Décision Santé. On vous dit extrêmement sereine depuis le vote de la loi de santé à l’Assemblée nationale.
Marisol Touraine. Il y a la fatigue des mois de travail, de tension, et le texte de loi n’a pas achevé son parcours… Le débat à l’Assemblée nationale en première lecture a toutefois représenté une étape décisive ! Le texte est désormais bien compris : ces dernières semaines ont montré la cohérence de la loi, qui ne se réduit pas à la généralisation du tiers payant. De nombreuses autres mesures vont participer à changer la vie de nos concitoyens.
Enfin, l’opposition a été peu vive sauf sur le tiers payant,. ce que je ne néglige pas. Mais les parlementaires de l’opposition ont été en deçà de leur expression initiale, une fois passé le débat général et les positions de principe. J’ajoute que la majorité a été très soudée. A l’issue de ces semaines parlementaires, j’en suis sortie sereine, heureuse… n’ayons pas peur des mots.
D. S. Vous prenez beaucoup de plaisir à ces débats dans l’Hémicycle.
M. T. Oui. On peut y mener des débats politiques forts, qui renvoient parfois à des conceptions différentes de la société. J’y ai participé lorsque j’étais dans l’opposition sur la santé, les retraites et aujourd’hui au titre de ministre.
D. S. Lorsqu’un député de l’UMP vous annonce que votre loi sera abrogée lors du retour aux affaires de l’opposition, quelle est votre réaction ?
M. T. Elle ne le sera pas. Et il le sait. La droite ne touchera pas à l’essentiel de cette loi. Tout simplement parce qu’elle est attendue par les Français.
L’ancien président de la République avait appelé à un retrait de ce projet de loi – ce que les principaux syndicats de médecins ne réclamaient pas, d’ailleurs.
On attend de l’opposition autre chose à proposer qu'une abrogation pour le moins hypothétique. J’aurais aimé entendre des propositions alternatives. Au lieu de quoi, la droite s’est opposée par exemple au paquet neutre sans expliquer comment elle entendait lutter contre le tabagisme; elle a été incapable de résister aux pressions des lobbies, ; elle a voulu relayer les attentes supposées des médecins libéraux alors que ces derniers sont convaincus dans leur grande majorité que la pratique est appelée à se transformer. Le rejet du tiers payant a cristallisé un malaise ressenti par les médecins libéraux. Ils ont ainsi exprimé ainsi des inquiétudes sur leur place, leur rôle, leur avenir, leurs conditions d’exercice. Une profession qui s’interroge mérite d’être écoutée, mieux reconnue et être accompagnée dans certaines évolutions jugées inévitables.
La grande conférence de santé qui devrait se tenir en janvier 2016 a précisément vocation à évoquer tous ces sujets et d’autres encore, comme la formation initiale et continue, les modalités de l’exercice médical, la diversité des métiers, l’articulation entre l’exercice libéral et hospitalier. Rien de cela n’a été soulevé par la droite.
Enfin, j’ajoute que ces parlementaires se sont livrés une nouvelle fois à une offensive anti-hôpital. Cette attitude est d’autant plus regrettable que ces mêmes députés demandent des moyens supplémentaires pour « leur » hôpital, une fois rentrés dans leur circonscription. Or les valeurs de l’hôpital public appartiennent au socle de notre pacte social. Elles dépassent les seuls intérêts catégoriels.
D. S. Lors de votre première déclaration officielle comme ministre de la Santé, vous avez déclaré en substance aimer l’hôpital public. Mais ce message est-il crédible avec les nouvelles restrictions budgétaires ?
M. T. Je le dirai volontiers en ces termes-là. J’aime l’hôpital public, car il porte, on l’a déjà dit, des valeurs indissociables de notre pacte social. Je suis infiniment admirative de ceux qui y travaillent, de leur engagement quotidien et de leur manière de porter, y compris dans des conditions difficiles, les valeurs du service public hospitalier.
