Le Temps de la médecine :
Faites vos jeux
« NOTRE MISSION, c'est de faire la promotion du jeu en tant qu'activité fondatrice de l'individu, et notamment de l'enfant », explique Nadège Haberbusch, la codirectrice de l'association Les Enfants du jeu. Depuis quinze ans qu'elle existe, l'association s'est développée avec succès. Il y a tout d'abord la ludothèque, située au cœur d'une cité de Saint-Denis*, qui accueille enfants, parents, ados et adultes, seuls ou en collectivité.
Il y a la ludomobile, qui transporte jouets et jeux dans des maisons de retraite, des écoles, des jardins municipaux, mais aussi en prison, dans des foyers et autres lieux d'insertion. Il y a le centre de formation, qui s'adresse au personnel du champ éducatif, social et médical (le personnel de PMI notamment), ou à toute personne intéressée par le jeu ayant ou non le projet de créer un espace ludique.
Et en toile de fond, il y a surtout une philosophie. « L'association a pour objectif de donner à jouer, indique Nadège Haberbusch. Nous considérons le jeu comme une activité libre, spontanée et gratuite qui permet à l'enfant de se construire, de se développer sur le plan cognitif et affectif. C'est aussi un moyen de favoriser son autonomie : nous le laissons prendre ses responsabilités. »
Espaces de fiction.
A quelques pas de la PMI du quartier, la ludothèque est constituée de quatre appartements dont chaque pièce est dédiée à une forme de jeu bien spécifique. Les responsables de l'association se sont inspirés, pour l'aménagement du lieu, de la théorie de Piaget selon laquelle chaque étape du jeu correspond au développement cognitif de l'enfant.
Le coin réservé aux enfants de 0 à 4 ans (accompagnés de leurs parents) comporte notamment un espace sensoriel avec des jeux de lumières. Se succèdent l'espace des jeux de société dits jeux de règles, un salon intime et tamisé, l'espace des jeux symboliques qui permettent aux enfants de jouer aux grands ou de mettre en scène des figurines, la pièce des jeux d'assemblage et jeux de construction. Surprise, on découvre également un cabinet médical, une salle de classe, une Poste avec un guichet où l'on peut tirer de l'argent. « Nous avons voulu reconstituer une petite cité, l'environnement où vivent les enfants, précise Nadège Haberbusch. Les espaces correspondent aux besoins psychologiques et psychomoteurs de l'enfant. Ce sont des espaces de fiction qui invitent l'enfant à rejouer la réalité. »
Pour 3 euros par an, chaque membre d'une famille peut fréquenter, à sa guise, la ludothèque. L'association est subventionnée (par différents services de l'Etat et la municipalité) et vend, par ailleurs, ses prestations de formation et d'animation. « Certains enfants, surtout ceux issus de familles fragilisées, viennent tous les jours, ajoute Nadège Haberbusch. Ils trouvent ici un espace de paix. »
Accueilli par l'équipe - 5 ludothécaires travaillent pour l'association -, l'enfant est ensuite seul maître à bord : à lui de choisir son activité. « Plus le jeu est dirigé, moins il remplit son rôle, constate la codirectrice de l'association. Il est nécessaire que l'enfant puisse jouer librement pour réinvestir ses acquisitions. Les joueurs deviennent des acteurs de leur activité. Le jeu est intrinsèquement éducatif et thérapeutique. »
Liberté, autonomie mais aussi respect. Le ludothécaire, disponible à tout moment pour l'enfant qui le demande, veille à l'observation des règles de fonctionnement.
Première règle : chaque adhérent doit respecter la tranquillité du lieu (toutefois, les jeux de bagarre, lorsqu'ils sont maîtrisés, ne sont pas interdits). Deuxième règle : les jeux doivent être systématiquement vérifiés et rangés « Ces deux règles ne sont pas négociables, insiste Nadège Haberbusch. La ludothèque n'est pas un lieu de garde. Si l'enfant prend la responsabilité de transgresser les règles, il sera averti qu'il ne pourra pas jouer dans la structure. »
Excepté pour les jeux de règles où il est souvent sollicité, l'animateur ne prend pas part aux jeux, ne porte pas de regard évaluateur sur le jeu de l'enfant. « Nous voulons garder une neutralité, souligne la codirectrice. Si l'enfant ne demande pas d'aide alors qu'il est en difficulté devant un jeu, nous le laissons faire. Toutefois, l'enfant n'est pas seul dans la structure. Nous nous réunissons tous les soirs pour parler des enfants. Si nous remarquons, par exemple, que l'un d'entre eux maltraite une poupée, nous ne cherchons pas à comprendre pourquoi. Mais nous le signalons aux autres professionnels du quartier, à la PMI ou aux enseignants. Les enfants se déchargent et libèrent beaucoup de choses ici. » Lors d'une mission effectuée avec l'ONG Enfants réfugiés du monde en Algérie après le tremblement de terre de 2003, Nadège Haberbusch se souvient combien les enfants s'investissaient dans les jeux de construction.
Prévention mentale.
La fréquentation de la ludothèque apporte souvent beaucoup. Les exemples sont légion. « Je me souviens d'une mère, qui avait eu des triplés, dont une seule enfant a survécu, raconte Nadège Haberbusch. Elle la surprotégeait. A la ludothèque, nous lui avons montré que son enfant n'était pas en danger de mort, qu'il était parfois utile de tomber pour apprendre à marcher. Cette petite fille a pris de l'autonomie et la mère a pu se mettre en position d'observatrice. Devant les progrès de la fillette, les médecins en venaient à encourager les sorties à la ludothèque. »
Face à des enfants en grande souffrance, Nadège Haberbusch perd parfois confiance. Dernièrement, il lui a fallu lire « les Vilains Petits Canards », l'ouvrage de Boris Cyrulnik, sur la résilience, pour reprendre espoir. « Il suffit d'un regard attentif pour éviter la rupture. Un psychiatre m'a dit un jour que nous faisions de la prévention mentale », dit-elle.
Grâce à la formation que l'association propose sur les « enjeux et la mise en en place du jeu dans les structures d'accueil », Nadège Haberbusch entend bien gagner du terrain.
* 31, allée Antoine-de-Saint-Exupéry, 93200 Saint-Denis, tél. 01.42.43.85.30 et www.les-enfants-du-jeu.com.
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