LES FONDEMENTS de nos jugements moraux dépendraient en grande partie de notre capacité émotionnelle. Une étude américaine indique, en effet, que, privés de toute émotion, nos choix face à un dilemme moral ne seraient plus guidés que par une vision utilitaire de la situation.
Koenigs et coll. sont arrivés à cette conclusion en étudiant des patients présentant des lésions du cortex préfrontal ventromédian (Cpvm). Diverses données ont permis d'établir que le Cpvm est impliqué dans la production des émotions. Les patients chez lesquels cette région corticale est lésée montrent une difficulté à ressentir des émotions, en particulier celles d'ordre social, associées à la notion de moralité, telles que la compassion, la honte ou la culpabilité. Ces patients ont, en outre, des difficultés à réguler leurs sensations de colère et à gérer les frustrations. En revanche, leur intelligence, leur capacité à raisonner et leur connaissance des normes sociales et morales sont normales.
Koenigs et coll. ont présenté à six de ces patients cinquante scénarios au cours desquels ils devaient affronter un dilemme moral.
Par exemple : «Vous connaissez une personne atteinte du sida qui a l'intention d'en contaminer d'autres. Vous n'avez que deux possibilité d'action: la laisser faire ou la tuer. Que faites-vous ?» ou «Votre voiture fonce à vive allure. Ses freins ne marchent plus. Vous n'avez que deux possibilités: foncer dans un véhicule qui contient cinq personnes ou dévier la trajectoire de la voiture et renverser un piéton sur le trottoir?» A l'issue de chacun de ces scénarios, le patient interrogé devait choisir entre sacrifier une personne pour en sauver plusieurs autres, ou sauver cette personne, quitte à en sacrifier d'autres. Les choix des patients présentant des lésions du Cpvm ont été comparés à ceux des patients atteints d'autres types de lésions corticales (n = 12), ainsi qu'à ceux de témoins sains (n = 12).
Il était plus ou moins facile de trancher.
Les scénarios proposés faisaient appel à des degrés d'implication personnelle plus ou moins élevés. Ils présentaient en outre des situations sur lesquelles il était plus ou moins facile de trancher. Il est apparu que les réactions des patients montrant des lésions du Cpvm diffèrent de celles des autres sujets lorsque la résolution du problème nécessite une implication personnelle forte et suscite des réponses conflictuelles dans les population témoins. A ce genre de dilemme, les patients atteints de lésion du Cpvm répondent presque systématiquement par une décision « utilitaire », qui consiste à sacrifier une personne pour en sauver d'autres. Cette solution est choisie, même si le sacrifice de cette personne exige une implication personnelle (comme tuer de ses propres mains la personne à sacrifier), intolérable pour la majorité des témoins.
Pour Koenigs et coll., ce résultat indique que les processus nécessaires à l'établissement des jugements moraux reposent sur la participation des zones cérébrales impliquées dans la production des émotions. L'absence d'émotion conduit à la production de jugements purement utilitaires qui ne laissent aucune place à la morale personnelle.
Koenigs M et coll. « Nature », édition en ligne avancée.
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