«L'INITIATIVE du “BEH” mérite d'être saluée. En publiant trois articles sur l'affaire des cancers pédiatriques des enfants fréquentant une école maternelle de Vincennes, il met en lumière, à l'adresse du monde de la santé publique, toute la complexité d'un processus d'évaluation des risques mené à chaud», écrit Annie Sugier, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dans le n° 7-8 du bulletin.
L'affaire des cancers de Vincennes commence en 1999, à la suite du signalement d'un regroupement de cancers chez des enfants fréquentant l'école maternelle Franklin- Roosevelt, bâtie neuf ans plus tôt sur une ancienne friche industrielle de l'usine Kodak. C'est la directrice de l'école et un toxicologue indépendant, Henri Pezerat, qui ont signalé la survenue de quatre cancers pédiatriques. Un mauvais point pour les autorités. «Du fait que le signalement ne vient pas des organismes institutionnels, ceux-ci apparaissent comme ayant manqué à leur devoir de vigilance et leur crédibilité s'en trouve mise en cause», note Annie Sugier. Une investigation est alors menée par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) avec l'appui méthodologique de l'Institut de veille sanitaire (InVS). Trois cas sont validés : deux leucémies et un rhabdomyosarcome, diagnostiqués entre 1995 et 1999.
En mai 2000, sur la base d'une expertise épidémiologique de l'InVS et de trois campagnes de mesures environnementales menées dans l'école, la Ddass publie un rapport qui conclut à l'absence de lien entre la fréquentation de l'école et la survenue des cas de cancers. «Il ne paraît donc pas justifié de poursuivre les investigations épidémiologiques et environnementales», poursuit le rapport. De son côté, Henri Pezerat demande des investigations complémentaires.
Crise de confiance.
La crise atteint son paroxysme en 2001 avec le signalement d'autres cas. «C'est ainsi que, à l'annonce, en février 2001, d'un quatrième cas de cancer d'enfant recensé dans l'école et de deux autres cas recensés hors école, les parents d'élèves et les riverains se regroupent pour former l'association Collectif Vigilance Franklin (CVF)», indique Véronique Lapides pour le Collectif. «Pour les habitants, la crise de confiance a été accrue par la difficulté d'accès aux informations, à la première enquête et par le contexte général, influencé par des crises sanitaires successives», ajoute-t-elle. En mai 2001, la Direction générale de la santé demande à l'InVS de constituer un comité scientifique (CS) chargé d'examiner les questions de la population, d'analyser les résultats des investigations déjà engagées et d'établir un programme d'études complémentaires. Le CS, constitué de 16 experts nationaux, articule ses travaux avec ceux d'un comité de suivi qui regroupe l'ensemble des parties concernées (administrations, autorités locales, industriels, habitants et parents d'élèves). «L'intégration de l'association dans le comité de suivi s'est faite dans l'urgence, et dans une certaine mesure pour apaiser les tensions», estime Véronique Lapides.
Dans ce contexte, la confrontation entre les attentes exprimées par la population et les démarches mises en place a été une «difficulté majeure» pour le CS, soulignent les auteurs d'un article du « BEH ». Les demandes d'études de la population visaient «avant tout à prouver la responsabilité de Kodak» dans la survenue des cas. En revanche, la démarche portée par le CS était «sans a priori sur les sources potentielles d'exposition à risque, et le raisonnement probabiliste s'appuyait sur une démarche populationnelle, non ciblée sur les cas». Pourtant, au fil du temps (le CS a présenté au comité de suivi ses conclusions en 2005), un dialogue s'est ouvert entre les experts et la population. Malgré la réalité de la pollution de la nappe souterraine par des substances cancérigènes, il n'a pas été possible d'établir un lien avec les cas de cancers. Une surveillance épidémiologique, les cinq années suivantes, n'a pas confirmé l'excès de cas constaté pendant la période dite d'alerte.
«De plus en plus souvent, ces regroupements de cas, appelés clusters, font l'objet d'un signalement et une enquête est diligentée. Cependant, sur les 38clusters signalés aux autorités sanitaires jusqu'en 2005, aucun n'a jamais pu être relié à une cause environnementale», relève Gilles Brücker. Pour le directeur général de l'InVS, il est nécessaire d'associer, « le plus en amont possible», la société civile afin de renforcer la confiance pour l'expertise scientifique et notamment celle qui concerne les risques environnementaux. «Il faut que le doute ou l'incertitude scientifiques ne soient pas synonymes de manque de qualité, de clarté ou de courage de l'expertise, ni surtout de manque de compétence, écrit Gilles Brücker dans l'éditorial du « BEH ». La bonne réponse ne saurait être par définition la réponse attendue par ceux qui sont les plus touchés, et qui se considèrent, peut-être légitimement, comme victimes.» L'accès à l'information ne peut pas s'en tenir à la mise à disposition des documents disponibles. «Il faut privilégier les lieux de débat, car la transparence sur des résultats ne lève pas les questions d'interprétation, commente Gilles Brücker. Et c'est du débat que naîtra aussi la confiance.»
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