LES INSTITUTIONS de prévoyance, qui représentent environ 19 % du marché des complémentaires santé, devraient se prononcer aujourd'hui sur la prise en charge, ou non, des dépassements d'honoraires chez les médecins spécialistes de secteur I hors parcours de soins. C'est le conseil d'administration du Centre technique des institutions de prévoyance (Ctip) (1) qui prendra cette décision en fin de journée... à moins qu'il ne soit obligé de la reporter à plus tard. Au Ctip, on explique en effet que le positionnement sur les dépassements d'honoraires des spécialistes consultés en accès direct par le patient ne sera pas simple : « Le sujet est déjà très politique et, en plus, le Ctip a une structure paritaire [avec autant de représentants du patronat que des syndicats, Ndlr]. Or le Medef et la CGT ont par exemple des positions opposées .»
Les autres opérateurs de complémentaires santé ont déjà fait connaître leur décision dans ce domaine. Le premier d'entre eux, la puissante Fédération nationale de la mutualité française (Fnmf, 38 millions de personnes protégées), a pris une option radicale en recommandant à ses mutuelles adhérentes, soit environ 60 % des complémentaires santé, de « refuser de prendre en charge les dépassements qui ne s'inscrivent pas dans la démarche de coordination des soins ». La Mutualité entend préserver ses mutuelles d'une « course folle à la hausse des cotisations » (« le Quotidien » du 14 février). Début mars, le Groupe Pasteur Mutualité (Agmf-GPM) a adopté une position identique, nette et précise, afin de « respecter l'esprit du dispositif proposé par les pouvoirs publics, qui lui paraît conforme à l'intérêt des patients comme à celui des professions de santé ».
Derrière l'affichage, le pragmatisme s'impose.
D'autres opérateurs ont adopté une attitude plus nuancée. La Fédération française des sociétés d'assurance (Ffsa, représentant environ 21 % du marché des complémentaires) préconise « une logique d'incitation et de responsabilisation » en faveur du dispositif du médecin traitant institué par la réforme. Pour autant, la Ffsa « estime que la non-prise en charge d'une partie de la majoration du ticket modérateur et des dépassements d'honoraires est suffisante pour amener l'assuré à respecter le parcours de soins ». Les compagnies d'assurances font aussi état de leur « incapacité à modifier unilatéralement les dispositions contractuelles » de leurs clients.
La Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles (Fnim, deuxième fédération mutualiste après la Fnmf, avec 2,5 millions de personnes protégées) n'a pas non plus fermé la porte au remboursement des dépassements d'honoraires hors parcours de soins. Elle laisse ses mutuelles adhérentes faire leur choix « en fonction de la situation locale et de la concurrence ». A une question aussi délicate, la réponse ne peut qu'être multiple, fait remarquer le délégué général de la Fnim, Gilles Marchandon. « Même Jean-Pierre Davant [président de la Fnmf, Ndlr] a parlé de recommandation, rappelle-t-il. Recommander, ce n'est pas obliger. Il sait bien qu'il faut qu'on se conforme aussi aux attentes de nos mutualistes qui cotisent sur la base de la liberté... »
La résolution du problème du remboursement au patient des dépassements d'honoraires, lorsque celui-ci fait du « hors piste » dans le système de santé, est bien sûr capitale pour les médecins spécialistes de secteur I. Après avoir connu neuf années de stagnation des tarifs opposables, ces derniers s'attendent à une baisse du volume de leur activité compte tenu de la priorité donnée en premier recours au médecin traitant, généraliste le plus souvent. En l'absence de réouverture du secteur II, la fenêtre de liberté tarifaire qui leur est accordée par la convention en accès direct (jusqu'à 32 euros pour une consultation et dans la limite de 30 % de leur activité) est donc considérée par beaucoup comme une planche de salut, surtout si les dépassements sont solvabilisés par les complémentaires santé.
Pour les patients, les conséquences sont financières et sanitaires. Emmanuel Rodriguez, vice-président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), regrette l'extension des dépassements d'honoraires au secteur I, mais fait valoir aussi que le refus des complémentaires de les rembourser peut « avoir un impact sur les comportements ou exclure plus de patients, qui n'auront alors plus d'autre choix que de se faire soigner à l'hôpital ou de renoncer aux soins ». Un risque signalé d'ailleurs par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (Hcaam) dans son « avis sur la protection sociale complémentaire » rendu le 24 février.
De leur côté, les organismes complémentaires n'ont pas forcément les moyens de valoriser exclusivement les parcours de soins. Sur le plan technique, notamment, les complémentaires devront verser leurs prestations en fonction des seules données parcellaires fournies par la Sécu. « Nous ne saurons comment appliquer concrètement nos recommandations de non-prise en charge des dépassements que lorsqu'on connaîtra les modalités de liquidation de l'assurance-maladie obligatoire », reconnaît-on à la Fnmf.
Quoi qu'ils décident pour les institutions de prévoyance, les administrateurs du Ctip mettent déjà l'accent sur « la nécessité d'une discussion au sein de la future Union nationale des organismes complémentaires » (Unoc ou Unocam) en la matière, et « espèrent qu'un consensus se dégagera des trois familles de complémentaires (bien que) les positions affichées pour l'instant ne soient pas convergentes ». L'enjeu est d'importance, souligne-t-on au Ctip : « Le marché des couvertures complémentaires étant concurrentiel, une offre parallèle de contrats non responsables se développera si on laisse tomber les assurés hors parcours de soins. »
Les contrats responsables en point d'interrogation.
En attendant, il manque une pièce essentielle au puzzle : avant de pouvoir peaufiner leur stratégie, les complémentaires santé ont besoin de connaître le cahier des charges exact des contrats dits « responsables » fixé par décret gouvernemental. L'article 57 de la loi du 13 août 2004 sur la réforme de l'assurance-maladie prévoit la mise en place en 2006 de ces contrats responsables bénéficiaires d'aides publiques (exonération de la taxe de 7 %, crédit d'impôt...). Le cabinet du secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie, Xavier Bertrand, indique qu'il « poursuit la concertation » sur le cahier des charges avec les opérateurs de complémentaires, les partenaires sociaux et les syndicats de médecins libéraux. Le ministère promet donc « la finalisation du projet de décret à la fin du mois de mars ou début avril ». Les partenaires conventionnels viennent de mettre leur grain de sel dans les contrats responsables. Dans l'avenant n° 1 à la convention signé le 11 mars, le directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) et les syndicats Csmf, SML et Alliance ont convenu que les spécialistes de secteur II seraient logés à la même enseigne que ceux du secteur I concernant l'exclusion ou la limitation, par les contrats responsables, de la prise en charge des dépassements d'honoraires hors parcours de soins (du moins jusqu'à 32 euros pour une consultation). A la Fnim et au Ctip, on subodore que le cahier des charges des contrats responsables « ne sera pas trop restrictif ». Le leader de la Csmf, Michel Chassang, précise que sa définition est quand même rendue « complexe » dans la mesure où il doit, entre autres, placer le curseur des remboursements des dépassements tout en « tenant compte de la participation de 1 euro et du problème de la modulation du ticket modérateur » en dehors des parcours de soins balisés par la loi et la convention médicale. Bref, un vrai casse-tête chinois, qui va conditionner pourtant à l'avenir tout le marché des complémentaires santé.
(1) Le Ctip représente 73 institutions couvrant 5 millions de salariés et retraités pour leurs frais de santé.
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