Quant aux restrictions, regardons les choses concrètement. L’hôpital public reçoit année après année plus d’argent. La contrainte budgétaire est réelle. Je la vis au quotidien. Et je me bats pour qu’elle soit supportable. Mais ce n’est pas une diminution des moyens apportés à l’hôpital public. En 2015, l’augmentation représente un milliard et demi d’euros supplémentaires versés aux hôpitaux. C’est un ralentissement de la croissance. Nous maîtrisons la dépense à travers des orientations structurelles.
Si nous maintenions les organisations telles qu’elles existaient, la nécessaire maîtrise des dépenses deviendrait insupportable. Mais ça n’est pas ce que nous faisons : l’organisation de projets médicaux mieux identifiés, le développement de la chirurgie et, au-delà, de la médecine ambulatoires, l’intégration d’une réflexion sur les médicaments contribuent par leurs effets structurels à maîtriser la dépense. L’effort demandé ne doit pas être aveugle et être identique pour tous. Cela oblige à repenser les organisations, la répartition des moyens, les conditions de travail, les relations entre les établissements.
C’est pourquoi figure par exemple dans la loi de santé une mesure importante, à savoir la mise en place de groupements hospitaliers de territoire. Cela doit amener tous les acteurs à réfléchir sur l’offre de soins. A cet égard, je veux saluer l’implication de tous les personnels au quotidien. Lorsque j’entends parfois des propos méprisants à l’égard des fonctionnaires, de l’hôpital public, on doit se demander : qui accomplit les efforts ? La communauté hospitalière. Elle doit toutefois avoir l’assurance d’être entendue. C’est pourquoi on doit être attentif aux conditions de travail des personnels, qui doivent participer à l’élaboration des projets. Les décisions qui s’imposent de manière verticale produisent rarement de bons résultats.
D. S. Fallait-il rétablir les services ?
M. T. C’est ce que chaque malade connaît. Certes, un lieu de rationalisation médicale ou administrative, comme les pôles, s’avère nécessaire. Je ne les ai pas remis en cause. Mais en tant que patient, vous allez dans un service, pas dans un pôle. C’est encore aujourd’hui la réalité médicale vécue par la totalité des patients.
Dans le même temps, la majorité précédente, en retirant à la communauté médicale une trop grande part de ses responsabilités, n’a pas contribué à instaurer de la sérénité à l’hospital. C’est pourquoi dès mon arrivée, j’ai souligné l’importance des enjeux de gouvernance et un décret de septembre 2013 a réaffirmé la place de la communauté médicale dans la définition des projets médicaux. La loi de santé poursuit cette logique. Le type de gouvernance traduit la reconnaissance du service public hospitalier qui doit associer médecins et directeurs.
D. S. Un ministre de droite aurait-il pris d’autres mesures concernant la rigueur budgétaire ? Quel serait le clivage entre une politique de gauche et de droite.
M. T. Lorsque la droite était aux responsabilités, elle a fait le choix de ne pas engager des réformes de structure, de faire payer les patients à travers la création de franchises et de déremboursements ! Sans pour autant parvenir à enrayer la dérive des comptes, d’ailleurs, puisque le déficit a explosé. La réponse n’était donc pas la bonne. De même, elle a supprimé des structures de proximité par principe. Que me dit la droite à l’Assemblée nationale ou au Sénat ? Pourquoi ne « rationnalisez-vous pas la carte hospitalière » ?, qui est une manière de demander pourquoi nous ne supprimonspas des hôpitaux !
D. S. Mais n’y-a-t-il pas des injonctions qualifiées parfois de paradoxales entre d’un côté demander toujours plus d’efforts à l’hôpital et de l’autre accorder de nouveaux droits aux urgentistes, aux internes ?
M. T. Tout est une question de choix et de priorités. Lorsque l’on fait l’acquisition de nouveaux matériels, cela coûte de l’argent. Est-ce qu’au nom de la maîtrise des dépenses, il faudrait renoncer à des progrès sociaux, à de l’innovation, à l’amélioration des plateaux techniques ? Non, bien sûr. Si l’on suit votre raisonnement, on ne toucherait plus à rien, et on renoncerait à tout progrès. Bien sûr, il faut trouver le bon équilibre. Je sais bien que les décisions concernant le temps de travail des internes inquiètent. Je suis toutefois confiante dans la mise en place des adaptations nécessaires. Nous n’aurions pas pu en rester au statu quo. Il y avait des rappels à l’ordre européen concernant le temps maximum de travail. Nous avons pris, à la suite d’une concertation, des mesures qui viennent bousculer des habitudes anciennes. Des ajustements seront nécessaires. Mais les choses se feront.
