NOUS AVIONS souligné dans un article précédemment paru dans ces colonnes que la grippe était probablement responsable d'un excès de mortalité de 6 000 décès chaque année en France (3). Nous savons, en outre, que 80 % des décès attribués à la grippe en France concernent des personnes âgées de plus de 75 ans (4). Mais s'il a été démontré, par un essai randomisé, que la vaccination des personnels de santé des institutions, où vivent des personnes âgées, réduisait la morbi-mortalité attribuable à la grippe (2), il n'a pas été mis en évidence à ce jour, à notre connaissance, de bénéfice particulier à la vaccination des médecins généralistes libéraux. Malgré ce manque de données, les autorités de santé recommandent dans plusieurs des pays développés, dont la France, la vaccination de tous les personnels de santé. Nous avons voulu mesurer le taux de couverture de cette vaccination chez les médecins généralistes libéraux du réseau Sentinelles et analyser les déterminants du recours à la vaccination ou de son refus.
Entre les deux tiers et les trois quarts des généralistes.
On dispose de très peu de données en France concernant la vaccination antigrippale des médecins généralistes libéraux.
Nous avons réalisé, en juillet 2005, une consultation par autoquestionnaires des 1 167 médecins généralistes du réseau Sentinelles pour estimer leur couverture vaccinale antigrippale durant la saison précédente et pour mieux comprendre les déterminants de cette vaccination. Sur les 648 médecins généralistes qui ont répondu à l'enquête (55 %), 494 ont déclaré avoir été vaccinés contre la grippe en 2004, soit une couverture vaccinale de 76 %, avec un intervalle de confiance (IC) à 95 % de 72 à 79 %. Ce taux est de même ordre de grandeur - mais un peu supérieur - à celui fourni par le seul autre sondage disponible, réalisé par TNS Healthcare pour la Direction générale de la Santé en septembre 2005, qui fait état d'une couverture de 66 % (5). Il est probable que les médecins Sentinelles sont plus sensibilisés à la vaccination antigrippale que leurs autres confrères et, ainsi, un peu plus souvent vaccinés, ce qui expliquerait une différence de 10 % entre les deux enquêtes.
Rester présents dans leur cabinet pendant les épidémies.
Les médecins généralistes nous ont déclaré se vacciner contre la grippe avant tout pour éviter d'interrompre leur activité (71 %), puis pour éviter de contracter la grippe quelle qu'en soit la raison (55 %) et, ensuite, pour éviter de transmettre la grippe à leurs patients (46 %).
La volonté d'éviter de recourir à un produit pharmaceutique est le premier motif invoqué par ceux qui ne s'étaient pas fait vacciner l'an dernier (46 %), le deuxième étant la peur que la vaccination soit mal tolérée à long terme (38 %) et, enfin, le fait que le médecin se considérait trop jeune pour la vaccination (22 %). Rappelons à ce propos que, à l'heure actuelle, il n'existe pas de réponse consensuelle concernant les conséquences à long terme sur l'organisme de la vaccination.
Les médecins fumeurs et ceux ayant un exercice particulier.
Les deux facteurs associés au refus de se vacciner sont le fait d'être fumeur (odds ratio - OR - = 2 ; IC 95 % = [1-4]) et, indépendamment du précédent, l'exercice d'une activité particulière (homéopathie, acupuncture, mésothérapie, etc.) (OR = 2 ; IC 95 % = [1,2-3,7]). Ainsi, un médecin homéopathe fumeur était quatre fois moins souvent vacciné contre la grippe l'an dernier en France qu'un médecin généraliste non fumeur.
Au total, la vaccination antigrippale est passée dans les habitudes de prévention professionnelle du généraliste libéral. Elle semble régie par des motivations principalement de deux ordres : d'une part, la volonté d'éviter de contracter le virus à partir d'un de ses patients - il s'agit d'une prophylaxie à titre personnel (OR = 4 ; IC 95 % = [2-9]) et, d'autre part, la volonté d'éviter de transmettre la grippe à l'un de ses patients - il s'agit alors plutôt d'un acte de type altruiste (OR = 3 ; IC 95 % = [2-5]), souvent invoqué malgré l'absence de niveau de preuve élevé de cet argument.
(1) « BEH » n° 29-30/2005. Calendrier vaccinal 2005. Avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France.
(2) Carman et al. Effects of Influenza Vaccination of Health-care Workers on Mortality of Elderly People in Long-term Care : a Randomized Controlled Trial. « Lancet » 2000 ; 355 : 93-97.
(3) A. Flahault, A.J. Valleron, E. Chatignoux. La population a toujours payé un lourd tribut à la grippe. « Le Quotidien du Médecin », n° 7845, du 18 novembre 2005.
(4) F. Carrat, A.J. Valleron. Influenza Mortality Among the Elderly in France, 1980-1990 : How Many Deaths May Have Been Avoided Through Vaccination ? « J. Epidemiol. Community Health ». 1995 ; 49 : 419-425.
(5) http://www.tns-sofres.com/etudes/sante/220905_grippe2005.htm.
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