Dans un cas sur deux, la précocité intellectuelle chez l'enfant n'est pas identifiée, par méconnaissance, dans le monde scolaire ou médical, des caractéristiques spécifiques de leur développement. C'est aussi parce que l'enfant surdoué peut avancer masqué et sembler présenter un trouble psychologique et comportemental qu'il faudra analyser et comprendre pour identifier la précocité.
Un des desseins de la prise en charge de ces enfants est la prévention d'une désadaptation scolaire ou d'un mal-être qui menace un tiers d'entre eux.
A partir de quels éléments doit-on soupçonner l'existence d'une précocité intellectuelle ? Chez le petit enfant entre 2 et 6 ans, l'attention peut être attirée par une hyperactivité motrice, une agressivité, une hypersensibilité ou des troubles du sommeil (troubles de l'endormissement, cauchemars), comme ceux décrits par le Dr Olivier Revol*, pédopsychiatre à l'Hôpital neurologique de Lyon. En revanche, on s'étonne de ne pas trouver chez eux de déficit de l'attention et de la concentration, absence qui caractérise les enfants précoces et les distingue de ceux victimes du trouble déficit de l'attention/hyperactivité (THADA).
Le paradoxe de l'échec
L'enfant peut être brillant, mais, souvent, il tend à se dévaloriser, se sentant rejeté, « différent » du groupe. Il s'ennuie en classe ou tout va trop lentement pour lui, se met en retrait, décroche et évolue progressivement vers l'échec scolaire, paradoxe qui peut constituer le premier signe d'appel. Il peut même se mettre en inhibition intellectuelle, en se conformant inconsciemment à l'ensemble du groupe et au rythme de l'enseignement, en paraissant moins rapide et développé qu'il ne l'est en réalité.
« Ces enfants ont un choix perpétuel à faire, entre être soi-même et se faire traiter d'"intello" ou de "nul" par leurs camarades », décrit le Dr Annick Bessou**, qui a publié une étude sur 86 enfants surdoués*. C'est ce que Jean-Charles Terrassier appelle "l'effet Pygmalion négatif", ils sont capables d'entrer dans le moule des exigences du groupe pour être acceptés. »
Des troubles psychiques
Ces enfants précoces ont aussi une telle perception intuitive de la réalité qu'elle peut être facteur d'angoisses, de fragilité et de mal-être. Ils présentent plus souvent que la moyenne des troubles qui peuvent paraître psychopathologiques.
Outre les problèmes de sommeil et l'instabilité psychomotrice, on décrit des troubles anxieux et des défenses obsessionnelles. L'humeur dépressive est aussi fréquente, dès la petite enfance.
Le contraste entre leur développement psychomoteur, affectif, et leur avance intellectuelle provoque parfois des troubles graphomoteurs, sans vrai déficit, alors qu'ils sont en règle générale très brillants à l'oral, vifs, plein d'humour et intéressés par des sujets loin de leur âge.
Alors que la symptomatologie est plus fréquente chez les garçons avant l'adolescence, cette situation s'inverse par la suite. Chez les filles après 12 ans, il peut exister un syndrome dépressif associé à une anorexie ou à une boulimie.
Il importe d'identifier la précocité intellectuelle, non seulement pour faire suivre aux enfants un parcours scolaire adapté, mais aussi parce que cette reconnaissance a des vertus thérapeutiques. A défaut d'une prise en charge adéquate, le risque de présenter des psychopathologies augmente. Il est alors nécessaire de faire appel à un pédopsychiatre ou à un psychiatre. Il faudrait enrichir ou accélérer les programmes scolaires.
« Dans l'étude que j'ai menée auprès de 86 enfants surdoués, seulement 28 % d'entre eux faisaient l'objet d'une prise en charge par le système scolaire, cela par manque d'informations et de formation », souligne le Dr Bessou.
Les médecins aussi sont demandeurs d'informations dans ce domaine. Leur rôle est prépondérant, l'expérience prouvant que les parents ont souvent consulté pour comprendre le comportement inhabituel de leur enfant en bas âge. Ce sujet sera notamment traité lors du MEDEC à Paris, le 14 mars.
