Les gammapathies monoclonales bénignes du sujet âgé (1)

Publié le 23/11/2003
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REFERENCE

Augmentation apparente de fréquence

Trois raisons expliquent l'augmentation apparente de fréquence de cette découverte. La première est le perfectionnement des techniques d'électrophorèse, et notamment la migration en gel d'agarose qui décèle des pics minimes parfois doubles ou multiples, lesquels passaient inaperçus avec des méthodes anciennes de moindre résolution ; la deuxième est la multiplication des demandes systématiques d'examens de sang et en particulier de l'analyse polyvalente qu'est l'étude du tracé électrophorétique, soit de première intention, soit devant une augmentation de la VS ; la troisième - raison principale - est sans doute le vieillissement de la population dans un environnement davantage médicalisé. Une immunoglobuline monoclonale non maligne est déjà présente chez 1 % des sujets âgés de 50 ans et sa prévalence atteint de 7 à 8 % chez les individus de 80 ans et plus. Il s'agit donc chez la personne âgée d'une constatation banale, et cette anomalie doit dès lors être interprétée en fonction du contexte ainsi que faire l'objet d'un bilan raisonné qui conduira à n'adresser au spécialiste (hématologue, rhumatologue ou interniste) que la minorité de cas réellement problématiques.

Déséquilibre

Les immunoglobulines normales constituent un mélange hétérogène : elles sont produites par de nombreux clones lymphocytaires B ou plasmocytaires qui se développent en réaction aux stimulations antigéniques. Un clone donné produit un type unique d'immunoglobuline qui se dilue dans l'ensemble des immunoglobulines sériques et n'est pas individualisable par électrophorèse. L'émergence d'une immunoglobuline monoclonale détectable résulte d'un déséquilibre des clones producteurs d'immunoglobulines. Ce déséquilibre peut répondre à une stimulation immunitaire majeure par maladie inflammatoire ou infection, et peut alors accompagner l'évolution de la maladie en étant fluctuant, voire transitoire. Il peut aussi traduire l'activation sélective de certains clones dans les affections dysimmunitaires (en particulier les viroses chroniques par VIH ou VHC) et les maladies auto-immunes. Un déséquilibre peut aussi s'exprimer par « contraste » du fait de l'extinction plus ou moins complète de clones au cours du processus de vieillissement du système immunitaire, après un traitement immunosuppresseur ou dans les suites d'une greffe d'organe. Il peut encore résulter d'un catabolisme inégal des immunoglobulines lors des hépatopathies chroniques. L'éventualité la plus rare, et donc la moins vraisemblable, est celle de l'immunoglobuline homogène produite en abondance par un clone lymphoplasmocytaire ou plasmocytaire malin dans le cadre d'une hémopathie lymphoïde chronique : principalement myélome et maladie de Waldenström, mais aussi lymphome non hodgkinien. Les pics monoclonaux associés aux deux premières maladies sont souvent importants car proportionnels à la masse tumorale dont ils représentent le marqueur. Ces hémopathies comportent habituellement une série de signes cliniques et de perturbations biologiques importants à connaître pour orienter le diagnostic et compléter l'exploration.
Une immunoglobuline monoclonale, quelle que soit son origine, est constituée d'un seul type de chaînes lourdes et d'un seul type de chaînes légères. La fréquence des divers types d'immunoglobulines monoclonales suit la répartition des immunoglobulines normales : 70 % d'IgG, 20 % d'IgA et 10 % d'IgM ; comme dans les molécules normales, le type de chaînes légères est deux fois plus souvent kappa que delta.

« Signification indéterminée »

Bon nombre d'immunoglobulines monoclonales - notamment chez les sujets âgés - ne reconnaissent aucune cause évidente ni n'évoluent dans les mois ou années suivant leur découverte : on les appelait autrefois « gammapathies monoclonales bénignes » ou « idiopathiques », mais on préfère aujourd'hui le terme de « gammapathie monoclonale de signification indéterminée », MGUS pour les anglophones (Monoclonal Gammopathy of Undetermined Significance), car le suivi très prolongé d'importantes cohortes a montré une proportion notable d'évolution vers un myélome ou une autre hémopathie lymphoïde (12 % à dix ans, 25 % à vingt ans). Pour certains, ces gammapathies monoclonales idiopathiques représenteraient en fait un état de « prémalignité », d'autant que des études cellulaires expérimentales de la moelle osseuse ont montré au cours de ces états une minorité de plasmocytes présentant des caractères antigéniques ou génétiques similaires à ceux des plasmocytes malins de myélome. Le risque de transformation, que l'on peut évaluer approximativement à 1 % par an, suppose un protocole de surveillance* des gammapathies monoclonales isolées.

* Prochain article : bilan initial et les modalités de surveillance.

Pr Jean-Loup DEMORY Université catholique de Lille

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7431