« Parviendrez-vous à économiser ce que vous demande la direction générale de l'AP-HP l'an prochain ? » Rares sont les directeurs d'hôpital qui acceptent de répondre à cette question, tant le sujet est ultrasensible. Pour eux, la situation actuelle est un vrai casse-tête. Octobre, c'est la période de préparation du budget pour l'année à venir. Or cette année, les 39 directeurs d'hôpitaux de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) doivent y intégrer un élément inhabituel : le plan de retour à l'équilibre de leur directrice générale, Rose-Marie Van Lerberghe.
Ce plan d'économies, issu d'un accord passé avec le gouvernement en échange d'un important coup de pouce (versement de 270 millions d'euros, rebasage budgétaire et suppression de la péréquation interrégionale), doit permettre une économie de 240 millions d'euros sur quatre ans (« le Quotidien » du 24 octobre). 2004 sera la première année de mise en uvre de ce programme : l'AP-HP devra à ce titre réduire ses dépenses de 60 millions d'euros.
La direction générale a adressé à chacun des 39 directeurs une feuille de route qui liste les dépenses de leur hôpital au cours de l'année 2002. Sur cette base, la feuille de route indique l'objectif d'économie à atteindre en 2004. Ainsi que le souhaite Rose-Marie Van Lerberghe, l'effort devra se concentrer sur deux postes de dépenses particuliers : les activités de support (l'administration, la logistique...), et les activités médico-techniques (laboratoires, plateaux techniques...).
Rigueur pour le long séjour
« Le Quotidien » s'est procuré un document qui récapitule la ventilation de ces 60 millions d'économie, hôpital par hôpital. La situation est très disparate. L'hôpital Paul-Doumer (Oise) est de loin celui pour lequel la barre est placée le plus haut : en 2004, il devra dépenser 8,3 % de moins qu'en 2002 (soit une économie de 871 000 euros). L'objectif est-il réalisable ? Impossible de le savoir, répond un administratif hospitalier. « On réfléchit au problème, on essaiera d'appliquer ce qu'on nous demande de faire », dit-il évasivement. Avant de préciser, comme à regret : « On se demande comment ces chiffres ont été fixés. » Pour un observateur, c'est bien simple : la première tranche 2004 du plan de retour à l'équilibre de l'AP-HP ne répond à aucune logique. « Ces objectifs, calculés de façon mécanique, sont le reflet d'une vision sèche et technocratique où seule prévaut la logique comptable. L'AP-HP a besoin de réduire ses dépenses ; mais cette façon de faire, brutale et non réaliste, n'est pas la bonne », affirme-t-il.
Les hôpitaux les plus « taxés » sont en majorité des hôpitaux de long séjour qui accueillent les personnes âgées, fait remarquer ce même observateur. « Après ce qui s'est passé cet été, on croit rêver », commente-t-il. Effectivement, Rothschild devra économiser 6,5 % de son budget en 2004, Berck, 6,9 %, le groupe Charles-Foix et Jean-Rostand, 4,2 %. Quant à l'hôpital Bretonneau, un fleuron des établissements gériatriques parisiens, la direction générale de l'AP-HP lui demande un effort de 5,4 %. Cet hôpital, ouvert en 2001, accueille les personnes âgées dans des petites structures adaptées, baptisées « maisonnées ». « Il nous est demandé de rendre l'argent correspondant à la quinzième et dernière maisonnée qui n'a pas été ouverte à cause d'un manque de personnel », explique l'hôpital. Une décision qui empêchera la création de 15 lits supplémentaire.
Ailleurs, on veut croire qu'une négociation reste possible avec la direction générale de l'AP-HP. « C'est à l'initiative de chaque hôpital de trouver des moyens pour remplir l'objectif que lui a fixé la DG », précise un responsable de l'hôpital Avicenne, à Bobigny, où la direction s'est justement réunie vendredi dernier pour fixer des orientations permettant d'accroître la productivité tout en réduisant les dépenses. L'hôpital Avicenne devra économiser 1 286 000 euros l'an prochain, soit 2 % de ses dépenses. Un objectif « difficilement réalisable, qui nécessitera des ajustements difficiles à faire passer », commente le responsable, même s'il reconnaît que 2 %, « c'est un objectif moins important que celui d'autres hôpitaux, car nous avons déjà fait des efforts pour réduire les dépenses de nos activités de support et médico-techniques ».
Des conférences budgétaires particulières
Les hôpitaux sauront bientôt s'il leur reste une marge de manuvre pour établir leur budget 2004, puisque dans une dizaine de jours, comme chaque année à cette époque, se tiendront les conférences budgétaires, où chaque directeur rencontre tour à tour la direction générale de l'AP-HP afin de discuter des besoins spécifiques à son hôpital. Cette année, l'enjeu de ces conférences est faussé d'avance car Rose-Marie Van Lerberghe se contentera de reprendre les grandes lignes qu'elle a fixées dans ses 39 feuilles de route, estime Christian Do Huu, le directeur de cabinet à l'AP-HP d'Alain Lhostis, adjoint au maire (PC) de Paris qui préside le conseil d'administration de l'AP-HP à la place de Bertrand Delanoë.
Le CA de l'AP-HP n'a pas reçu le détail de la ventilation des 60 millions d'euros d'économie prévus pour 2004. Vendredi dernier pourtant, Rose-Marie Van Lerberghe lui a présenté pour la première fois son plan de retour à l'équilibre. « Mais elle ne nous a donné aucun document, aucun chiffre précis », rapporte Christian Do Huu. Le plan de la directrice générale fera l'objet d'un vote du CA le 28 novembre. « J'espère qu'on aura d'ici là le détail des objectifs pour chaque hôpital que la direction des finances de l'AP-HP a fixés seule dans son coin », poursuit Christian Do Huu, qui ne cache pas son scepticisme : « On sent qu'avec le plan de retour à l'équilibre, c'est encore le patient qui va prendre des coups. C'est comme l'installation de deux Petscan à Avicenne et à la Pitié-Salpêtrière, que la direction générale a repoussée de plusieurs années sous prétexte que leur fonctionnement coûte trop cher. Toutes ces mesures vont de pair, c'est regrettable. »
Pour un autre expert, la première tranche d'économies n'est rien d'autre qu'un « affichage virtuel » : « On va réduire le dérapage de l'AP-HP de 2,3 %, mais on ne réduit pas l'enveloppe donnée à l'AP-HP dans le cadre de l'Objectif national des dépenses d'assurance-maladie. Ainsi, on ne réduira ni les dépenses, ni le déficit », explique cet observateur, selon lequel Bercy aurait refusé de signer le plan de retour à l'équilibre au motif qu'il ne s'agit pas d'un vrai plan d'économies. Seul un arbitrage fort de l'Elysée a permis que soit retenu le plan concocté avec le ministère de la Santé, qui prévoit de réinjecter 230 millions d'euros sur quatre ans à l'AP-HP. « Il aurait fallu réduire les plateaux techniques et les doublons. Au lieu de cela, on lance ce plan sans objectifs précis. On sait très bien que les dépenses pharmaceutiques et médicales vont continuer à augmenter. Ce qui me fait dire, conclut ce même expert, que les objectifs de la direction générale ont très peu de chances d'aboutir au moins en 2004. »
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