Coordination des soins et dossiers informatisés

Les faveurs de l'Ordre vont au DP

Publié le 24/10/2007
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LE CONSEIL national de l'Ordre des médecins (CNOM) vient de souffler aux parlementaires l'idée d'un nouvel amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2008 – par ailleurs très décrié par la profession médicale (voir aussi page 4) –, afin de favoriser la coordination des soins grâce aux dossiers informatisés de santé.

Dans un communiqué, l'Ordre prend acte qu'un amendement au PLFSS 2008, adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, a brisé la chaîne qui reliait le dossier pharmaceutique (DP) au « boulet » du dossier médical personnel (DMP). En effet, jusqu'à présent, les deux dossiers en construction étaient étroitement liés juridiquement, puisque le DP développé par l'Ordre national des pharmaciens est censé à terme alimenter automatiquement le volet « médicaments » du futur DMP. Or le projet DMP étant toujours au point mort en attendant le résultat d'un audit complet, les députés ont considéré que ce chaînage pouvait nuire à l'essor du DP (voir encadré). Le CNOM estime que les parlementaires devraient aller encore plus loin en prenant «les dispositions législatives nécessaires pour que les médecins aient accès, avec l'accord du patient, au dossier pharmaceutique, reflet de la dispensation des médicaments».

Certes, tous les médecins libéraux peuvent déjà se faire une idée des traitements suivis par un patient occasionnel en consultant l'historique des remboursements (« Web médecin ») de l'assurance-maladie, généralisé à toute la France l'été dernier. Sauf que l'Ordre des médecins vient justement de rappeler dans son bulletin d'octobre toutes les réserves que cet historique lui inspire. L'Ordre constate notamment que ce service offert par la Sécu «n'apporte pas de garanties suffisantes» pour le consentement du malade, comme pour la confidentialité des données, et nécessite une «traçabilité des accès» qui fait défaut.

Au contraire, le CNOM voit dans le dossier pharmaceutique (jusqu'à présent à l'usage exclusif des pharmaciens d'officine) la solution adéquate pour les médecins prescripteurs. Le DP pourrait, selon l'institution ordinale, aider à sortir de l'ornière son grand frère DMP, à condition que son accès reste sécurisé et dépende du même numéro identifiant santé (NIS, distinct du numéro de Sécu). «Cette démarche serait de nature à sortir le projet DMP des arcanes excessivement complexes dans lesquels il se trouve, explique le CNOM, et constituerait une première avancée pratique pour les médecins et les pharmaciens, dans leurs services quotidiens auprès des patients.»

En fait, un projet d'amendement au PLFSS envisage déjà «les conditions dans lesquelles les médecins prescripteurs ont accès au dossier pharmaceutique». Mais cet amendement, déposé par Valérie Boyer (députée des Bouches-du-Rhône et secrétaire nationale chargée des questions de santé à l'UMP) et débattu ces jours-ci, ne fait pas l'unanimité de toute façon, y compris au sein de la majorité parlementaire. «Cet amendement est un peu précoce, d'autant plus que chaque praticien a accès au “Web médecin” », commente pour sa part Jean-Pierre Door, député UMP du Loiret et rapporteur du PLFSS pour son volet assurance-maladie.

La proposition de l'Ordre sur un éventuel accès des médecins au dossier pharmaceutique irrite l'Ordre des pharmaciens (CNOP). Jaloux de son bébé «conçu et organisé, non comme un outil patient, mais comme un outil professionnel», le CNOP se montre réticent à un «changement long et coûteux».

L'idée du Cnom n'emballe pas non plus les responsables des syndicats de médecins libéraux. Seul, le président de la Fédération des médecins de France (FMF) «n'est pas contre a priori ». En matière de médicaments, note le Dr Jean-Claude Régi, le DP «n'est pas la panacée mais il est plus complet que le Web médecin», puisqu'il inclut les produits d'automédication non remboursés. «On marche vraiment sur la tête, lâche le Dr Michel Chassang, leader de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). La solution (pour les médecins) , c'est de faire avancer le DMP par une approche pragmatique, en favorisant par exemple les échanges entre messageries sécurisées.» Aux yeux du président du Syndicat des médecins libéraux (SML), le DMP ne vivra pas mieux «si on lui retire simplement la lettre M», bien au contraire. Le Dr Dino Cabrera «ne veut pas d'un DMP “light” à partir du DP. Si cela se fait, le DMP sera mort. Si on y croit, il faut avancer dans la voie du DMP et arrêter de lui tirer dans les pattes», conclut-il. Quant au Dr Martial Olivier-Koehret, président de MG-France, il invite à une discussion plus large sur le «manque de moyens informatiques» des médecins traitants au regard de leurs missions, dans le cadre des futurs états généraux de l'offre de soins au début de l'année 2008.

Deux faux jumeaux

L'historique des remboursements de la Sécu et le dossier pharmaceutique de l'Ordre des pharmaciens visent tous les deux à limiter les redondances et interactions médicamenteuses. Les professionnels s'y connectent avec le consentement et la carte Vitale du patient. Pour autant, on ne saurait confondre ces deux outils informatiques tant ils diffèrent l'un de l'autre.

Historique des remboursements (ou «web médecin»)

Plus de 9 700 médecins libéraux sont inscrits à ce jour à ce service proposé à titre facultatif par l'assurance-maladie. L'historique récapitule toutes les prestations des caisses en nature ou en espèces (actes, médicaments, examens, indemnités journalières...) dont a bénéficié un patient sur les 12 derniers mois.

Dossier pharmaceutique (DP)

Conçu par le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, le DP est expérimenté dans six départements jusqu'à la fin novembre. Les 72 707 DP créés à ce jour à titre expérimental permettent aux pharmaciens d'officine concernés de visualiser tous les médicaments dispensés à un patient sur les quatre derniers mois, que les boîtes délivrées soient remboursées ou non par la Sécu.

> AGNÈS BOURGUIGNON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8244