FELIX GUYON hésite. La proposition que vient de lui soumettre Ernest Desnos est séduisante : grouper tous ceux qui s'intéressent aux maladies de l'appareil urinaire en une association qui se réunirait une fois par an en congrès comme les chirurgiens l'ont fait. Mais Joachim Marie Albarran, l'agrégé du service d'origine cubaine n'y est pas favorable. Il craint de voir cette future société envahie par des personnes peu compétentes, l'obligation de subir une perte de temps sans profit scientifique et la crainte d'une scission avec l'Association de chirurgie. Desnos, appuyé par Alfred Pousson et par Carlier, insiste et réussit à convaincre le vieux maître. Aussitôt, il adresse à tous un bulletin qui annonce la création prochaine d'une « Association française des chirurgiens et médecins urologistes ». Un premier comité se réunit, discute du titre de l'association qui devient « Association française d'urologie », et fixe à octobre 1896 la date du premier congrès. Il s'ouvre donc le 22 octobre 1896 et réunit 88 membres dont plusieurs étrangers, russes ou américains, qui n'ont pas hésité à venir malgré la longueur du voyage. On élit un conseil d'administration et un bureau. Le président en sera évidemment Félix Guyon, leur maître à tous, et Desnos sera secrétaire général. Puis on rédige les statuts de l'AFU, le règlement du congrès, et l'on procède à l'élection des membres titulaires et des correspondants étrangers. L'un des assistants de Guyon, Félix Legueu, fait un exposé sur « la valeur comparative de la ponction et de l'incision suspubienne dans la rétention d'urine » puis traite de « pathogénie et traitement de l'hydronéphrose ». Suivent des communications libres. Le volume de tout ce qui s'est dit est tel qu'on devra créer une nouvelle publication indépendante, réservée aux travaux du congrès.
Rythme de croisière.
En 1897, le succès du congrès s'affirme avec un nombre accru de participants. On y évoque la possibilité d'un traitement de l'adénome prostatique. En 1898, le congrès a pris son « rythme de croisière ». La question mise en discussion, celle « des infections vésicales », est exposée par Albarran, Legrain et Halle. En 1899, Malherbe et Legueu mènent la discussion sur les hématuries essentielles, c'est-à-dire sur celles qui viennent du haut appareil comme le prouve la cystoscopie. On annonce enfin que, en 1900, du fait de la tenue à Paris de l'Exposition universelle et d'un congrès international de médecine, il n'y aura pas de congrès de l'AFU. Le congrès de 1901 qui réunira 163 participants se déroule maintenant sur un rythme bien rodé : c'est une réunion très conviviale où dominent les élèves de Guyon, tous anciens de Necker. La proximité du congrès de chirurgie, dont les membres du bureau tiennent à assister à la première séance du congrès d'urologie, permet à tous de participer à ces deux réunions. En 1905, Guyon qui vient de perdre son gendre, doit se faire remplacer par Emile Forgue. Devant le nombre des orateurs, il est décidé de limiter le nombre des communications. Désormais il n'y aura qu'une question à l'ordre du jour. C'est Henri Hartmann, venu tard à l'urologie, à la tête de la fondation Civiale qui, avec Raffin, traite du traitement des tumeurs de la vessie. Lors du 13e Congrès de l'AFU, en 1908, tous se félicitent de la bonne tenue du premier congrès de l'Association internationale d'urologie, fondée à l'initiative de Desnos et de Pousson. Pour Guyon, ce fut un triomphe, Israël de Berlin lui déclarant : « Vous devez être considéré comme le maître de tous les urologistes du monde entier et le créateur de l'urologie moderne... »
L'entre-deux-guerres.
Lors du 19e Congrès d'octobre 1919 sont accueillis avec émotion les alsaciens, maintenant bien français, et les belges. La guerre a profondément changé les esprits. Les hommes aussi changent, il va falloir modifier les statuts et repenser tout le fonctionnement de l'AFU. En 1920, lors du 20e Congrès, Le discours du Président Desnos est un hommage à Félix Guyon qui vient de mourir à 89 ans : il présida tous les congrès de l'AFU directement ou par élève interposé jusqu'à 1918 ainsi que le premier congrès de la Société internationale d'urologie qu'il avait contribué à créer. Les congrès de l'AFU depuis leur début étaient, même en l'absence de Guyon, dominés par la personnalité du vieux maître. Après 1920, sans tenir compte des dispositions statutaires, Legueu et Pousson se partagèrent jusqu'en 1939 la présidence de l'AFU. Même si depuis 1920 le Congrès disposait d'une relative autonomie, ayant maintenant un président changeant chaque année avec une alternance entre Paris et la province, Legueu s'imposa pour un temps à la tête du Congrès d'urologie. Il avait avec autorité, au lendemain de la guerre, dirigé la réunion de l'Association internationale d'urologie. Il créa bientôt la Société française d'urologie réunissant autour de lui, dans son service, à Necker, l'élite de l'urologie française. L'année 1921 marque une année particulière, puisque, pour la seule fois de son histoire, le Congrès se tiendra hors de Paris, à Strasbourg. En 1925, Le président Georges Gayet célèbre le jubilé du Congrès et les pas de géant des progrès urologiques qui justifient la place occupée par l'urologie au sein de la chirurgie et dans le cursus médical. Les progrès réalisés doivent faire redoubler d'effort pour résoudre tout ce qui reste. Le professeur Brongersma d'Amsterdam, au nom des correspondants étrangers, rappelle tout ce que l'urologie doit à l'école de Necker et fait une donation pour alimenter un prix décerné tous les cinq ans à un jeune urologue méritant. En 1926, alors que Chevassu reçoit les congressistes dans son tout nouveau service de l'hôpital Cochin, Ernest Desnos disparaît après vingt-deux ans de secrétariat général de l'AFU. Urologue libéral, sans titre hospitalier ni universitaire, il fut le maître-d'œuvre d'une « Encyclopédie d'urologie » en quatorze tomes et entra à l'Académie de médecine. En 1938, on parle pour la première fois de l'emploi en urologie d'un sulfamide, le Rubiazol, et on signale la mort de Jourdan qui, comme Albarran, Escat, Boeckel, Jean Martin, a succombé à une septicémie secondaire à une piqûre septique lors d'une opération. La date du congrès a été reculée de quinze jours en raison des événements et le président Lavenant, comme tout un chacun, se réjouit dans son discours du retour de la paix. Peut-être un peu vite... Le 39e Congrès n'aura lieu qu'en 1945.
