C'est une initiative locale, originale et spectaculaire. Certains diront qu'elle traduit « l'exception corse ».
Regroupés au sein d'une « coordination des généralistes libéraux de Corse » qui dédaigne les clivages habituels (elle réunit MG-France, l'Union nationale des omnipraticiens français - UNOF -, des médecins non syndiqués), la majorité des quelque 320 généralistes corses ont décidé de prendre leurs responsabilités dans le domaine de la contestation tarifaire. Ne voyant pas venir la revalorisation des honoraires que tous les syndicats réclament, insatisfaits du mot d'ordre de grève des gardes jugé « trop timoré », voire « inadapté », ils appliquent depuis début décembre « le C à 20 euros (131,19 F) et le V à 30 euros (196,79 F) ». Ce qui leur permet enfin de travailler avec des tarifs « décents ». Selon des responsables de la coordination, quelque 200 généralistes installés dans l'île observeraient déjà cette consigne, notamment la majorité des praticiens qui exercent en ville. Et ils pourraient être rejoints par les spécialistes libéraux.
Concrètement, en dehors des situations particulières (bénéficiaires de la CMU, application de la majoration de maintien à domicile - MMD - ou de majoration d'urgence - MU -, patients démunis), les généralistes concernés facturent un dépassement d'honoraires en utilisant la procédure du « DE » (qui correspond à un droit à dépassement normalement réservé aux exigences particulières du patient). Dans les salles d'attente, des affiches expliquent les raisons de cette contestation tarifaire, rappellent la dégradation des conditions de travail des généralistes et le blocage des honoraires depuis plusieurs années. Les caisses ont également été prévenues du lancement de cette initiative. « On respecte les situations sociales, insiste le
Dr Richard Ballejos, membre de la coordination des généralistes libéraux de Corse et responsable local de MG-France. Maisaujourd'hui, c'est le seul levier qui nous reste ; ce qu'il faut retenir, c'est la solidarité de cette action. » Pour autant, admet-il, « ce mot d'ordre n'est pas une fin en soi ». Le Dr Gérard Olivieri, généraliste à Ajaccio, membre de la coordination et président CSMF de la Corse-du-Sud, est sur la même longueur d'onde. « Dans les petites villes, tous les médecins se connaissent, explique-t-il . On était d'accord, y compris les non-syndiqués, pour agir sur les tarifs en annonçant la couleur aux patients. Au lieu de dire « On veut » , on a dit « on fait » , c'est notre façon de râler. »
Les intéressés, qui se défendent de prendre les patients en otage, admettent toutefois qu'ils font une interprétation « large », et sans doute parfois abusive, du « DE ». Mais, observe justement le Dr Olivieri, « les gendarmes ont bien manifesté alors qu'ils n'en avaient pas le droit et ils ont obtenu satisfaction ».
Du côté des caisses d'assurance-maladie, on rappelle l'obligation pour chaque médecin de respecter la convention en matière de dépassement de tarifs mais aussi de déterminer les honoraires « avec tact et mesure » (article 53 du code de déontologie). « Nous sommes en train de répertorier les médecins qui pratiquent des « DE », déclare Xavier Paoli, directeur par intérim de la CPAM de la Haute-Corse. Si ils persistent dans ces faits, nous allons rappeler l'application de la convention et avertir les médecins des sanctions auxquelles ils s'exposent. » Quant au conseil d'administration de la CPAM de Corse-du-Sud, il s'élève à l'unanimité contre « la décision unilatérale d'augmentation des honoraires » de la part des médecins libéraux. Il « s'étonne du moyen d'action utilisé, celui-ci ne pouvant que pénaliser les petits revenus » et demande aux médecins concernés de « renoncer à cette mesure injuste ». Faute de quoi, le conseil d'administration « prendra toutes les mesures qu'il jugera nécessaire au respect des termes de la convention ».
Martinique : le C à 22 euros
Il n'y a pas que les généralistes corses qui déterminent eux-mêmes leurs tarifs. Depuis la fin du mois de novembre, à l'appel du Syndicat des médecins de la Martinique (affilié à la CSMF), la très grande majorité des 240 généralistes de ce département d'outre-mer facturent leur consultation 22 euros (soit 144,31 F) contre 126,50 F auparavant (ce qui est le tarif habituel de la consultation dans les Antilles et la Guyane). « Nous avons décidé d'appliquer immédiatement cette revalorisation qui correspond à un rattrapage de 14 %, c'est-à-dire le pouvoir d'achat que nous avons perdu au cours des années sans revalorisation, explique le Dr Raymond Dorail, président du Syndicat des médecins de la Martinique. Nous savons que le gouvernement joue la montre ; donc on prend des initiatives. » A la différence de l'initiative corse, les généralistes de Martinique n'appliquent pas de « DE » pour justifier leur action protestataire.
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