JUSTE AVANT Noël, les médias nationaux ont battu le rappel : la gastro-entérite à nos portes allait perturber les fêtes de certains de nos concitoyens, le réseau Sentinelles de l’Inserm l’annonçait (http://www.sentiweb.org). Les prévisions se sont révélées exactes, l’incidence des diarrhées aiguës a dépassé le seuil épidémique dès la première semaine des vacances scolaires, et le passage de la fin d’année a permis d’affiner les prévisions et d’anticiper l’une des trois plus grandes épidémies des quinze dernières années. Il est encore trop tôt pour confirmer ce nouvel oracle, mais à l’heure où ces lignes étaient écrites, l’épidémie était toujours en phase ascendante avec une incidence hebdomadaire (données non consolidées), le 8 janvier dernier, de 550 cas pour 100 000 habitants, et un « compteur » national qui totalisait alors plus de 700 000 cas de gastro-entérites ayant consulté leur médecin généraliste en trois semaines d’épidémie, et le pic n’était peut-être pas encore atteint (figure 1).
Quatre familles de virus pour 40 % des origines ; quelles sont les autres causes ?
Les épidémies de gastro-entérites en France sont assez faciles à prévoir (1). Elles surviennent presque toujours à la fin de décembre, durent entre quatre et neuf semaines, atteignent un pic d’incidence qui s’élève à 320 cas pour 100 000 habitants lors des « petites » épidémies (celles qui totalisent environ 700 000 cas) et à près de 900 cas pour 100 000 habitants lors de la plus importante enregistrée en 2000-2001, avec 2,5 millions de cas. Toutes les régions de France métropolitaine sont touchées, tour à tour, et si, le 8 janvier 2006, la Lorraine, le Limousin et la Corse étaient les trois régions rapportant les plus fortes incidences, c’était davantage parce qu’elles semblaient en train d’atteindre leur pic épidémique (figure 2) que pour toute autre particularité géographique ou climatique. Il reste que l’on n’a pas su, pour l’instant, expliquer plus de 40 % des causes possibles de ces épidémies hivernales. On a l’habitude de dire qu’elles sont d’origine virale, et c’est vrai en effet pour une part clairement documentée par une étude de type cas-témoins, que nous avons conduite avec les médecins généralistes du réseau Sentinelles qui avaient accepté – encore entièrement bénévolement – de convaincre leurs patients (et des témoins indemnes de toute diarrhée, ce qui ne fut pas simple en médecine ambulatoire) d’envoyer au laboratoire de virologie du CHU de Dijon (Pr Pothier) des prélèvements de selles par courrier exprès préaffranchi, ainsi qu’un questionnaire épidémiologique (2). Quatre familles de virus étaient identifiées chez les cas de gastro-entérites, dans l’ordre de fréquence, les calicivirus, puis les rotavirus, et plus rarement les adénovirus et les astrovirus. Moins de 7 % des témoins « sains » étaient porteurs de ces virus. Il reste à découvrir plus de la moitié des causes de ces gastro-entérites. Nous n’avions recherché que ces quatre familles, que nous avons toutes retrouvées à des fréquences différentes. Mais il faudrait sans doute rechercher d’autres virus entériques, voire des bactéries ou des parasites. Une étude épidémiologique que nous avions préalablement conduite, sans prélèvements de selles, avait déjà permis de rejeter un certain nombre de facteurs alimentaires, comme les huîtres crues ou l’eau du robinet (3). Les effets indésirables des médicaments, notamment les antibiotiques couramment prescrits à cette période de l’année, ne représentaient pas plus de 5 % des étiologies suspectées (4).
Beaucoup de questions en suspens, mais peu d’équipes pour se pencher sur elles.
Il reste de nombreuses inconnues non encore élucidées vis-à-vis de ces épidémies de gastro-entérites. Pourquoi ces épisodes se déclenchent-ils simultanément dans toute la France métropolitaine à cette période de l’année, de la Corse au Nord-Pas-de-Calais, de la Bretagne à l’Alsace, alors que plusieurs familles de virus apparemment indépendantes en sont à l’origine ? Quelle est la cause des 50 à 60 % des gastro-entérites qui ne sont pas dues aux quatre familles de virus actuellement identifiées ? Quelle est la part de contamination oro-fécale et celle de la transmission aérienne ? La dynamique épidémique laisse penser que le manque d’hygiène des mains est loin d’être la seule origine de la propagation des gastro-entérites d’hiver, mais tout cela est encore fort peu documenté. Sans parler du rôle des traitements symptomatiques, de la place des vaccins à venir, contre le Rotavirus notamment. Bref, pourquoi toutes ces questions qui intéressent tant nos concitoyens, qui induisent aussi tant de consultations, de visites en médecine générale et sans doute de coûts directs et indirects, ne reçoivent-elles que peu d’attention des chercheurs, des virologues, des épidémiologistes moléculaires, des environnementalistes ? Le réseau Sentinelles de l’Inserm, en lien étroit avec l’Institut de veille sanitaire et la Direction générale de la santé, espère, par ses alertes précoces et par ses prévisions, contribuer à éviter au moins la déshydratation qui emporte malheureusement encore quelques nourrissons chaque année en France. Peut-être cette communication sur les épidémies de gastro-entérites facilite-t-elle un peu aussi l’organisation des quelques semaines un peu tendues que vivent les généralistes et les pharmaciens en ces périodes hivernales, sur le plan professionnel ?
Références
1. A. Flahault, P. Garnerin, P. Chauvin, N. Farran, Y. Saidi, C. Diaz, L. Toubiana, J. Drucker, A.J. Valleron. Sentinelle Traces of an Epidemic of Acute Gastroenteritis in France. « Lancet »,1995 Jul 15 ; 346 (8968) : 162-163.
2. R. Chikhi-Brachet, F. Bon, L. Toubiana, P. Pothier, J.-C. Nicolas, A. Flahault, E. Kohli. Virus Diversity in a Winter Epidemic of Acute Diarrhea in France. « J Clin Microbiol », 2002 Nov ; 40 (11) : 4266-4272.
3. L. Letrilliart, J.-C. Desenclos, A. Flahault. Risk Factors for Winter Outbreak of Acute Diarrhoea in France : Case-Control Study. « BMJ »,1997 Dec 20-27 ; 315 (7123) : 1645-1649.
4. L. Beaugerie, A. Flahault, F. Barbut, P. Atlan, V. Lalande, P. Cousin, M. Cadilhac, J.-C. Petit. Study Group. Antibiotic-Associated Diarrhoea and Clostridium Difficile in the Community. « Aliment Pharmacol Ther », 2003 Apr 1 ; 17 (7) : 905-912.
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