D. S. Le monde hospitalier attend les propositions du rapport Le Menn. Comment concilier renforcement de l’attractivité et rigueur ? Comment financer des mesures qui pèseront sur les budgets ?
M. T. La maîtrise budgétaire, rappelons-le encore, est une exigence, mais encore une fois ce gouvernement ne la fera pas sur le dos des patients. Les réformes de structures engagées doivent nous permettre d’être plus – je n’aime pas le mot – « efficients » dans l’utilisation des ressources publiques.
L’exercice est exigeant, mais doit prendre appui sur des réorganisations qui étaient nécessaires, maîtrise ou pas. Autrement dit, indépendamment des exigences budgétaires, des changements sont nécessaires. Nous avons tardé à prendre la mesure de certaines évolutions dans la prise en charge ambulatoire, dans le parcours de soins hospitalier avec une meilleure identification de ce que chaque type d’établissement peut apporter. Les établissements de proximité sont indispensables – j’ai même renforcé leur financement. Mon intention n’est pas de les supprimer. Ils doivent jouer un rôle en complémentarité avec les établissements plus importants.
Nous avons également tardé à favoriser l’innovation alors que la France est un des pays porteurs dans ce domaine. Enfin, l’évolution des conditions de travail, la diversification des parcours professionnels, une meilleure gestion des débuts de carrières, doivent également être prises en compte. Tous ces facteurs participent de l’attractivité. Il y a évidemment une composante financière. Mais l’attractivité ne peut être réduite à cela. Les praticiens hospitaliers sont attachés à leur place dans l’hôpital, à ce que leurs propositions dans l’organisation de demain soient entendues mais aussi à pouvoir adapter leurs modalités d’exercice à leur projet professionnel …
D. S. Sauf pour la pénibilité au travail…
M. T. J’ai signé récemment avec Marylise Lebranchu la commande d’une mission à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) afin d’étudier la question de la pénibilité et de lui trouver une traduction dans la fonction publique hospitalière. La mission concerne aussi des catégories de personnels qui n’en relèvent pas comme les praticiens hospitaliers. La réflexion est engagée. Elle n’est pas laissée en jachère.
D. S. Les groupements hospitaliers de territoire dessinent-ils une nouvelle carte hospitalière ?
M. T. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont reconnus comme un élément structurant pour l’avenir. L’annonce a suscité de l’enthousiasme, de l’attente mais aussi de l’inquiétude. L’affiliation à un GHT devient obligatoire. Une réflexion est donc nécessaire sur l’offre hospitalière territoriale. L’hôpital s'est longtemps regardé comme une maison tournée vers elle-même, un peu à l’image d’une forteresse à l’égard, disons-le, de la médecine libérale, mais aussi vis-à-vis des autres établissements. J’ai confié une mission au Dr Frédéric Martineau et à Jacqueline Hubert, directrice du CHU de Grenoble. Ce travail n’est pas achevé. Mais il a suscité une vive adhésion et participation à la réflexion. Je ferai en sorte qu’il soit pris en compte.
D. S. Ces GHT ne permettent-ils pas surtout de mutualiser des fonctions supports et donc de supprimer des emplois ?
M. T. Faire des économies, bien sûr mais pas nécessairement de postes. Un GHT permet de mutualiser les fonctions de blanchisserie par exemple ou de système d’information. Des hôpitaux distants de quelques kilomètres ont parfois des systèmes d’information incompatibles au moment où l’on parle d’un DMP de nouvelle génération.
D. S. Ces GHT ne remettent-ils pas en selle les élus locaux ? Mais ils en excluraient les cliniques.
M. T. Les élus seront présents. Mais ces GHT sont conçus en fonction de besoins de santé identifiés par des professionnels. Ce n’est pas aux élus de déterminer la manière dont les établissements élaborent le projet médical. J’insiste toutefois sur l’opportunité qu’offrent ces GHT aux hôpitaux de proximité. En l’absence de GHT, les logiques d’hyperspécialisation et de technicité de plus en plus sophistiquée conduisent les hôpitaux de proximité à ne pas supporter ce choc.