La chirurgie urologique à l'honneur.
En 1948, Le président Bernard Fey fait l'apologie de la pluridisciplinarité « Je rêve d'un congrès de la fibre musculaire lisse » et exprime ses inquiétudes sur le renom de la discipline : Si la France a longtemps « mené le train » au temps où l'urologie se réduisait à Guyon et à son école, aujourd'hui les entraîneurs sont ailleurs. Lors du 44e Congrès en 1950, Le secrétaire général, Roger Couvelaire, s'en prend vigoureusement à ceux qui délaissent la chirurgie urologique lourde : « Le péril ne survient qu'à l'heure où la consécration totale aux études particulières entraîne par paresse ou par cécité des renoncements ou des abdications. » Un an plus tard, le président Raymond Darget le suit en faisant l'éloge de l'urologie chirurgicale : « Une opération est autre chose qu'une ciselure, c'est un combat contre la matière vivante qui se défend, combat que l'opérateur doit dominer avec maîtrise. Ayons le culte de l'action. » La chirurgie plastique reconstructrice fait son retour en urologie en 1953. René Küss, père de la transplantation rénale, met à l'honneur la reconstruction de l'uretère pelvien par lambeau vésical tubulé. Pour le 50e Congrès en 1956, son président, Raymond Dossot, critique l'absence de rigueur des anciens et fait un plaidoyer pour le regroupement des sociétés urologiques et une décentralisation des congrès. Ironique, il écrit : « Le président du centenaire aura beau jeu pour nous traiter d'arriérés : c'est normal. » En 1959, Pierre Maquet, président du Congrès s'inquiète : « Notre éthique est menacée... Par nous-mêmes : l'iconolâtrie. Mais les dangers viennent aussi du dehors : la nature administrative et sociale. Nous n'avons jamais vu grandir la chirurgie dans les pays qui ont supprimé l'indépendance des chirurgiens. »
Dernière évolutions.
Le 57e Congrès de 1963 voit son président Pierre Fabre entreprendre une critique assez vive de la chirurgie et de l'urologie de l'époque. Lente évolution des techniques, uniformité et manque d'imagination de la part des maîtres sont fustigées : « Il faut modeler nos jeunes pour leur donner l'esprit d'ouverture et la foi en un avenir qu'ils ont mission de construire. » En 1969, sous la présidence de Jean Perrin, un rapport est consacré pour la première fois au remplacement du rein, et l'implication des urologues dans la transplantation rénale se développe. Dix ans plus tard, Jacques Brueziére, responsable de l'unité d'urologie infantile dans le département de chirurgie pédiatrique de l'hôpital Trousseau consacre l'essentiel de son discours à la place de l'urologue au sein de la chirurgie infantile. Lors du 81e Congrès de 1987, le président Etienne Mazeman définit trois priorités pour remédier au progressif déclin de l'urologie française depuis l'époque glorieuse de Guyon : développer information et contacts pour mieux se faire connaître, améliorer la recherche, s'associer activement aux options internationales. Il faut donc promouvoir l'usage de l'anglais, favoriser autant une politique d'accueil que de stages à l'étranger, créer des pôles de recherche pluridisciplinaires et réaliser une véritable politique urologique européenne. Dans les années 80, l'AFU a pris un essor important, regroupant la quasi-totalité des urologues français et attirant à son congrès annuel de plus en plus d'urologues étrangers et spécialement des pays francophones. Si les participants aux congrès sont passés, en 110 ans et 100 congrès, de 88 à plus de 2000, les congrès de l'AFU ont conservé deux traditions instaurées dès le premier congrès : les rapports établissant pour une chose choisie « l'état de l'art » et le discours du président du Congrès. Les travaux des rapporteurs et les discours des présidents sont donc un reflet assez fidèle de l'évolution de la spécialité urologique et de ceux qui la servent. L'histoire de l'urologie s'écrit donc un peu lors de chaque congrès.
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