Le Dr Michel Chassang, président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF, affiliée à la CSMF et majoritaire chez les généralistes)), en convient volontiers : l'appel à la grève illimitée des gardes de nuit (de 20 heures à 8 heures) sur tout le territoire est un mot d'ordre d'une « gravité extrême », qui n'avait d'ailleurs jamais été lancé en France (1).
Et pourtant... En l'absence d'un geste de dernière minute du gouvernement sur « les honoraires des généralistes », unique motif officiel du conflit, le mouvement de grève des gardes de nuit pour lequel un préavis avait été déposé le 9 octobre commencera aujourd'hui à partir de 20 heures (« le Quotidien » du 10 octobre).
Cette consigne spectaculaire est en fait la deuxième étape de l'action protestataire lancée par l'UNOF, qui, il y a un mois, avait déjà demandé aux généralistes de ne plus faire de visites à 135 F (ce qui est le tarif ordinaire), mais d'appliquer pour les visites dites « de confort » un droit à dépassement des honoraires pour exigence particulière du patient (DE). Cette fois, l'UNOF et le Syndicat des médecins libéraux (SML) invitent « chaque médecin de famille » à ne plus assurer les gardes de nuit et à enregistrer la mention suivante sur son répondeur téléphonique : « En raison d'un mouvement de grève nationale auquel votre médecin participe, en cas d'extrême urgence jusqu'à demain 8 heures, veuillez composer le numéro 15. » Les syndicats exigent la revalorisation « immédiate » du C à 20 euros (soit 131,19 F, au lieu de 115 F, tarif en vigueur depuis trois ans) et du V à 30 euros (196,79 F, au lieu de 135 F, dans la plupart des villes depuis sept ans).
Un mouvement dur
Le Dr Claude Maffioli, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), majoritaire, a apporté son soutien total à ce mot d'ordre. Quant au deuxième syndicat de généralistes, MG-France, il n'appelle pas à la grève des gardes, mais exprime « son plein accord » sur les raisons de ce mouvement et sur les revendications avancées (voir encadré).
Une prudence que commente sobrement le Dr Chassang : « Chacun prend ses responsabilités. Je suis certain que ce mouvement est en phase avec ce que ressentent les médecins sur le terrain. » Dans plusieurs départements, l'unité syndicale pourrait être réalisée autour de la grève et, dans quelques villes, SOS-Médecins devrait également participer au mouvement.
Dans chaque département, les médecins généralistes qui participent à des tours de garde se sont réunis récemment lors d'assemblées générales pour se prononcer sur le mot d'ordre. Selon les syndicats qui appellent à la grève, la mobilisation s'annonce « extrêmement forte ».« De nombreuses régions seront dépourvues de système de garde libérale », annonce déjà le président de l'UNOF, qui souligne qu' « il ne s'agit pas d'un mouvement rural ».
Dans plusieurs secteurs, les autorités préfectorales ont pris les devants en prononçant des réquisitions de généralistes. « Cela prouve que notre mouvement fait peur », commente le Dr Chassang. Il ajoute que la réquisition de médecins libéraux pose « de très nombreux problèmes, notamment de rémunération ».
En tout état de cause, la bataille, de l'aveu même des syndicats mobilisés, sera « avant tout médiatique ». Dans une circulaire interne, l'UNOF appelle tous ses cadres à « inonder » la presse de communiqués et d'informations. « Après avoir donné 15,5 milliards aux hôpitaux publics en rallonges budgétaires et pour le financement des 35 heures, puis 3 milliards aux cliniques privées, il est impensable que les généralistes n'obtiennent rien », déclare le Dr Chassang.
Surmenage et insécurité
Si la grève des gardes de nuit vise d'abord à obtenir une revalorisation des honoraires, ce mouvement extrême exprime un ras-le-bol plus global et un désarroi profond qui s'expliquent tout à la fois par la dégradation des conditions d'exercice, le surmenage, la pression administrative, la dévalorisation du métier, une démographie préoccupante ou encore l'insécurité. Pour les médecins libéraux, assurer la permanence des soins signifie concrètement cumuler les horaires de consultations et de visites à domicile avec des gardes de nuit et de week-end. Cette surcharge de travail non récupérée, peu ou pas rémunérée, est d'autant plus difficile à accepter que la société française est en train de passer aux 35 heures, y compris les cadres et les praticiens hospitaliers. « Dans le contexte de réduction du temps de travail, la non-rémunération de l'astreinte (c'est-à-dire du temps que passe un médecin de garde, bloqué chez lui, à attendre un éventuel appel) nous démotive totalement », déclare un jeune généraliste installé. Si l'on ajoute la baisse de la démographie médicale, la féminisation croissante de la profession (qui va de pair avec des rythmes de travail différents) et la qualité de vie à laquelle aspire la nouvelle génération de praticiens, on mesure mieux le malaise actuel.
De nombreux généralistes déplorent aussi le « syndrome du supermarché », autrement dit, le comportement consumériste des patients, facteur sociologique qui aggrave le tableau de la permanence des soins en ville. Dans ce contexte, les appels au respect du code de déontologie selon lequel, « dans le cadre de la permanence des soins, c'est un devoir pour tout médecin de participer aux services de garde de jour et de nuit » (article 77) passent assez mal. La plupart des syndicats de praticiens installés soulignent une contradiction qu'on peut résumer ainsi : le médecin généraliste doit, avec des moyens individuels, assumer de facto une mission de service public (la permanence des soins) qui n'est pas encore reconnue comme telle. En 2000, selon la CNAM, les généralistes ont effectué 2 210 000 visites de nuit, soit 3,4 % de l'ensemble des visites au domicile des patients.
Amendement sur la permanence des soins
Le gouvernement a commencé à entendre le message. Adopté en première lecture, un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 (PLFSS) doit permettre d'expérimenter jusqu'à 2004 de nouvelles modalités d'association des professionnels libéraux à la permanence des soins. Dans ce cadre, les libéraux pourront bénéficier de « formes innovantes de rémunération », au forfait, par exemple. Un pas jugé beaucoup trop timide à l'heure où les représentants des médecins réclament des centres d'accueil sécurisés, une meilleure éducation des patients, un repos de sécurité et une révision globale de la nomenclature tarifaire.
(1) En 1998, l'UNOF et SOS avaient lancé une grève éclair des visites de nuit, mais sur une seule nuit, pour protester contre un projet du gouvernement de réduire la plage horaire d'application des majorations de nuit.
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