UN CADRE meurt en moyenne à 82 ans quand l’espérance de vie d’un ouvrier est de 76 ans. « Les inégalités sociales de santé sont le reflet de l’injustice sociale sur le territoire, explique le Dr Dominique Lagabrielle, chargé de mission pour MG France sur cette problématique. Le constat est connu de longue date et il a tendance à s’aggraver mais les pistes d’action sont immenses. » Une centaine de généralistes ont confronté leurs expériences et évoqué des remèdes pour rétablir une « équité des soins » lors d’un congrès organisé à Paris par MG France.
Généraliste dans le quartier populaire parisien de Belleville, le Dr Mady Denantes relate la difficulté de ses patients d’accéder à des spécialistes à tarifs opposables. « Nous travaillons uniquement avec des praticiens de secteur I mais il nous est de plus en plus difficile d’en trouver », confie-t-elle. Confrontés à des situations inextricables, les médecins sont parfois contraints d’enfreindre la loi. « J’avais une suspicion de cancer de la vessie pour un homme de 75 ans en ALD, explique le Dr Denantes. Il ne pouvait pas payer l’échographie, alors nous avons décidé, en réunion de staff, de prescrire l’examen dans la partie haute du bizone pour qu’il le réalise et soit pris en charge. »
Ruses et sacrifices.
Pour s’assurer du suivi d’une patiente de 24 ans, qui a connu une enfance difficile et consommé du cannabis, le Dr Denantes est prête à certains sacrifices. « Quand elle vient, le cabinet est réglé 16,10 euros. On ne lui applique pas le ticket modérateur car on veut continuer à la voir. » La généraliste cherche une parade pour que la jeune femme accepte un frottis l’an prochain. « Nous sommes les témoins d’un glissement d’une assurance-maladie de moins en moins solidaire, analyse la généraliste parisienne. À l’heure du paiement à la performance, ne faudrait-il pas choisir des indicateurs de rémunération qui réduiraient les facteurs des inégalités sociales de santé ? ».
La prévention et l’éducation à la santé sont d’autres moyens d’action prioritaires pour restreindre la fracture médicale entre les classes aisées et populaires. Le Dr Hubert Falcoff, qui exerce dans le 13e arrondissement de Paris, affirme que les généralistes ont un rôle clé à jouer en aidant les patients à mieux comprendre leurs problèmes de santé.
Dans un autre quartier populaire de la capitale, à la Goutte d’Or, le Dr Agnès Giannotti prend en compte l’histoire personnelle de ses patients pour être plus efficace dans les soins. La généraliste raconte la visite d’une femme d’origine africaine qui présente une hémoglobine glyquée à 15. La patiente confie être rentrée trois mois plus tôt d’un voyage en Afrique où elle a consulté un guérisseur et stoppé son traitement. « Je lui ai proposé de combiner les deux traitements », explique le Dr Giannotti.
Cibler les difficultés.
Des villes se mobilisent pour améliorer leurs indicateurs de santé auprès des populations fragiles. Aux Mureaux, des professionnels de santé du secteur social réalisent des actions d’information et d’éducation sur le dépistage des cancers du col utérin et du sein. Un film « T’as fait ta mammo ? » a été diffusé. « Nous avons touché 330 femmes et le nombre de frottis a grimpé de 28 % et les mammographies de 24 % auprès des femmes de la ville », explique le Dr Marie-Hélène Certain, vice-présidente de MG France et conseillère municipale aux Mureaux.
Pour amplifier la lutte contre les inégalités sociales de santé, un groupe de généralistes a planché pendant un an sur un système d’information permettant d’identifier la situation des patients en difficulté. Une recommandation a émergé : que le dossier patient comporte une information sur sa couverture sociale (complémentaire, CMU, AME...), sa situation par rapport à l’emploi et ses capacités de compréhension. « Le recueil systématique de ces informations permettrait une prise en charge adaptée à la situation de chaque patient », explique le Dr Sophia Chatelard, généraliste à Saint-Martin-d’Hères (Isère).
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