« LORSQUE je suis tombée malade, j'avais 45 ans. Je suis passée de 62 à 115 kilos. Devant mes plaintes sur cette prise de poids, on m'a dit : "Occupez-vous déjà de votre tête. On s'occupera de vos kilos après." » Alors même que la maladie psychique est chronique et exige des soins bien souvent pendant des années, on connaît trop peu les effets secondaires des médicaments sur le long terme et leur impact sur la qualité de la vie. Peu d'études ont porté sur ces sujets.
Aussi, l'Unafam (Union nationale des amis et familles de malades mentaux), avec son comité recherche, a-t-elle réalisé une enquête auprès de ses familles adhérentes. Elle a recueilli leurs interrogations, leurs connaissances et les priorités qui doivent selon elles être fixées pour la recherche sur les médicaments. Pour l'union, il est important que « le savoir des familles, acquis au fil des dures réalités quotidiennes soit exprimé et qu'il contribue à définir des priorités et des thèmes d'études en partenariat avec les organismes et structures de recherche ».
Vouloir connaître les effets à long terme des médicaments, c'est vouloir en savoir plus sur les parties du corps concernées par les risques éventuels, sur la durée de prise de médicaments entraînant ces risques, sur l'évolution des effets indésirables, leur augmentation avec le temps, voire leur irréversibilité, les risques possibles d'une prise précoce de médicaments... « Nous avons en France un système de pharmacovigilance qui fonctionne bien, par réseau et sous la direction de l'Agence française du médicament », a rassuré le Pr Hervé Allain, du laboratoire de pharmacologie du Chru de Pontchaillou et de l'université de Rennes.
Outre la pharmacovigilance, il y a les recherches sur modèles animaux et les études épidémiologiques, ajoute le Pr Jean Dalery, psychiatre au CH de Bron (Rhône), mais de telles cohortes présentent néanmoins le risque des « perdus de vue » : s'agit-il de rechutes, ou, au contraire, de personnes qui s'en seraient sorties ?
Privilégier la monothérapie.
« Maîtriser les variabilités interindividuelles des effets des médicaments », voilà ce que demande aussi l'Unafam, qui milite pour un traitement spécifique : privilégier la monothérapie et la dose minimale suffisante. « Ne serait-il pas possible de mettre au point un test ou bien une procédure permettant de choisir rapidement le traitement approprié ? » s'interroge Thérèse Colburn, de l'Unafam. Il faudrait pouvoir estimer la sensibilité de chacun aux effets secondaires d'un produit. Compliqué, répond le Pr Dalery, « parce que le mode de la clinique quotidienne est totalement différent de celui de la recherche pharmacologique. Lorsque je traite un individu, il a une histoire propre et il n'y a pas une réponse unique. La schizophrénie est une maladie au long cours, c'est-à-dire qui n'est pas forcément chronique - il peut y avoir des phases de rémission, de stabilisation -, mais qui nécessite un suivi de toute une vie. On a donc intérêt à trouver le traitement le plus simple possible, à se tourner vers la monothérapie et la dose minimale efficace ».
Il n'y a pas une mais des schizophrénies. Quatre-vingt pour cent des patients n'en présentent pas tous les troubles mais certains seulement. Lorsque les neuroleptiques sont apparus, il s'agissait avant tout de traiter les hallucinations. Aujourd'hui, le cahier des charges change : « Il faut penser à la souffrance des malades, c'est elle qui détruit les familles, insiste Thérèse Colburn. Si nous pouvions trouver un traitement qui empêche les malades de faire sans cesse des cauchemars ! C'est une source d'angoisse pour l'entourage qui est souvent sous-estimée. »
Des liens entre clinique et paillasses.
Les familles de l'Unafam demandent une étude systématique des effets à long terme des médicaments psychotropes, sur une population représentative de tous les malades psychiques. Peut-on améliorer la qualité de l'utilisation des médicaments en psychiatrie ? « Le médicament du système nerveux est parmi les plus complexes, répond Marie-Lise Biscay, pharmacienne au CH des Pyrénées, à Pau. Il faut continuer à évaluer les pratiques de prescriptions et favoriser l'interdisciplinarité. Le pharmacien clinicien est d'ailleurs là pour attirer l'attention sur certaines habitudes installées, sur des ordonnances reconduites abusivement. »
Une démarche évidemment approuvée par Claudie Locquet, représentante de l'Anaes (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé).
« Pour rendre possible la recherche du médicament idéal, a commenté le Pr Allain, il faut absolument développer le dialogue entre universitaires et cliniciens. Nous sommes tous à la recherche du médicament idéal, celui qui ferait disparaître la maladie en huit jours. Nous en sommes encore loin mais nous ne devons pas sombrer dans le pessimisme. Nous devons cependant reconnaître que l'une des difficultés de la société actuelle, c'est l'innovation. » L'innovation, qui, parfois n'est pas à la portée de tous. Claude Finkelstein, présidente de la Fnap-Psy (Fédération nationale des associations d'ex-patients en psychiatrie), a poussé un cri de révolte : « Laissons les chercheurs chercher mais utilisons d'abord ce qui existe sur le marché. Il est inadmissible que certains médecins, lorsqu'ils ne connaissent pas telle ou telle nouvelle molécule, refusent de la prescrire. »
C'était la première fois en France que le débat était ainsi soulevé par les usagers indirects que sont les familles entourant les personnes qui utilisent ces médicaments, « témoins quotidiens de leurs effets, témoins également au long cours des divers traitements tentés ».
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