Travail anthropologique et confidence intime

Les femmes et les enfants d'abord

Publié le 13/01/2008
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> La santé en librairie

IL EXISTE en matière de puériculture une grande diversité de normes culturelles et sociales. L'ouvrage proposé par les anthropologues Doris Bonnet et Laurence Pourchet illustre en mots (le livre) et en images (le DVD) ces diverses expressions de la parentalité dans les soins aux nouveau-nés et aux jeunes enfants à travers le monde. Qu'il s'agisse du rituel de la toilette et du bain chez les enfants Manjak du Sénégal, de celui du lavement anal et du massage du nourrisson burkinabé ou encore du massage du crâne et du nez du nouveau-né réunionnais, ces techniques ancestrales encore appliquées aujourd'hui permettent de mieux comprendre les dynamiques d'apprentissage des mères et de développement des enfants élevés dans des milieux aux environnements matériels et économiques variés.

C'est sous l'impulsion de Suzanne Lallemand, anthropologue et psychanalyste, à qui l'ouvrage est dédié, que s'est constitué un collectif de chercheurs, d'horizons et de disciplines divers destiné à étudier l'anthropologie de la petite enfance. Leur recherche montre bien à quel point le soin ne peut être associé uniquement au médical, que la frontière entre le soin et le rite est souvent ténue et que ce soin est bien révélateur de l'identité et du statut social de l'enfant et de sa famille. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de proposer au lecteur, en complément du texte, des images vidéographiques collectées entre 1985 et 2004 par les chercheurs eux-mêmes. Les films illustrant chaque chapitre permettent à la fois de voir ce que le texte ne peut dire et de comparer les pratiques. L'impressionnante toilette du bébé en zone rurale mossi au Burkina Faso, par exemple : la mère est assise par terre et son enfant est placé au-dessus d'une bassine sur ses jambes allongées ; les autres enfants et des femmes plus âgées sont autour et observent. L'ordre des séquences et des techniques gestuelles quotidiennes est précis : lavement (purge réalisée par la bouche de la mère), nettoyage corporel, ingurgitation d'eau, séchage et massage au beurre de karité. Les gestes sont précis et rapides et la scène surprend par le caractère « musclé » et « muet » de cette toilette : l'enfant est manipulé sans ménagement apparent, sa mère le frotte vigoureusement avec le savon, lui souffle dans les oreilles, dans le nez, lui ingurgite de la tisane dans la bouche. Sans geste affectueux apparent ni mot apaisant, concentrée sur sa tâche. Une fois cette toilette terminée, la mère semble soudain se détendre comme soulagée. C'est alors le moment du « lancer en l'air » : à plusieurs reprises et en riant, l'enfant est lancé en l'air comme en guise de récompense bien méritée. Cette séquence d'images permet de saisir que l'attitude de la mère ne représente pas une absence de considération sociale de l'enfant mais un véritable travail de maternage, inscrit dans un schéma de socialisation plus général et d'identification.

Que vont devenir ces techniques et ces pratiques qui ont une dimension éminemment politique, s'interrogent les auteurs ? «Vont-elles à l'avenir se nicher dans des politiques ethniques ou intégrer de nouveaux savoirs sans dimension conflictuelle?»

En Afrique, en Bolivie, chez les Indiens Cris du subarctique canadien ou dans l'île de la Réunion, les soins et rites qui entourent la petite enfance constituent donc bien les bases de l'ordre social et participent à la construction de l'identité féminine.

Macha et la vraie vie.

Le poignant texte de Macha Méril semble en témoigner : «Un jour, je suis morte. J'ai eu du mal à m'en remettre. Je ne m'en remets pas en vérité», écrit-elle. Morte de ne pas avoir pu enfanter, prolonger l'espèce, malgré l'intervention de la médecine (7 FIV). Une vraie confidence mais aussi une réflexion sur la condition féminine contemporaine. Un sanglot joliment tourné sans autoapitoiement, parfois teinté de rage, toujours courageux. Un témoignage sans pathos pour exprimer l'immense solitude des femmes stériles qui regrettent de l'être. Les phrases courtes et cinglantes traduisent bien la souffrance et la solitude indicibles dans lesquelles ce projet impossible plonge certaines femmes ; l'insoutenable frustration engendrée. «Je suis une tortue préhistorique (...) je suis convaincante parce que désincarnée, je prends des libertés que la vraie vie m'interdirait.» Je suis une impasse, nous explique cette comédienne originale dont on comprend mieux a posteriori son apologie de la légèreté et dont on apprécie avec d'autant plus d'émotion ses talents nourriciers exprimés dans ses nombreux livres de cuisine et de savoir-vivre.

Mais la création artistique, le théâtre, l'écriture, les amis, les amants ? N'est-ce pas une autre sorte de fécondité ? Macha Méril connaît et conteste les arguments des sceptiques. Comme ceux des féministes. Simone de Beauvoir était de mauvaise foi sur ce point, dit-elle : «La femme ne perd rien dans la maternité, les enfants n'empêchent pas la transcendance, au contraire (...) L'oeuvre? Qu'est-ce donc, en regard des cellules vivantes qui se multiplient et perpétuent la merveilleuse race humaine?» Héritière de 68, elle revient sur certaines libertés, sur leurs excès et leurs leurres. Une façon de dire aux jeunes femmes en âge de procréer : pensez-y quand il en est encore temps sinon votre regret sera terrible.

Oser témoigner aussi sincèrement et lucidement sur un sujet intime, lorsque l'on est un personnage public, est d'autant plus source de respect que notre société jette souvent un regard assassin et faussement compassionnel sur les femmes sans enfant.

« Du soin au rite dans l'enfance », Doris Bonnet et Laurence Pourchez, Erès, 316 pages, 30 euros, DVD inclus.
« Un jour, je suis morte », Macha Méril, Albin Michel, 115 pages, 12 euros.

> Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8288