'est cinquante heures par semaine et des astreintes préjudiciables à la vie de famille."
Le Dr B. installé à Noisy-le-Roi depuis plus de trente ans reprend : "Nous sommes tout à fait solidaires des internes. C'est eux qui prendront la relève, un jour, enfin on l'espère. Leurs difficultés actuelles ne sont pas très différentes de celles qui étaient les nôtres à leur âge. Mais quand j'entends que des garçons et des filles de 26 ans obtiennent un repos compensateur après un week-end de garde, cela me fait rêver. J'ai plus de soixante ans et je suis obligé de reprendre mes gardes sous prétexte que des technocrates n'ont jamais voulu prendre les bonnes décisions parce qu'elles n'étaient pas assez démagogiques !"
Ils en ont assez et ils le clament : "Cela ne peut pas durer !" "C'est trop facile, pendant des années on nous a fait le coup du sacerdoce ! Nous avions eu "la vocation" et cela permettait de dire : ah, quel beau métier ! tout en se foutant complètement de notre vie personnelle" "Nous voulons être des travailleurs comme les autres, des professionnels de la médecine et avoir notre mot à dire dans l'évolution de notre métier !"
Ce soir là, conscients de leurs responsabilités, ils ont décidé de remplir le tableau de garde pour les six mois à venir. Mais ils ont aussi décidé de le garder sous le coude tant qu'on n'aura pas satisfait leurs revendications. Pour garder le moral, ils ont aussi décidé de croire au Père Noël !
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