Conduites à risque chez l'adolescent

Les éléments de la prise en charge

Publié le 12/09/2007
Article réservé aux abonnés
1276166643F_Img279331.jpg

1276166643F_Img279331.jpg

par le Dr ELLEN OLLHOFF, et le Pr DANIEL MARCELLI (*)


PARMI LES conduites à risque, certaines sont remarquables par la mise en jeu immédiate du pronostic vital, tel est le cas des tentatives de suicide et des conduites à risque routières. Si au décours d'une tentative de suicide l'adolescent peut exprimer explicitement la volonté « d'avoir eu envie d'en finir, d'avoir voulu mourir », ces propos ne sont souvent pas spontanés après une mise en danger par conduite à risque routière. L'entretien orienté vers la recherche d'une intentionnalité suicidaire pourra toutefois permettre de mettre à jour cette dimension et de la prendre en compte dans la prise en charge. Pour ce qui est des autres conduites à risque, l'engagement du pronostic vital n'est souvent pas au premier plan pour l'adolescent. De façon plus générale, le comportement agi chez l'adolescent semble venir en lieu et place d'une souffrance psychique difficilement cernable, souffrance en lien avec les enjeux de l'adolescence: deuil de l'enfance, remaniement des investissements, négociation du passage à l'autonomie. Ce processus est fortement marqué par l'ambivalence (par exemple, ambivalence entre le désir d'être indépendant et le besoin d'être avec ses parents), laquelle participe à la situation de conflit psychique. Bien qu'agi par l'adolescent sur lui-même, ce comportement a valeur d'interpellation de l'entourage, comme une tentative désespérée de maintenir ou de rétablir une relation aux autres [2].

Une triple évacuation.
Face à une situation de conduite à risque chez un adolescent, la première mesure thérapeutique concerne la triple évaluation somato-psychosociale. La prise en charge de l'état somatique est le plus souvent réalisée aux urgences hospitalières. Ce passage devrait permettre une évaluation plus complète, pas seulement somatique, mais aussi psychosociale individuelle et familiale. Une telle évaluation devient indispensable en cas de récidive. Selon les équipes, cette évaluation se fera en ambulatoire sur un temps concentré, ou le plus souvent en hospitalisation courte (5 j. en moyenne), en service de soins somatiques (pédiatrie). Ce dernier dispositif offre l'avantage d'un apaisement par mise à distance transitoire du milieu de vie habituel. L'intervention pluridisciplinaire des professionnels de chaque champ - somatique, psychiatrique et social - demande une coordination et une collaboration certaine. Concernant l'évaluation psychologique individuelle de l'adolescent, l'écoute semble le moyen privilégié ; celle-ci autorise que s'exprime en mots la souffrance mise en acte, et elle permet également le dépistage d'une pathologie psychiatrique (épisode délirant aigu, schizophrénie) nécessitant une prise en charge hospitalière en secteur pédopsychiatrique. Au mieux, cet entretien constitue une préparation à une éventuelle thérapie relationnelle ultérieure. Par ailleurs, des entretiens familiaux marquent ce temps d'évaluation (en général, à deux reprises, en début et en fin d'hospitalisation). Ces rencontres ont pour objectifs la mobilisation de l'entourage, une première approche de la dynamique relationnelle familiale, mais aussi la contractualisation de l'engagement à une démarche de suivi ultérieure. Devant la mise à jour d'un environnement proche particulièrement pathogène ou déstructuré, l'orientation vers une hospitalisation en pédopsychiatrie pourra être envisagée [2].

Les mesures thérapeutiques.
Cette première évaluation globale doit être éclairée par l'idée que ce qui sous-tend ces conduites à risque chez l'adolescent est un désir de changement, concernant tant sa vie psychique interne que son environnement. Les mesures thérapeutiques à moyen et à long termes ont pour objectif de contribuer à répondre à cette attente latente. Cela pourra être rendu possible par une psychothérapie individuelle de soutien le plus souvent, d'inspiration analytique ou comportementale et cognitive, et/ou une thérapie de groupe et/ou une thérapie familiale. Des aménagements de vie (internat scolaire, foyer, internat thérapeutique) sont à envisager surtout lorsque prédominent des distorsions dans les relations familiales. On pourra envisager l'adaptation éventuelle d'un traitement médicamenteux selon chaque situation clinique, avec une grande réserve en cas de dimension impulsive (antidépresseur si dépression, thymorégulateur si trouble bipolaire, impulsivité) [2].La question de la prévention tient une place importante dans la prise en charge globale de ces conduites à risque. Les mesures de prévention secondaire sont fondées sur le suivi pédopsychiatrique en ambulatoire des patients au décours de ce type de conduites en raison du risque de récidive (20 % la première année pour les tentatives de suicide [3]). Il semble nécessaire que le consultant et l'adolescent puissent discuter ouvertement du risque de répétition du passage à l'acte, avec évocation des conséquences de cette éventualité.

La prévention primaire.
La prévention primaire est fondée sur les programmes de prévention en milieu scolaire : campagnes d'information, programmes de dépistage, différents moyens dont l'efficacité semble difficile a évaluer [3]. Au sein de la population générale, les campagnes de sensibilisation concernant les conduites à risque (sécurité routière, pratiques sexuelles, consommation de toxiques) sont en cours d'évaluation auprès de la population adolescente. Par ailleurs, les interventions de « post-vention » en milieu scolaire ou professionnel après un passage à l'acte grave nécessitent d'être planifiées et évaluées. Enfin, une réflexion sur le risque de « contamination » via la médiatisation de ces conduites à risque semble nécessaire.
En résumé, il est primordial de prendre en compte les conduites à risque des adolescents dans leur dimension d'expression d'une souffrance, en lien avec un conflit psychique interne, le plus souvent majoré par des difficultés relationnelles avec l'entourage. Cette approche, en dehors de toute banalisation, semble la première réponse à cet adolescent en mal de mots.

(*) Service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, hôpital Laborit, Poitiers.
1. Le Breton D., Les conduites à risque des jeunes, La Revue du praticien, 2005: 55.
2. Marcelli D., Braconnier A., Adolescence et psychopathologie, Masson, Paris, 2000.
3. Marcelli D., Humeau M., Suicide et tentative de suicide chez l'adolescent. EMC (Elsevier SAS, Paris), psychiatrie/pédopsychiatrie, 37-216-H-10, 2006.

MARCELLI Daniel, OLLHOFF Ellen

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8214