L'ESSOR des biothérapies - anticorps monoclonaux ou protéines solubles recombinantes - qui modulent l'activité du système immunitaire est à l'origine d'une recrudescence d'infections. Ces infections sont dues soit à des bactéries pyogènes pour les biothérapies qui inhibent les polynucléaires ou les lymphocytes B, soit à des germes intracellulaires pour les agents qui inhibent les macrophages et les lymphocytes T.
Les anticorps anti-TNFa, en plus de la neutralisation du TNFa circulant, se fixent au TNFa situé au niveau membranaire sur certaines cellules de l'organisme et induisent leur apoptose. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles ces agents sont susceptibles de diminuer de façon très significative la résistance de l'hôte vis-à-vis des infections, en particulier par des germes à multiplication intracellulaire, comme le bacille de Koch.
Dès le début de la commercialisation des anti-TNFa, les cliniciens de différentes disciplines se sont regroupés pour créer en 2004 le registre RATIO (Recherche Axée sur la Tolérance des bIOthérapie) destiné à suivre l'incidence des maladies infectieuses et, notamment, de la tuberculose. Les Sociétés françaises de rhumatologie, de gastro-entérologie, de médecine interne, de maladies infectieuses et de dermatologie, avec le partenariat de l'AFSSAPS et de l'INSERM, ainsi qu'avec le soutien financier des trois firmes qui commercialisent les anti-TNF, se sont groupés autour de ce projet dont l'objectif était de décrire les tuberculoses, les infections opportunistes, les infections bactériennes graves et les lymphomes survenant chez les patients traités ou ayant été traités par anti-TNFa, quelle que soit l'indication. Pour cela, le registre RATIO a colligé l'ensemble des cas survenant en France grâce à la participation de 490 services hospitaliers, avec le concours très actif des centres régionaux de pharmacovigilance dépendants de l'AFSSAPS et des départements de pharmacovigilance des firmes.
Davantage de risque de tuberculose sous anticorps monoclonaux.
En trois ans, 69 cas de tuberculose ont été rapportés pour 57 711 patients-années, soit une augmentation de l'incidence par rapport à celle de la population générale (Standardized Incidence Ration ou SIR = 12,2). Dans la moitié des cas, il s'agissait de formes graves, très souvent extrapulmonaires, apparaissant en moyenne dans les onze mois suivant le début du traitement. L'analyse des sous-groupes a confirmé les données de la littérature en montrant une différence en fonction de l'anti-TNFa prescrit. Le risque de tuberculose est 22 fois plus important chez les patients sous anticorps monoclonaux que dans la population générale, alors qu'il n'est multiplié que par deux pour la protéine recombinante soluble. Ces résultats sont confirmés par l'analyse de l'étude cas-témoins recherchant les facteurs de risque et appariant chaque cas d'effets secondaires survenus chez un patient sous anti-TNFa, à deux témoins traités par anti-TNFa mais n'ayant pas eu de complications. Il apparaît, en effet, 16 fois plus de risque de tuberculose sous anticorps monoclonaux que sous récepteur soluble. Ces variations de risque pourraient être expliqués par la différence de fixation sur le TNF membranaire, plus stable et plus durable avec les anticorps monoclonaux. Ceux-ci entraîneraient ainsi une apoptose plus importante des cellules exprimant le TNF membranaire, comme les cellules du granulome dans la tuberculose.
Les recommandations de dépistage sont insuffisantes.
Devant l'augmentation de ces cas de tuberculose, les investigateurs ont cherché à savoir de quelle façon avait été pratiqué le dépistage de la tuberculose avant la mise en route du traitement. Si 40 % des patients avaient des facteurs de risque qui auraient dû être pris en compte (suspicion de contage, calcifications radiologiques ou intradermoréaction à la tuberculine supérieure à 5 mm), plus de la moitié n'avaient aucun des facteurs de risque tels qu'ils ont été définis en 2005 dans les précautions à prendre avant tout traitement par anti-TNF : antécédent de tuberculose non traité, calcification pulmonaire d'un diamètre supérieur à 1 cm ou intradermoréaction supérieure à 5 mm.
Après réflexion sur ces échecs de dépistage, il est apparu que le fait d'être né ou de résider en pays d'endémie était un facteur de risque supplémentaire à prendre en compte. Enfin, de toute évidence, le test cutané à la tuberculine n'est pas assez fiable et, sur ces terrains particuliers, les tests immunologiques de diagnostic de la tuberculose latente sont intéressants. Ils sont recommandés par les autorités de santé, mais ils ne sont pas remboursés et une question persiste sur leur sensibilité chez des sujets immunodéprimés. Une grande étude épidémiologique nationale débutera en janvier prochain pour évaluer l'intérêt de ce test chez les patients qui débutent un traitement par anti-TNF.
En conclusion, souligne le Dr Salmon, « la vigilance doit être de mise devant toute fièvre chez les patients sous anti-TNFa ; vigilance du patient qui doit signaler systématiquement son traitement et vigilance des médecins qui, en l'absence de diagnostic infectieux évident, doivent entreprendre une exploration la plus large possible à la recherche de la tuberculose, certes, mais encore d'autres infections telles que la légionellose, les listérioses, les nocardioses... ».
* Service d'infectiologie, hôpital Cochin, Paris.
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