C’est le paradoxe de cette première semaine de débats qui s’est achevée très tôt vendredi matin 11 février. Les pouvoirs publics ont eu beau multiplier les rapports et les consultations depuis 18 mois, personne ne sort vraiment content du débat sur le projet de révision des lois de bioéthique qui sera voté mardi 15 février en première lecture par l’Assemblée Nationale. Trois jours de débat ont en tout cas suffit à faire voler en éclat, ce qui restait de consensus entre députés. Au point que l’on a vu réapparaitre la bonne vieille opposition droite-gauche sur de nombreux points. «C'est avec un goût assez amer que l'on ressort de ces débats», a même confié le socialiste Alain Claeys à l'Agence France Presse. «J'ai le sentiment qu'on régresse par rapport à 2004 et que les positions les plus radicales sont plus affirmées aujourd'hui qu'hier,» a ajouté le président de la Commission spéciale de bioéthique, évoquant «un pas en arrière considérable» concernant la recherche sur l’embryon.
La recherche sur l’embryon, champ clos de tous les affrontements
C’est en effet le point central d’opposition dans cette loi bioéthique. L'Assemblée nationale a conservé le statu quo sur la recherche sur l'embryon, interdite sauf dérogations. Et sur cette question, les opinions sont tranchées. Le ministre de la Santé estime que cette position médiane «permet de continuer d'avancer» et il assure que la recherche française -régit par ce régime de dérogations accordées au cas par cas par l’Agence de biomédecine depuis 2004- n’est pas à la traine par rapport à ses voisins.
A l’inverse, les députés PS n’ont eu de cesse de pointer «le retard de la France» et d’exhorter le gouvernement «à sortir de l'ambiguïté». Dès l’ouverture du débat, Alain Claeys s’était clairement prononcé pour qu’on autorise enfin les recherches sur l’embryon. N’ayant pas été écouté, il ne cachait pas son désapointement: «C'est très décevant pour la recherche...» En écho, son collègue socialiste, Jean-Louis Touraine, alertait que «le retard que nous prenons va s'avérer insurmontable», et que le statu quo est «un message extrêmement négatif» envoyé aux chercheurs. Plus radicale encore, la communiste Jacqueline Fraysse, qualifie l'option française de «ringarde» et d'«indigne».
Sur cette question, Xavier Bertrand, mais aussi le rapporteur Jean Léonetti, ont donc du faire le grand écart, pour tenter aussi de concilier les contraires. Y compris, rassurer leur «aile droite», cette trentaine de députés UMP centristes et Nouveau Centre, souvent proches des milieux catholiques, qui ont, en vain, tenté de faire faire passer l’interdiction absolue de toute recherche sur l’embryon. «Le texte offre des garanties» a assuré le ministre de la Santé à leur adresse. Pas content, le député breton Marc Le Fur (UMP) n’a pas caché son opposition : «L'interdiction/dérogation c'est un anesthésiant pour catho!», a-t-il lancé.
Permis de naissance pour le bébé du père décédé
Satisfait de ce compromis sur la recherche, Xavier Bertrand a en revanche été obliger d’avaler son chapeau sur le transfert d'embryon post-mortem que l’Assemblée nationale a finalement accepté (après une première fois avoir dit en commission, "oui" il y quinze jours, puis "non" en début de semaine dernière...), à condition qu’il y ait eu consentement préalable du père. Le gouvernement ne voulait pas de cet amendement, Xavier Bertrand estimant que c’est contraire à l’intérêt de l’enfant que de programmer ainsi des orphelins. A gauche, on est plutôt satisfait de cette avancée, qui, selon Alain Claeys permettra d’apporter «une solution à une femme qui se trouve dans une situation épouvantable.» Sur cette question comme sur d’autres, le débat ne se terminera pas avec le vote du 15 février. En 1994 déjà, la même mesure avait été rejetée d'extrême justesse. En 2004, elle avait été adopté en première lecture, avant d'être retoquée en seconde lecture...
Le médecin, «gate keeper» du diagnostic anténatal
La gauche aura eu moins de succès sur les conditions d’accès au diagnostic anténatal. Pour éviter tout risque d’eugénisme, Jean Léonetti et Bernard Debré ont réussi à faire voter un amendement donnant un rôle accru au médecin pour décider d'un diagnostic prénatal «lorsque les conditions médicales le nécessitent». Pour la gauche... et pour Xavier Bertrand, c’est au contraitre «la femme qui doit choisir» de recourir à ces techniques, et pas au médecin d’en décider pour elle.
Débat sur les conditions de la PMA
L'AMP aura d’ailleurs été l’occasion d’oppositions animées dans l’Hémicycle. Et ce sont une nouvelle fois les embryons surnuméraires qui ont cristalisé les oppositions. Trois députés de la majorité, Jean-Sébastien Vialatte (UMP), Olivier Jardé (Nouveau Centre) et Jean-Luc Préel (NC) voulaient limiter à trois le nombre d'ovocytes fécondés dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation (AMP) afin, «d'éviter un trop grand nombre d'embryons surnuméraires». En commissions, les trois collègues avaient trouvé une majorité sur leur amendement. Mais en séance, Bernard Debré et Jean Léonetti -en se faisant l’écho des inquiétudes du monde scientifique- ont porté la contradiction. Le second jugeant cette limitation «pas acceptable dans l'état actuel de la science en France et pénalisante pour la situation de nos chercheurs.» A la place, il a fait voter un amendement sans conséquence, prescrivant que le nombre d’embryons est «limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l'assistance médicale à la procréation, compte tenu du procédé mis en oeuvre».
Les dons de gamètes toujours anonymes
Pour le reste, l’Assemblée aura ouvert plus largement l’accès à l’assistance médicale à la procréation : feu vert à la vitrification d’ovocytes, autorisation des dons de spermes et d’ovules pour les hommes et femmes qui n’ont pas encore eu d’enfants, suppression du délai de deux ans de vie commune pour qu’un couple (hétérosexuel) puisse accéder à l’AMP... Sur tous ces points aussi, on est loin du consensus. En la matière, la palme de la permissivité revient aux Verts. Et en particulier à Noël Mamère, qui dès l’ouverture du débat a mis les pieds dans le plat bioéthique : libéralisation des recherches sur l’embryon, droit à l’AMP pour les couples de mêmes sexes et pour les célibataires, légalisation de la gestation pour autrui, levée de l’anonymat sur les dons de spermes et d’ovocytes. Même ce dernier point -qui figurait dans le texte de Roselyne Bachelot, mais dont Xavier Bertrand ne voulait pas- n’a finalement pas été retenu par l’Assemblée.
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