«LES MODIFICATIONS de l'environnement pourraient être partiellement responsables de l'augmentation constatée de l'incidence de certains cancers», ont expliqué les chercheurs lors de la présentation de l'expertise collective de l'INSERM. Ceux qui s'attendaient à découvrir les coupables ont toutefois été déçus. Il ne s'agissait pas de pointer les facteurs de risque réels, mais bien de «faire le tri de ce que l'on connaît avec certitude ou pas». Et voilà la réputation des chercheurs une nouvelle fois attaquée, ces chercheurs taxés de travailler en dehors du temps et des préoccupations sociales. «Notre rôle n'est pas de faire un guide pratique. Nous parlons d'une recherche de longue haleine», s'est défendu l'épidémiologiste Jacqueline Clavel. «En concluant trop vite sur certains facteurs de risque, nous pourrions contribuer à développer l'importance d'autres facteurs», poursuit-elle. Même pas un petit risque attribuable ? «Trop complexe à déterminer», répondent les intéressés. Alors, pour ceux qui ont le temps, la lecture de l'expertise collective*, qui fait le bilan des connaissances sur les liens entre l'environnement et neuf cancers sélectionnés en raison de l'augmentation de leur incidence au cours des vingt-cinq dernières années, sera riche en informations.
En 2005, le nombre de nouveaux cas de cancers en France a été estimé à près de 320 000 pour les deux sexes confondus, 180 000 chez les hommes et 140 000 chez les femmes. En tenant compte des changements démographiques, l'augmentation du taux d'incidence depuis 1980 est estimée à 35 % chez l'homme et 43 % chez la femme. La part due à l'évolution des pratiques médicales dans cette augmentation est actuellement impossible à chiffrer. Quant à l'implication de l'environnement, «cette hypothèse doit faire l'objet d'un effort de recherche constant, portant à la fois sur la mesure de l'exposition des populations à des cancérogènes avérés ou probables, et sur l'existence et la nature du lien causal».
Les experts ont considéré comme facteurs environnementaux les agents physiques, chimiques et biologiques présents dans l'air, l'eau, les sols ou l'alimentation dont l'exposition est subie et non générée par des comportements individuels. Ainsi, le tabagisme passif est abordé dans l'expertise alors que le tabagisme actif ne l'est pas. L'investigation prend en compte les facteurs de l'environnement général et ceux présents dans l'environnement professionnel.
Les recommandations des experts vont donc dans différentes directions. De manière générale, ils insistent sur la nécessité de renforcer la recherche épidémiologique, toxicologique et moléculaire, et de poursuivre la surveillance épidémiologique des cancers et des populations exposées. Ils ont également mis en relief des «facteurs cancérogènes avérés ou probables», comme l'amiante, les radiations, le radon, pour le cancer du poumon, ou des «facteurs débattus», pour lesquels les études sont limitées, comme le tabac passif, les particules fines ou les pesticides, pour le cancer du sein.
Reste, pour ceux qui seraient rebutés par plus de 800 pages de synthèse d'études, à attendre patiemment l'avis que l'AFSSET a promis de rendre, dans quelques semaines, sur cette problématique. Un avis qui mettrait enfin en pratique cette recherche de longue haleine, le public en rêve.
* AFSSET-INSERM, 890 pages, 65 euros.
Neuf cancers en hausse
Une augmentation de l'incidence de ces cancers a été observée entre 1980 et 2000. Sur la période plus récente (2000-2005), les chercheurs constatent un ralentissement de cette augmentation, voire une diminution de l'incidence pour certaines localisations :
Cancer de la prostate : en 2005, il est le plus fréquent avec 62 245 nouveaux cas. L'évolution récente de l'incidence (+ 8,5 % entre 2000 et 2005) s'explique pour une grande part par l'évolution du dépistage, avec l'extension du dosage systématique du PSA en France.
Cancer du sein : il demeure le plus fréquent chez la femme. Pour 2005, le nombre de nouveaux cas a été estimé à 49 814, une incidence parmi les plus fortes en Europe. Dans l'élévation de l'incidence, il est difficile de quantifier la part due à l'évolution des facteurs de risque environnementaux ou comportementaux et l'extension de la pratique du dépistage individuel et organisé.
Cancer du poumon : l'incidence (23 937 nouveaux cas) a augmenté chez l'homme jusqu'à la fin des années 1990, puis diminué sur la période 2000-2005. Chez la femme, en revanche, le taux d'incidence a continué à augmenter (4 % par an) sur cette dernière période.
Cancer de la thyroïde: parmi les 6 672 nouveaux cas estimés pour 2005, 76 % surviennent chez la femme. L'augmentation de l'incidence a surtout concerné les formes de meilleur diagnostic grâce à une détection de plus en plus précoce.
Hémopathies malignes : avec plus de 10 000 nouveaux cas estimés pour 2005, dont un peu plus de la moitié chez l'homme, les lymphomes malins non hodgkiniens sont les hémopathies malignes les plus fréquentes chez l'adulte.
Mésothélium : le taux d'incidence (906 nouveaux cas en 2005) a augmenté chez l'homme de près de 5 % par an entre 1980 et 1995, puis a décru entre 2000 et 2005. Chez la femme, le taux a augmenté de 3,1 % en moyenne sur la période 1980-2005. Cette croissance est moins prononcée entre 2000 et 2005.
Cancer du testicule : son taux d'incidence (2 002 nouveaux cas en 2005) a augmenté de 2,5 % sur la période 1980-2005.
Tumeurs cérébrales : l'incidence des tumeurs malignes du système nerveux central (4 090 nouveaux cas en 2005) a augmenté régulièrement de 1 % sur la période 1980-2005.
Cancers de l'enfant : la surveillance est réalisée en France par deux registres nationaux spécialisés, l'un sur les hémopathies malignes et l'autre sur les tumeurs solides. Environ 1 700 nouveaux cas de cancers de l'enfant sont diagnostiqués chaque année en France, les plus fréquents étant les leucémies, avec 470 nouveaux cas par an.
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