Lorsque la sémiologie douloureuse semble inhabituelle ou complexe, lorsque des troubles sensitifs sont présents, lorsque la douleur échappe aux traitements antalgiques « classiques » ou récidive malgré une bonne observance thérapeutique, il faut penser à un mécanisme neuropathique. En effet, dans bon nombre de pathologies rhumatismales, existent ou coexistent des douleurs d'origine neuropathique, que l'on appelait auparavant, à tort, des douleurs de déafférentation.
Ces douleurs sont très variées et souvent difficiles à décrire par le patient lui-même, c'est pourquoi l'interrogatoire doit être particulièrement rigoureux. Les sensations douloureuses spontanées se présentent comme des brûlures, des décharges électriques ou des éclairs douloureux. Les douleurs provoquées sont déclenchées par des stimulations mécaniques ou thermiques ou de simples stimulations tactiles. Des troubles sensitifs sont pratiquement constants dans le territoire douloureux, mais parfois très discrets : anesthésie, hypoesthésie dissociée, voire anesthésie globale, constituant un tableau d'anesthésie douloureuse. Les atteintes sensorielles typiques sont définies actuellement par l'allodynie, l'hyperalgésie et l'hyperesthésie (voir encadré).
Des mécanismes impliqués dans de nombreuses atteintes rhumatologiques
Alors que l'inflammation domine au cours de la phase aiguë de l'atteinte discale, dans les atteintes vertébro-radiculaires chroniques, les mécanismes de la douleur radiculaire sont essentiellement neuropathiques, constat qui a des implications thérapeutiques importantes. Dans les lombosciatiques postopératoires, qui touchent de 10 à 30 % des patients selon les séries, on observe non seulement une fibrose épidurale, mais aussi une dégénérescence progressive des fibres myéliniques en cause dans les douleurs radiculaires persistantes.
Au cours des syndromes canalaires, notamment dans le plus fréquent, l'atteinte du nerf médian, un mécanisme neuropathique est aussi présent. Dans ce cas, le bloc anesthésique peut avoir une valeur diagnostique et thérapeutique. On rencontre aussi des douleurs neuropathiques des membres d'origine toxique, diabétique ou alcoolique. Elles sont également présentes dans les syndromes douloureux complexes régionaux de type 1 et 2 (anciennes algodystrophie et causalgie). A noter également les polyneuropathies auto-immunes des cryoglobulinémies, des dysglobulinémies, les neuropathies associées au syndrome de Gougerot-Sjögren, et enfin les douleurs neuropathiques centrales rares des vascularites et granulomatoses systémiques avec lésions du système nerveux central.
De l'interrogatoire aux tests
La connaissance des mécanismes physiopathologiques de ces douleurs permet aujourd'hui de mieux les caractériser, donc de mieux les diagnostiquer et finalement de mieux les traiter. Ces mécanismes peuvent être périphériques : activités ectopiques anormales, sensibilisation des nocicepteurs, interactions pathologiques entre les fibres. Ces phénomènes sont exacerbés par le système sympathique. S'y associent souvent des mécanismes centraux avec, notamment, une hyperexcitabilité des récepteurs nociceptifs et des altérations du message douloureux. L'examen clinique doit prendre en compte ces données physiopathologiques. Il faut en effet réussir à définir au mieux la symptomatologie par l'interrogatoire et l'examen neurologique. Des questionnaires multidimensionnels peuvent aider le praticien à mieux cerner des caractéristiques sémiologiques souvent complexes et intriquées. Les échelles verbales catégorielles ou visuelles analogiques permettent de mesurer l'intensité de la douleur.
Thermotests, algomètres et vibramètres
Des méthodes « quantitatives » ont été récemment mises au point pour évaluer les troubles de la sensibilité, plusieurs appareils sont disponibles, en particulier des thermotests, des algomètres de pression et des vibramètres. Enfin, des blocs nerveux, blocs somatiques aux anesthésiques locaux et blocs ischémiques, peuvent aider au diagnostic et parfois informer sur les mécanismes en cause. Les blocs sympathiques permettent d'identifier le rôle de l'activité sympathiques efférente dans la genèse des douleurs. L'approche thérapeutique doit être dictée par ces connaissances physiopathologiques. Lorsque dominent des phénomènes de sensibilisation périphérique ou des décharges d'activité ectopique, des topiques locaux (capsaïcine, lidocaïne) ou des agents bloquant les canaux sodiques (mexiletine, antiépileptiques courants) peuvent être proposés. Des traitements d'action centrale, tels que la gabapentine et les antidépresseurs, seront préférés en cas de phénomènes de désinhibition ou de sensibilisation centrale. Comme plusieurs mécanismes sont souvent impliqués dans ces douleurs neuropathiques, l'association de plusieurs molécules peut être nécessaire. Il faut dans tous les cas expliquer aux patients l'intérêt de l'utilisation de tels traitements inhabituels, tels que les antidépresseurs ou antiépileptiques, utilisés dans un but antalgique, pour une meilleure compliance et une meilleure efficacité de la prescription.
D'après un entretien avec le Dr Serge Perrot, hôpital Cochin-Tarnier.
Nouvelle terminologie
L'allodynie correspond à une douleur causée par un stimulus qui, normalement, ne produit pas de douleur. Elle peut être tactile au contact léger, mécanique à la pression, vibratoire, thermique à la chaleur ou au froid.
L'hyperalgésie est une réponse exagérée à un stimulus qui est habituellement douloureux.
L'hyperesthésie est une sensibilité exagérée à une stimulation, elle correspond à un abaissement du seuil de perception.
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