Pourquoi avez-vous entrepris la rédaction de ce livre ?
Jean Brami. Pendant longtemps, on a manqué de contenus à diffuser sur la sécurité du patient en médecine générale. Mais ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Avec le Dr Eric Galam, j’ai mis au point une formation commune à Paris V et Paris VII sur ce thème. Il en existe d’autres, par exemple à Lyon ou Saint-Etienne. René Amalberti a, de son côté, une expertise ancienne dans le domaine de sécurité. Nous avions donc la matière. C’est pourquoi, il ne s’est écoulé qu’une année entre le début du projet et la sortie du livre. Nous allons le présenter au congrès du CNGE ce week end à Toulouse sous forme d’abstracts. Nous espérons que ces recherches se diffusent au fur et à mesure dans les départements de médecine générale de chaque université.
La France est-elle en retard dans le domaine de la sécurité ?
René Amalberti. Contrairement aux Etats-Unis, la question de la sécurité du patient n’est pas une question politique dans notre pays. En France, les gens sont globalement satisfaits du système de soins, ils sont donc aussi relativement tolérants sur ses dysfonctionnements. Tout cela explique qu’il n’y ait pas encore franchement de gouvernance sur la sécurité des patients. En Europe, le pays qui est le plus en avance sur la sécurité est le Royaume-Uni. Cela date de la réforme du système de santé engagé en 2003 par Tony Blair. Cette réforme s’est accompagnée d’un investissement financier très important dont une part a été fléchée sur la qualité et la sécurité.
Pourtant la démarche qualité existe aussi en France ?
Jean Brami. A l’hôpital, la démarche qualité existe depuis longtemps. En médecine générale, des initiatives locales commencent à voir le jour. Par exemple, dans certains groupes de pairs
Dans votre ouvrage, vous utilisez beaucoup d’exemples concrets. Que nous apprennent-ils ?
René Amalberti.Tous les exemples sont des cas cliniques réels. Et ce qui est intéressant est que les généralistes à qui nous les avons présentés estiment majoritairement que ces situations auraient pu leur arriver aussi. Globalement, ils montrent que les erreurs ne résultent pas de manques de connaissance, mais sont plutôt liés à des problèmes d’organisation.
Quelles sont les erreurs les plus fréquentes en médecine générale ?
Jean Brami. Ce qui arrive le plus souvent c’est, non pas l’erreur, mais le retard de diagnostic. En médecine générale, il y a beaucoup de conflit de temps. Il y a les patients qui appellent mais ne viennent pas tout de suite, ceux qui ne reviennent pas après une première consultation. Les médecins généralistes sont essentiellement formés à l’hôpital où on n’apprend pas cette prise en charge des patients sur la durée en dehors d’un contexte pathologique.
René Amalberti. Une difficulté particulière en médecine générale est de gérer les retours d’examen de biologie ou de radiologie ainsi que les comptes-rendus d’hospitalisation. On ne peut pas dire que le généraliste est vraiment seul. Il fait toujours partie d’un réseau au moins informel. En revanche, les échanges sont rarement protocolisés.
Comment limiter ses erreurs ?
Jean Brami. Chaque praticien élabore sa propre stratégie au fur et à mesure. À chacun de se poser les questions et d’y répondre. Comment je gère les examens complémentaires ? Quand et comment faire mes comptes-rendus de visites ? Comment je transmets les informations à mon remplaçant, à mon interne ou à mes associés. On peut également créer une « traçabilité » de ses erreurs : noter les incidents ou les presque incidents, afin de s’organiser pour anticiper le risque. Une de mes internes pour son travail de thèse avait créé une sorte de registre sur un site internet où elle avait demandé à des généralistes de rapporter de manière anonyme leurs événements indésirables. Elle n’a eu que cinq réponses. Mais probablement moins parce que les praticiens n’en avaient pas envie que parce qu’ils ne trouvaient pas le temps pour le faire.
Quel est l’acte le moins sécurisé ?
Jean Brami. C’est probablement la prescription. Le médecin a dans la tête le nom d’un médicament, en général qu’il prescrit très souvent, et il écrit un autre nom sur l’ordonnance souvent parce que son attention a été distraite : le téléphone a sonné entre temps ou le patient lui a parlé d’un autre problème. Là encore il faut probablement que chacun réfléchisse à son organisation. Aujourd’hui, l’anesthésie est la spécialité la plus protocolisée. La médecine générale doit se trouver ses propres procédures de sécurité.
Tout cet aspect organisationnel de la médecine n’est pas enseigné aujourd’hui…
René Amalberti. Non pas encore, Mais il est probable qu’avec le DES de médecine générale, on assiste à une accélération de la réflexion sur ce sujet. C’est d’autant plus nécessaire que la médecine générale va toujours plus se complexifier à mesure que les spécialités vont se spécialiser et qu’elles ont de plus en plus tendance à se reposer sur le médecin traitant.
La réforme du médecin traitant et la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » permettent-ils de sécuriser l’exercice de la médecine générale ?
René Amalberti. Le médecin traitant a certainement apporté une amélioration. De manière générale, le profil de patient le plus à risque d’erreur est le patient nomade. On peut espérer que la loi HPST renforce la sécurité si elle permet d’améliorer la transmission de l’information entre les différents acteurs car c’est justement là le point faible du système.
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