Quel sera le devenir des enfants intellectuellement précoces en grande difficulté ? Les Drs Geneviève Prat et Alain Gauvrit, psychiatres à l'institut Beaulieu (Saliès-de-Béarn), ont réalisé en 1985 une étude sur 145 dossiers d'enfants surdoués inadaptés, admis en internat psychopédagogique pour de graves difficultés relationnelles, sociales et scolaires. Pour 65 % d'entre eux, on relevait une inhibition intellectuelle.
Ils ont été interrogés de nouveau quelques années plus tard : ce sont des individus moins souvent mariés, qui ont fait des choix de vie plus proches de la nature que des préoccupations financières. Les observateurs ont aussi retrouvé chez ces adultes un certain nombre de problèmes psychologiques et un risque augmenté de mort précoce et violente.
Un article publié par Jacqueline Royer, dans le « Journal de psychologie », montre que près de 50 % des enfants au QI de plus de 145 (1 enfant sur 1 000) ont des problèmes psychopathologiques (notamment des syndromes dépressifs) à l'âge adulte. Chez ces personnes aussi les décès précoces et violents sont plus fréquents, conséquence d'un « surdouement » non identifié dès l'enfance.
L'Education nationale commence à s'intéresser au problème. Dans un rapport rendu public le 28 mars 2002, plusieurs solutions ont été proposées :
- développer les études et les recherches pour mieux connaître ces enfants, sensibiliser les médecins scolaires, les enseignants, les conseillers d'orientation et les psychologues scolaires ;
- apporter des réponses à leurs difficultés et adapter le rythme de l'apprentissage aux besoins de chacun, avec possibilités de réduire le cursus scolaire d'une année à l'école primaire ou de faire le collège en trois ans ;
- développer les possibilités d'enrichissement du parcours scolaire de ces enfants.
Quelle prise en charge propose-t-on ? Elle doit être multidisciplinaire. La première étape consiste à tester les enfants pour confirmer ou infirmer le diagnostic. Le test de Wechsler (WISCIII ou WPPSI) permet de savoir si le QI est supérieur ou égal à 125. La reconnaissance des particularités de ces enfants, l'accès à un enseignement à leur niveau d'âge mental, l'aide éventuelle aux troubles des apprentissages (dyslexie, dysphasie, etc.), l'accompagnement du développement intellectuel donnent de bons résultats, réduisant ainsi l'émergence de troubles à tendance psychopathologiques.
« Chez certains enfants, le fait de passer des tests de QI a un effet thérapeutique. Ces enfants et leur famille comprennent enfin la raison de leur différence de fonctionnement », explique A. Bessou.
En somme, une identification précoce qui permet d'accepter l'enfant dans sa particularité est seule garante de leur épanouissement et de leur devenir.
* ANAE (Approche neuropsychologique des apprentissages chez l'enfant), numéro 67, juin 2002.
** Généraliste, titulaire d'une attestation de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent, ancien médecin attaché au CHU de Grenoble.
Qu'est-ce que le QI ?
Le QI (quotient intellectuel : âge mental/âge chronologique x 100), test psychométrique, est le rapport des performances intellectuelles d'un enfant par rapport à l'ensemble de la population du même âge. Un QI à 130 chez un enfant de 10 ans signifie qu'il a une avance en âge mental de l'ordre de trois ans.
La précocité intellectuelle concerne 5 % des enfants, si l'on prend comme référence le seuil de 125 de QI, ou 2 % selon la référence internationale d'un QI supérieur à 130.
Le QI total est le cumul d'un QI verbal et d'un QI performance, qui comportent chacun cinq subtests. Certaines épreuves sont chronométrées.
Paradoxalement, les enfants précoces peuvent ne pas être très performants aux épreuves « arithmétique » et « code », mais ont des scores très supérieurs à la moyenne dans toutes les autres épreuves. L'une de leurs caractéristiques est leur capacité à identifier rapidement la relation cachée entre deux éléments pour aboutir au concept.
ANPEIP (Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces), 26, avenue Germaine, 06300 Nice, www.anpeip.org, tél. 04.93.92.1. 53.
Site de référence sur la douance : www.douance.org.
Associations pour les adultes surdoués : MENSA, www.mensa.fr, tél. 06.68.71.11.95.
AADRAD (Association d'aide, de documentation et de recherche pour adultes doués, www.aadrad.fr.
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