De notre envoyée spéciale
Ils sont arrivés tous les deux, salués par les chants et les danses des groupes d'artistes camerounais venus les accueillir devant les premières fondations du futur centre international de recherche et de prévention du sida. Les Prs Robert Gallo et Luc Montagnier ont tenu à donner ce signal symbolique : « Par-delà nos querelles passées, nous avons pris conscience qu'il fallait unir nos efforts pour lutter contre cette épidémie », avait affirmé quelques heures plus tôt le Pr Montagnier.
Son homologue américain, parfaitement détendu pour son premier voyage au Cameroun, esquisse quelques pas au rythme de « Sida, tu détruis les efforts de l'humanité » entonné par une des plus célèbres chorales de Yaoundé. Il espère que cette collaboration sera un vecteur de « synergie ». En d'autres termes, assure-t-il, « un plus un ne doit pas être égal à deux, mais à trois ».
Une recherche Nord/Sud
Le transfert des connaissances est, selon lui, une des clefs de la lutte contre l'infection. L'institut de virologie humaine qu'il dirige depuis six ans à Baltimore travaille déjà avec des chercheurs nigérians sur un programme de recherche vaccinal. « Si nous arrivons à vaincre l'épidémie de sida, nous nous apercevrons qu'elle aura eu des effets collatéraux bénéfiques, souligne-t-il, car elle aura favorisé les contacts scientifiques Nord/Sud. »
Le futur centre, adossé au CHU (centre hospitalier universitaire) de Yaoundé (quartier Melen), à quelques mètres de la faculté de médecine et de sciences biomédicales, a une telle vocation. Fruit de la coopération entre l'Etat camerounais, la Fondation mondiale pour la recherche et la prévention du sida (UNESCO) présidée par le Pr Montagnier et la fondation Chantal Biya, il sera doté de 4 laboratoires de pointe grâce auxquels pourront s'effectuer des recherches sur le terrain adaptées à la situation africaine avec la participation effective des chercheurs de la région. Son but est également de mieux organiser les messages de prévention et d'information de la population locale. De même, il pourra servir de cadre d'évaluation clinique et biologique des tradipraticiens camerounais. « 70% de la population a recours à cette médecine traditionnelle et n'a pas encore accès aux médicaments modernes », rappelle le Pr Essame Oyono. Le centre devrait être opérationnel à la fin de l'année 2003. « Notre collaboration commencera par la lutte contre la transmission mère/enfant grâce à une nouvelle approche vaccinale, avec le concours de Vittorio Collizi, de l'université de Rome » (voir encadré), a souligné le Pr Gallo, avant de conclure, prudent : « L'institut de virologie a fait de substantiels progrès dans la recherche d'un candidat-vaccin qui, pour la première fois, induit une forte réponse immunitaire capable d'enrayer la progression du virus. Les premiers essais cliniques devraient débuter dans un an et demi. Je jure de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que sa distribution en Afrique soit la première des priorités. » L'inauguration du centre venait, en effet, en point d'orgue de la conférence du sommet des « premières dames d'Afrique ». Six étaient présentes autour de Mme Chantal Biya, épouse du président camerounais, venues du Bénin, de la Guinée-Conakry, du Niger, du Burkina Faso, de l'Angola et du Tchad. Huit autres s'étaient fait représenter. Elles auraient souhaité être plus nombreuses, mais ont affirmé, par la voix de leur présidente : « L'heure n'est plus aux discussions stériles mais à l'action, nous devons agir maintenant. La bataille doit être menée contre le sida, et non autour du sida. »
Près de 5 000 personnes meurent chaque jour de la maladie, principalement en Afrique. Le continent « paye un lourd tribut et vingt ans d'efforts de développement ont été perdus », ajoute Chantal Campaoré (Burkina Faso). « La lutte doit être menée sur tous les fronts, contre l'analphabétisme, l'obscurantisme, les pratiques rétrogrades comme le mariage forcé ou les mutilations génitales féminines. » Les femmes et les enfants sont les premières victimes. « Synergies africaines contre le sida et les souffrances », l'association créée il y a deux ans, s'est dotée d'un statut, d'un programme d'action et d'un programme d'urgence. Les objectifs pour 2005 sont clairement énoncés : réduire de 20 % la proportion de nourrissons infectés par le VIH, contribuer à diminuer la mortalité maternelle et infantile, améliorer l'éducation de bases des jeunes filles et promouvoir les droits de l'enfant. Sa présidente élue pour deux ans, Chantal Biya, formule le vu que cette association ne connaisse pas le sort de nombreuses autres « qui ne vivent que le temps de leur création ». Elle ne vivra qu'à « travers les actions concrètes et les réalisations que nous ferons dans nos pays respectifs », a-t-elle prévenu.
Les chiffres de l'épidémie au Cameroun
Le Cameroun fait partie des 25 pays les plus touchés au monde, avec 12 % de la population séropositive.
600 habitants sont contaminés par jour, soit 25 personnes par heure.
Les populations considérées à risque se retrouvent parmi les prostitués, camionneurs et les forces de l'ordre. La prévalence oscille entre 15 et 45 %.
Un centre Mère et enfant
En plein cur de la ville aux sept collines, encore marquée par les ravages de la longue période de récession économique dont a souffert le Cameroun ces dernières années, le centre Mère et enfant apparaît presque comme un havre de fraîcheur. Créé en 1999, il est l'un des trois centres* de la fondation Chantal Biya. Avec ses pavillons bleus ou roses, ses jardins intérieurs remplis de chants d'oiseaux, ses espaces de jeux pour enfants, il offre un cadre dans lequel une centaine de soignants (80 paramédicaux et une quarantaine de médecins) semblent travailler avec sérénité. Même le premier étage, celui des couveuses, paraît paisible.
La structure a su se doter de moyens performants et assure les urgences et les consultations pédiatriques, les services de Protection maternelle et infantile. Par ailleurs, il « dispose de 258 lits de pédiatrie générale, de cardiologie, d'infectiologie et d'infectiologie pédiatriques. Le taux d'occupation des lits est de 70-80 % », explique le Dr Pierre Ongolo Zogo.
Le centre fonctionne 24 heures sur 24 et en partenariat avec l'hôpital central de Yaoundé. Il participe à un programme pilote de prévention de la transmission mère-enfant : tests de dépistage volontaire et confidentiel des femmes enceintes, conseils pré- et post-test, suivi multidisciplinaire de la grossesse, prévention chez les séropositives par la névirapine donnée gratuitement, prise en charge de l'enfant et de la mère après la naissance. « De deux à trois mille femmes séropositives ont déjà profité de ce programme de prévention depuis sa mise en route. »
* Avec le centre de chirurgie endoscopique et de reproduction humaine (Yaoundé) et le centre médical de Meyomessala (Sud-Cameroun).
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