D. S. Quelle en sera la gouvernance puisque ces GHT ne disposent pas de personnalité morale ?
M. T. Un établissement sera désigné comme chef de file. On peut envisager par ailleurs une instance de coordination médicale. Quant aux établissements privés, ils peuvent y être associés. Ils jouent un rôle que je ne cherche pas à remettre en cause, contrairement à ce qu’affirment certains acteurs.
D. S. La conférence des directeurs de CHU vient de préciser dans un communiqué que le taux de l’Ondam à 1,75 % pour 2016 n’était pas soutenable sans de fortes restructurations.
M. T. Je ne parle pas de restructurations, mais de choix structurels forts autour de la logique de territoire, de la médecine et de la chirurgie ambulatoires etde l’amélioration qualitative de la prescription. Ce travail est exigeant. Et je serai très attentive aux résultats. Je suivrai personnellement sa mise en œuvre. Mais j’ai toute confiance dans la communauté hospitalière qui a toujours tenu les objectifs depuis que je suis aux responsabilités.
D. S. Quel sera le rôle de ces ARS dans les régions nouvellement « augmentées » ? Siégeront-elles ailleurs que dans la métropole ? Envisage-t-on un nouveau type de relation entre les ARS et la Cnam ?
M. T. À partir du moment où la carte régionale évolue, il est cohérent que les agences régionales de santé comme les structures de la médecine libérale s’inscrivent dans ce nouveau cadre. Dans les sept régions issues d’une recomposition, il y aura donc une nouvelle ARS. Nous en avons désigné récemment les préfigurateurs en conseil des ministres. La localisation des futurs sièges n’est pas encore tranchée. Je n’exclus pas que dans certaines régions, le siège ne soit pas implanté dans la capitale régionale.
Cette réorganisation appelle un approfondissement des structures départementales. Certaines sont dynamiques. D’autres le sont moins. Dans ces grandes régions, nous avons encore plus besoin de délégations territoriales fortes.
En revanche, rien n’est changé sur le fond des relations entre les ARS, les établissements hospitaliers et la Cnam. Nous parlons d’une carte territoriale mais pas d’une redéfinition des relations entre les différents acteurs. Les enjeux ne sont pas de changer les répartitions des compétences. Il y a une politique de santé, celle que détermine le ministre en charge de la Santé.
D. S. Les dépassements d’honoraires perdureront-ils dans l’hôpital public ?
M. T. Je ne remets pas en cause leur principe. C’est un équilibre ancien qui a été mis en place. Il avait pour objectif de maintenir la présence de médecins à l’hôpital et d’éviter leur départ dans le privé. Ma préoccupation est néanmoins et avant tout de garantir l’accès aux soins à l’hôpital public sans aucune discrimination. L’activité libérale doit rester marginale. Les contrôles qui ont suivi la mise en œuvre de l’avenant 8 ont permis d’enregistrer une baisse des honoraires perçus à l’hôpital. Un médecin qui ne respecterait pas les règles de la convention ne pourrait plus exercer à titre libéral à l’hôpital.
D. S. Les effectifs de la fonction publique hospitalière ont-ils vocation à demeurer stable ou pas ?
M. T. Ils resteront stables. Cette phase succède à une augmentation significative enregistrée au cours des années précédentes. Depuis 2012, 5 700 médecins ont été recrutés à l’hôpital. Pour les soignants, la progression est de 24 250 nouveaux entrants. Dans cette phase de stabilisation, nous sommes attentifs aux situations particulières des différents établissements.
D. S. Estimez-vous que votre mission soit terminée ou comptez-vous assurer le service après- vote, comme le disait un de vos prédécesseurs ?
M. T. Une loi est une étape. Et la mise en œuvre d’une loi est évidemment nécessaire au ministère de la Santé comme ailleurs. Pour la suite, est-ce moi qui déclinerai les mesures de cette loi ? C’est une décision qui relève du président de la République.
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